Sile tutoiement n’est pas réellement un problème dans certains pays, cela est loin d’être le cas pour d’autres. En réalité, le fait de tutoyer ses collègues crée une relation de confiance, ce qui permet à l’employé de pouvoir s’intégrer et s’adapter à son nouvel environnement avec succès. Il s’agit en quelque sorte d’un mode de communication amical, favorable à la

Le texte ci-dessous a été rédigé à partir d’une intervention dans le cadre du séminaire “Penser/enseigner le sens du langage” que j’anime lors de la séance du 10 mars 2016 au centre Bièvre de l’Université Sorbonne nouvelle Paris 3. Il a été prononcé après l’intervention de Melissa Melodias en thèse sous ma direction sur le rythme dans l’oeuvre de Pasolini sur un autre livre de Georges Didi-Huberman, Passé cités par JLG on peut la lire à cette adresse à venir. Je remercie les participants au séminaire pour la discussion qui a suivi. j’avais déjà publié un billet qui reprenait une communication autour de La Disparition des lucioles faite le 4 mars 2010 associant Georges Didi-Huberman et Ghérasim Luca Continuer la lecture de Georges Didi-Huberman le sens du langage sept courtes remarques en marge de quelques livres → Dans sa Lettre à John E. Jackson[1] », Yves Bonnefoy a raconté la genèse de Douve et, plus précisément, ce qu’il appelle le passage vers les poèmes de Douve » un récit abandonné en vue d’une reprise de ce nom propre ». Il semblerait que l’œuvre de Bonnefoy, tant poétique que philosophique voire esthétique, ne se soit constituée que dans et par l’hésitation, certainement entre les genres et ici d’un récit aux poèmes[2], mais bien plus encore entre ce que Bonnefoy lui-même appelle le lieu » et la voix », entre une identification opacité de l’en-soi[3] » et une transsubjectivation. En effet, bien plus qu’une hésitation générique, Bonnefoy engage toute écriture sous le signe du poème, non comme genre mais comme acte de poésie[4] » et plus précisément comme pensée de la présence » L’Ordalie, note, 1974 puisque dans sa recherche[5] » il a vite compris que la fiction va plus vite à la forme figée que le poème » 98. Resterait que le mouvement de l’écriture se constituerait bel et bien comme une désagrégation » 99 de la pluralité première que Bonnefoy signale d’ailleurs de manière assez péjorative comme le morne tableau des polysémies habituelles dans ce qui demeure écriture » ibid.. Cette orientation fondamentale et, l’on pourrait dire, fondatrice chez Bonnefoy est bien celle qui tente de remonter d’une absence – car toute signification, toute écriture, c’est de l’absence – à une présence » jour enseveli que la poésie dégage comme la bêche la source » ibid.. Si, Bonnefoy précise in fine qu’ en poésie il n’y a jamais que des noms propres » un visage, non une essence » ibid., 100, ce qui impliquerait la force d’un continu vocal, d’une voix qui répond à un appel, resterait qu’un tel processus n’est pas loin d’évoquer l’alètheia dans la conception d’Heidegger, c’est-à-dire comme transport plus que rapport, ou du moins dans celle des présocratiques relus par les philosophes contemporains de Bonnefoy, disons par exemple Jean Beaufret[6]. L’hypothèse de cette contribution sera donc de souligner les motifs de cette hésitation qui, du brouillage » qu’elle opère peut aller jusqu’au blocage[7] » du poème. Elle ne visera néanmoins qu’à tenter d’apercevoir une telle disposition cardinale dans cette œuvre décisive publiée en 1953 qu’est Du mouvement et de l’immobilité de Douve[8], dont on aperçoit d’emblée, par la formulation, ce brouillage » et ce blocage[9] » puisque Du mouvement de Douve » construit prosodiquement un continu résonant puissant que l’intercalation de la seconde et contradictoire opération mobilisant l’écriture, de l’immobilité » après celle du mouvement », vient comme défaire en son cœur. La pluralité sous la présence une expérience de la tension Dominique Combe a noté combien Les Métamorphoses d’Ovide constituait l’arrière-plan du mouvement’ de Douve, soumise à d’incessantes transformations[10] ». Combe montre ainsi qu’effectivement un pôle de la pluralité nourri, entre autres, de lectures et réénonciations, est à l’œuvre dans Douve ; mais il faudrait aussitôt préciser combien un tel pôle est travaillé par son opposé, celui qui tente de rédimer une telle pluralité, et alors apercevoir combien une telle pluralité vive ne se constitue finalement que comme arrière-plan », soubassement », voire moment dépassé, du moins dépassable, dans une dialectique de l’écriture qui engagerait la pluralité sous la présence, sous son unité homogénéisante atteinte dans et par le poème. Douve vient continuer chez Bonnefoy un amour du surréalisme dont il précise qu’il révélait – et paraissait même rendre immédiatement et facilement praticable – ce qu’on a nommé plus tard l’écriture, c’est-à-dire l’écoute que l’on peut faire durer, dans les mots que nous traçons sur la page, de la pluralité des voix qui hantent notre inconscient et troublent d’ailleurs déjà notre parole ordinaire[11] ». Douve, le personnage qui construit l’unité du livre voire le continu de sa vocalité, est multiple voire indéfinissable. Il semble évident qu’il faille parler de personnage puisque la première section de Douve pose un Théâtre » 45-63 même si Bonnefoy invente une théâtralité du poème qui fait de la persona plus un porte-voix qu’une consistance psycho-narrative en variant les modalités de la venue sur la scène du poème. Ce que j’essaie d’apercevoir en suivant les scènes de ce Théâtre ». En I, le voir du narrateur multiplie les formes de vie de Douve courir », lutter », se rompre » et jouir ». En II, la vie ensemble permet d’entendre des reprises de voix comme cousus par un plutôt » qui indique bien que Douve engage des choix qui, certes, dessinent un destin mortel mais affirment quoiqu’en dise le narrateur une ivresse imparfaite de vivre ». En III, si Douve semble prise dans et par ce destin, ses gestes » et ses seins » poursuivent une pluralité constitutive que le finale, tu régnais enfin absente de ma tête », tente de récupérer dans une absence destinale homogénéisée. En IV, les naissances de Douve à chaque instant », bien évidemment ramenées in fine au verbe mourir », sont confirmées au moins par deux états signalés par le narrateur lande résineuse endormie près de moi » et village de braise ». Que Douve puisse passer de la lande » au village » montrerait à l’envi le pouvoir métamorphique de son mouvement » propre. En V, le statut du dernier vers déroge par le trop plein à la métrique par trop mécanique des alexandrins précédents et surtout du premier quatrain puisque déjà le deuxième vers décasyllabique du second quatrain dérogeait ces gestes de Douve » rythment anaphoriquement par trois fois ce dernier vers tout en pestant contre la métrique immobilisante alors même que le sémantisme voudrait y conduire, à l’immobilité. En VI, même si la disparition est mise en scène, le questionnement adressé multiplie les figures de l’interlocutrice rivière souterraine » ; lente falaise d’ombre, frontière de la mort », Douve qui est in fine accueillie par des bras muets », les arbres d’une autre rive » et donc disparaître multiplement. Ce que poursuit la scène VII avec les quatre qualifiants blessée confuse », prise », complice » et ensablée ». Toutefois le distique final 12+6 achève cette pluralité dans un beau geste de houille » qui va ouvrir une dislocation » des menuiseries faciales » en VIII pour laisser opérer la musique ». Est-ce alors une vocalité encore pleine de voix ou dorénavant Douve disant Phénix » ainsi que la scène IX conclut en concentrant dans cette figure mythologique toute la persona de Douve pourtant être défait » mais que l’être invincible rassemble ». Si la scène X engage une reprise de Je vois Douve étendue » à l’incipit de X, XII, XIV, c’est bien pour arrêter de l’adresse dialogique Je te vois étendue ». Ce principe de reprise fait toutefois entendre non une répétition mais une résonance ou, en l’occurrence, un écho qui ne cesse de prolonger la vocalité de Douve, mais c’est pour la laisser se défaire sous l’ombre unitaire de l’araignée massive ». La scène XI prépare ce qui réduira à une prosopopée toute voix possible ; aussi l’accumulation couverte », parcourue », soumise », parée » organise-t-elle plus une téléologie qu’une aventure Fontaine de ma mort présente insoutenable » conclut dans le bégaiement consonantique en /t/. La scène XII renoue avec la tension première puisque Douve rayonne » ; aussi la scène XIII renoue avec le tutoiement même si l’affirmation quasiment christique, Ceci est une image », défait toutes les images », c’est-à-dire les proférations vocales d’une pluralité de Douve et donc de la relation on passe bien de ton visage » au mot visage » qui n’a plus de sens » où le réalisme l’emporte sur le nominalisme. Mais les revenants des yeux », des thorax », des têtes » de toutes parts » de la scène XIV montrent combien le poème est tiré par un nominalisme foncier que réitère le tutoiement de la scène suivante qui toutefois réduit le visage » déjà évoqué à un profil » et un dernier sourire » pour voir se calciner / le vieux bestiaire cérébral », c’est-à-dire cette multiplication des revenants. S’apercevrait ici – mais n’est-ce pas toute la tension qui agite entièrement Douve – ce que Georges Didi-Huberman appelle le point de vue de la survivance et du désir inconscient qui la soutient » en maintenant vive la question Pourra-t-on jamais prévoir ce qui, du passé, est appelé à survivre et à nous hanter dans le futur[12] ? » Toute la scène XVI indique cette tension entre le dynamisme des survivances nos pentes » et des soleils » voire aux étages inférieurs » et l’immobilisation d’une fin Demeure », filet vertical de la mort » et l’espace funèbre ». Mais même la mort est démultipliée dans des incorporations, un peu à la manière des planches de Vésale, que la scène XVII rejoue en un maintenant » répété cinq fois à la rime pour autant de recommencements de Douve. Ce que viendrait confirmer la scène suivante, certes comme compte rendu d’une rencontre post-mortem mais bien vive, cette rencontre où le narrateur avoue, à contre poème puisque vivante, de ce sang qui renaît et s’accroît où se déchire le poème » je soutiens l’éclat de tes gestes ». La scène XIX rétablira le poème » ainsi entendu à la fois par sa métrique assurée en deux quatrains d’alexandrins pour ne laisser pavoiser » que des liasses de mort » sur le sourire » de la morte. Est-ce l’échec d’une pluralité vive de la voix que cette ouverture tentée dans l’épaisseur du monde », ainsi que l’affirme le dernier vers de ce Théâtre » inaugural de Douve ? Le poème est-il condamné à l’ouvert conçu comme ozone majeur » et donc chute ou vertige, tentative vouée à l’échec ? Le Théâtre » qui ouvre Douve pose une tension forte qu’il nous faut poursuivre même si nous avons d’ores et déjà aperçu combien toute pluralité comme caractère dynamique du mouvement de Douve en tant que persona, c’est-à-dire résonateur vocal, est rapidement destinée à se soumettre à ce que Bonnefoy appelle la Présence ». En l’occurrence, une telle Présence » constituerait pour le poème un régime destinal il fallait que » à la tonalité hiératique roulant sur les /r/ du second verset de la scène pénultième. Verset bien mesuré par l’alexandrin et d’un site funèbre où ta lumière empire » serti entre 144-4-4-2-syllabes découpage peut-être plus prosodique que métrique et un 74-3-syllabes, où les preuves » s’achèvent dans l’épreuve » il fallait qu’ainsi tu parusses aux limites sourdes, et d’un site funèbre où ta lumière empire, que tu subisses l’épreuve ». Est-ce le seul moyen d’assurer le continu du poème d’ainsi le condamner à déchirer sa vocalité plurielle pour une unité destinale ? Le continu sous l’unité le blocage après le brouillage Avant d’en venir à la dernière séquence de Douve, Vrai lieu », et donc d’observer combien elle tente d’assurer une vérité destinale à la relation ou voix engagée par Douve dans sa pluralité même, le Théâtre » inaugural a d’emblée posé cette tension entre unité et pluralité, nous l’avons vu, en l’orientant décisivement et, peut-on oser le dire, malheureusement de la voix vers le lieu, d’un continu pluriel vers une totalité-unité. Toutefois Bonnefoy maintient la tension avec la séquence qui suit ne serait-ce que par le titre au pluriel, Derniers gestes », même si l’on devait tout de suite ajouter … pour une geste ». Il semble que ce soit bien le cas puisque malgré cette pluralité rejouée maintes fois dans la séquence comme un continu vocal, celle-ci se voit soumise au régime plus puissant des figures tutélaires unifiantes du seul témoin », du vrai nom », du Phénix » et du vrai corps » pour s’achever par un art poétique » qui invoque une autre figure réductrice, la Ménade ». Jean-Pierre Richard remarquait incidemment combien ces figures » d’autres viendront dans les séquences suivantes telles Cassandre, voix ardente de la catastrophe, le phénix, mort brûlé et ressorti vivant de sa brûlure, la salamandre, chair qui se fait pierre et traverse le feu » qui possèdent un grand pouvoir de retentissement » ont, d’autre part, l’inconvénient de mettre en quelque façon la rêverie, et donc le réel, à distance, de résoudre en elles le paradoxe au lieu de nous obliger à en épouser personnellement le trajet ? » Et le poéticien de s’interroger A ce niveau d’universalité et d’abstraction, le mythe est-il donc si loin du concept[13] ? » On ne peut que pousser cette interrogation de Richard pour confirmer combien Bonnefoy oriente l’écriture mythique non du côté de l’epos mais bien toujours du muthos, non du côté de l’aventure vocale dans et par son continu trans-subjectif mais plutôt de la vérité quand les mythes, dans leur pluralité même, n’ont ni vérification ni sanction autre que celle d’une reprise infinie, de réénonciations qui constituent un racontage continuée au sens de Walter Benjamin[14]. Contentons-nous de quelques remarques sur Vrai nom » 73 qui réduit les gestes à un seul geste ou une seule geste, celui de la nomination Je nommerai » même si cette activité est dynamisé par des effets de liste quatre éléments dans le premier quatrain puis trois compléments au verbe détruire » dans le septième vers, reprise du et » lançant dans le dernier quatrain que renforce la reprise anaphorique des deux derniers vers dans mes mains » et dans mon cœur ». Reste que la vision est orientée décisivement vers ce pays qu’illumine l’orage ». La dramatisation du désert » à l’orage » en passant par la guerre » construit une apparition qu’ouvre la nomination comme un baptême Je te nommerai » sous une aurore naissante » pour reprendre le titre du livre de Jacob Böhme paru en 1612 mais cette vocalité de l’adresse comme appel Je viens » est toutefois ramassée préalablement par le titre dans le vrai nom » qui éteint toute énonciation-relation. La confirmation de cette orientation est forte dans le distique final de Vrai corps » Douve, je parle en toi ; et je t’enserre / Dans l’acte de connaître et de nommer » 77. Douve n’est plus la voix possible d’une aventure du poème résonnant puisqu’au J’écoute » d’un Apollinaire[15], est préféré un nommer ». Mais Douve parle » ! Ainsi titre la troisième séquence même si la réciprocité dialogique est dès le premier quatrain reversé à la nomination plus qu’à la relation A peine si je sens ce souffle qui me nomme ». Reste que cette réciprocité réintroduit du vocal toutefois insituable Quelle divine ou quelle étrange voix » bien qu’assigné à un séjour Eût consenti d’habiter mon silence ? » la relation se voit alors sortie du langage. C’est tout le paradoxe des poèmes qui suivent et titrent Une voix » puis Une autre voix » alors même que la désénonciation de la relation est engagée aussi n’est-il plus question que d’absence de toute densité » la séparation s’effectue entre une pauvre parole » et un plus grand cri qu’être ait jamais tenté ». Si alors, encore, Douve parle » et que Une voix » se fait entendre au moins deux fois dans les poèmes qui suivent, c’est pour confirmer cette relation impossible que la poésie du poème instaure, cette mort de la relation, cette houille » 88 Je ne suis que parole intentée à l’absence / L’absence détruira tout mon ressassement / Oui, c’est bientôt périr de n’être que parole, / Et c’est tâche fatale et vain couronnement » 89. N’être que parole », dans et par ce qui s’entend comme un psittacisme reprises de que parole », de l’ absence » signalées comme ressassement » généralisé, pointe une défaillance quasi ontologique du langage que le poème n’a plus qu’à répéter sans voix Tais-toi », Et parole vécue mais infiniment morte », 92, comme l’a justement ressassé tout un mallarméisme de l’universel reportage ». Aussi, Douve fait passer insensiblement le poème de la voix dans sa pluralité au lieu dans son implacable unicité. Le programme est très clairement indiqué à l’incipit de la quatrième section qui paradoxalement semble concrétiser toute la démarche avec un nom de lieu L’orangerie » Ainsi marcherons-nous sur les ruines d’un ciel immense, / Le site au loin s’accomplira / Comme un destin dans la vive lumière » 93. Le lyrisme vient même célébrer cette orientation O terre d’un destin ! » 95. Pourtant, l’adresse et donc la relation vocale reprend dans La salamandre » puis dans les poèmes qui suivent jusqu’à cette déclaration L’orangerie sera ta résidence » 104. Mais ce statisme d’un habiter le monde appelle alors la Vérité », titre du dernier poème auquel, certes, s’ajoute un distique. Cette vérité » est explicitement une illumination dévoilante Le soleil tournera, de sa vive agonie / Illuminant le lieu où tout fut dévoilé ». Le site perd alors toute historicité pour devenir fondation d’une ontologie pleine tout », un Vrai lieu » comme si tous les autres lieux étaient faux ! S’expliquerait alors le fait que la tonalité métrique qui dispose une série sémantique à la rime derrière la maison » guérison » et oraison » 107, c’est-à-dire le soin et la prière jusque dans la Chapelle Brancacci », poème suivant 108 qui souligne in fine le vain chemin des rues impures de l’hiver », l’impossibilité des passages, des retours de vie. Le poème est condamné à célébrer le lieu du combat » 109-110 ou, n’est-ce pas la même chose, le lieu de la salamandre » 111 tenir au sol et retenir son souffle dernier vers, 111 résument cette théologie négative Ce sera dans la nuit et par la nuit », 110 que la figure du dernier cerf » 112 va rejouer dans un vrai lieu » d’autant que si soudain » il s’évade », est déclarée inutile » toute poursuite » ! Le poème se fond dans la mécanique céleste Le jour franchit le soir, il gagnera / Sur notre nuit quotidienne » pour célébrer dans ce que Jean-Pierre Richard appelle une rêverie de l’à travers[16] » O notre force et notre gloire, pourrez-vous / Trouer la muraille des morts ? » 113. Si la prosodie s’intensifie dans ces roulements des /r/, elle laisse aussi le poème s’achever dans un quasi murmure qui éteint l’adresse qui perd sa voix, au sens d’une relation ouvrant à des rapports autant qu’à des histoires – les uns et les autres engageant d’incessants mouvements –, pour mieux trouver son site, son immobilité le lieu des essences immuables qu’aucune nuit quotidienne » ne peut alors dissimuler. Aucune démonstration véridictionnelle dans ce qui précède autre qu’une tentative d’écoute de ce qui hésite à même l’écriture de Douve. Antoine Raybaud a relevé l’ambiguïté du Tu, non simplement dans la déploration sur la frontière de la perte, mais sur les chemins et dans les espaces de l’égarement du perdu ». Il montrait que, conséquemment, le Je est à la fois aux prises avec la traversé d’un lieu …, et, en même temps, la scène et le mobile de multiples mémoires, et par là, d’une parole mémorielle, inépuisable mise en scène parolière de beaucoup de cultures, leur reviviscence dispersée en échos entrecroisés et en perspectives éclatées[17] ». Il semblerait donc que sa lecture se soit orientée en sens inverse de notre mise en perspective et ait proposé une vision du vrai lieu » comme tumultueux et fragmentaire, celui-là », défaisant donc ce que Bonnefoy, semble-t-il, présuppose bel et bien l’unité-totalité d’un vrai corps » et d’un vrai nom »… Mais Raybaud avait bien signalé qu’une telle pluralité n’aboutit pas à un continu du poème puisqu’il soulignait combien cette pluralisation est, d’une part, seulement esquissée » et, d’autre part, dispersion[18] » plus que relation. D’aucuns avaient d’ores et déjà repéré des inflexions fortes dans l’œuvre d’Yves Bonnefoy après l’écriture de Douve Philippe Jaccottet signalait combien Dans le leurre du seuil se distinguait des précédents livres publiés par Bonnefoy puisque, dans ce livre de 1975, le poème, enfin, ne se joue plus sur un théâtre mental, dans le monde trompeur des essences. Il a pour la première fois pris pied dans la réalité concrète, nommable, d’un lieu, particulier, d’une saison datable[19] … ». Et Bonnefoy reprendra lui-même le motif de l’inflexion en notant, dans Le Nuage rouge, que Dans le leurre du seuil ouvrait à la Présence, oui, et cette fois plénière autant qu’immanente, et avec même des mots à sa disposition, on le voit mots quotidiens, de parole ». L’intensification de la Présence » cette fois plénière » qui passerait paradoxalement par un prosaïsme du choix des mots ou de l’énonciation mots quotidiens, ou de parole » ne me semble pas modifier l’hésitation cardinale de l’écriture de Bonnefoy que j’ai tenté de souligner dans Douve. Resterait à poursuivre le travail d’observation mais la formulation même de Bonnefoy indique bien qu’au contraire, il s’agira de rendre plénier ce qui ne l’était pas encore ; bref, Bonnefoy a bel et bien engagé son écriture dans une hésitation entre le lieu et la voix qui assigne celle-ci et donc sa pluralité interne et externe à l’unicité de celui-là Je crie, regarde, / Le signe est devenu le lieu » 288 quand le poème comme relation fait de tout signe de vie un signe de voix. Jean-Pierre Richard signalait, dans le registre d’attention qu’il a su admirablement développer, que chez Bonnefoy l’usure pathétise l’objet et le temporalise, mais sans en attaquer vraiment le grain[20] » ; on pourrait ajouter que toute la construction de Bonnefoy ne le permet pas puisque si, pour lui, il y a un dire parmi les hommes, une parole sans fin[21] », ce n’est pas pour en observer avec surprise les granulations voire pour en exalter la pluralité, mais tout au contraire pour que le poème s’immobilise dans une déréliction statique puisqu’il ajoute, mais n’est-ce pas une matière aussi vaine et répétitive que l’écume, le sable ou tous ces astres vacants ? Quelle misère que le signe[22] ! » Oui, mais la parole est irréductible au signe dès que voix et relation ! Ce que paradoxalement montreraient à l’envi les poèmes de Bonnefoy eux-mêmes dans leur hésitation entre le signe et le poème[23] », le lieu et la voix, l’unité et le continu. [1] Yves Bonnefoy, Lettre à John E. Jackson » 1980 dans Entretiens sur la poésie 1972-1990, Paris, Mercure de France, 1990, p. 88-116. La citation est à la p. 94. [2] Roberto Mussapi et Jean-Yves Masson n’hésitent pas à maintenir l’indécision générique ne serait-ce qu’en titrant leur étude Douve, un thriller métaphysique » dans Yves Bonnefoy, Paris, L’Herne, 2010. [3] Je cite ici une formulation de Jean-Pierre Richard dont l’étude de février 1961 reprise dans Onze études sur la poésie moderne Paris, Seuil, 1964, p. 254-285 nourrit ce travail alors même que Richard propose d’emprunter la voie mauvaise » la voie à la fois enchanteresse et maléfique du concept » que dénonce Bonnefoy ! Où Richard pointe tout au long de sa lecture la vision de l’hésitation chez Bonnefoy Tous les essais de l’Improbable, et même quelques poèmes de Douve ou de Hier régnant désert, nous racontent ainsi la présence, nous disent ce qu’elle est et comment la chercher, mais ne nous engagent pas, concrètement, dans cette quête » p. 259. L’hésitation passe d’ailleurs de Bonnefoy à Richard quand ce dernier avoue qu’avec Bonnefoy, mieux vaut s’abandonner à ses poèmes La meilleure façon de les lire, me semble-t-il, serait de s’enfoncer aveuglément dans leur ressassement et dans leur nuit, de laisser résonner en soi leur note sourde, d’ouvrir son regard à leur matité », pour aussitôt ajouter contradictoirement qu’ il faudrait aussi les traverser comme des épiphanies …, bref, il faudrait décrire, si ces mots possèdent quelque sens, les catégories sensibles de la présence chez Bonnefoy » p. 260-261 ! Mais le poéticien s’y perdra dans cette consistance » p. 281 et devra recourir à nouveau au concept, à ce qu’il va appeler la double vérité de la présence et de la conscience » p. 283. [4] Yves Bonnefoy, Entretien avec John E. Jackson » 1976 dans Entretiens sur la poésie, op. cit., p. 85. [5] Yves Bonnefoy, Lettre à John E. Jackson » 1980 dans Entretiens sur la poésie, op. cit., p. 94. Les indications de pages qui suivent renvoient à cette Lettre ». [6] Voir, entre autres, Pierre Jacerme, Martin Heidegger et Jean Beaufret un dialogue », Revue philosophique, 4/2002, p. 387-402. Voir, en particulier, la p. 396. [7] Voir Patrick Quillier, Entre bruit et silence Yves Bonnefoy, Maître de Chapelle ? Esquisses acroamatiques », Littérature n° 127, 2002, p. 18. [8] Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l’immobilité de Douve 1953 dans Poèmes, Paris, Gallimard, Poésie », 1982, p. 43-113. Dorénavant, les seules indications de pages vont à cette édition. [9] Ibid. [10] Dominique Combe, L’ultime Rome’ Yves Bonnefoy et la latinité », Europe n° 890-891, juin-juillet 2003, p. 161. [11] Yves Bonnefoy, Lettre à John E. Jackson » 1980 dans Entretiens sur la poésie, op. cit., p. 90. [12] Georges Didi-Huberman, L’image survivante, Histoire de l’art au temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002, p. 512. C’est l’auteur qui souligne. [13] Jean-Pierre Richard, Onze études…, op. cit., p. 274. [14] Walter Benjamin, Le Raconteur, trad. Sibylle Muller, Strasbourg, Circé, 2014. Bonnefoy aurait certainement pu souscrire à une des orientations de Benjamin La mort est la sanction de tout ce que le raconteur peut relater. C’est à la mort qu’il a emprunté son autorité » p. 21. Mais une telle orientation engage la mémoire comme un véritable bien commun », précise Georges Didi-Huberman dans un commentaire serré de cet essai de Benjamin Blancs soucis, Paris, Minuit, 2013, p. 110. Bonnefoy me semble éviter un tel engagement. [15] Guillaume Apollinaire, Sur les prophéties », Calligrammes, Poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916 dans Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, Pléiade, 1965, p. 186-187. [16] Jean-Pierre Richard, Onze études…, op. cit., p. 280. [17] Antoine Raybaud, Le tu de Douve » dans Michel Collot et Jean-Claude Mathieu dir. Poésie et altérité, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1990, p. 61-70. La citation et celle qui suit vient du paragraphe conclusif. [18] Ibid., p. 69. [19] Philippe Jaccottet, Une lumière plus mûre », L’Arc n° 66, paris, 1976, p. 25. [20] Jean-Pierre Richard, Onze études…, op. cit., p. 281. [21] Yves Bonnefoy, L’arrière-pays, Genève, 1972, Albert Skira, p. 22. [22] Ibid. [23] Je reprends ici le titre de l’ouvrage de Henri Meschonnic Paris, Gallimard, 1975 qui a osé écrire que le deuil sied à la poétisation » dans Célébration de la poésie, Lagrasse, Verdier, 2001, p. 114. Il y aurait alors à tout reprendre pour apercevoir que Bonnefoy n’est pas tant porté par la mort, telle mort, que par le deuil… Mais nous retrouverions également ce que nous avons peut-être qu’aperçu ici une essentialisation-poétisation qui perd le continu et la pluralité de la voix pour le lieu, le poème pour la poésie… Séminaires de Serge Martin Université Sorbonne nouvelle Paris 3 en 2015-2016 programmes précis à venir – pour information, tous ces séminaires sont ouverts à tous à condition d’accepter de faire partie de la liste de diffusion qui est distribuée à chaque séance Au premier semestre du 21 septembre au 17 décembre 12 séances Un séminaire de M1, le jeudi matin de 9h à 11h Littérature et enseignement anthologie de voix » certains aspects de ce séminaire paraîtront sur ce carnet Trois séminaires de M2 – le mercredi de 13h à 15h Théories et didactiques de la littérature une question de voix » on peut le suivre sur ce carnet à l’onglet 7 – le jeudi de 13h à 15h Littérature de jeunesse poétique et didactique du racontage » on peut le suivre à cette adresse à l’onglet 4 – le mercredi de 15h à 17h Méthodologie du mémoire de recherche voies et voix de l’essai comme expérience de recherche » on peut le suivre en allant à cette adresse Toute l’année Séminaire avec Aline Bergé maîtresse de conférences à Paris 3 au Musée du Quai Branly de 17h30 à 19h30 les jeudis 15 octobre, 19 novembre et 10 décembre 2015 ; 21 janvier, 18 février, 17 mars, 7 avril et 12 mai 2016 Histoires de gestes littérature et anthropologie seconde saison » Au second semestre Séminaire doctoral avec Cécile Leguy professeure à Paris 3 à Censier les mercredis 27 janvier, 3 et 24 février, 9 et 23 mars et 13 avril 2016, de 14h à 16h Gestes et voix une anthropologie poétique des arts du langage seconde saison » Séminaire doctoral avec Jean-Louis Chiss professeur à Paris 3 à Censier les jeudis 28 janvier, 4 et 18 février, 10 et 24 mars et 14 avril 2016, de 14h à 16h Penser/enseigner le sens du langage première saison » Nous proposons ici une édition critique de quelques comptes rendus de Jarry, sans introduction théorique ou contextualisation préalable tout est dans les notes. Et nous avons fait choix de laisser le lecteur les découvrir à sa guise… G. La Natalité en France en 1900 Bernard.2 On comptait, en France, 32 naissances sur mille habitants en 18013. Il n’y en avait plus que 22 en 18954, et ce chiffre ne s’est relevé, depuis 1898, qu’à 22,15. Or, le coefficient des décès se maintenant actuellement à 22,26, la France se dépeuple7, ou plutôt se dépeuplerait sans l’immigration et peut-être la collaboration personnelle des immigrants8. Quelle est la cause de cette dépopulation ? Car le coef­ficient des mariages est demeuré constant 7,49. Mais la plu­part sont inféconds10, soit que les conjoints abusent, pour diverses raisons, à Paris plus qu’en tout autre pays, du restraint moral de Malthus11 ; et, de fait, les restraints moraux » des meilleurs faiseurs se fabriquent à Paris12, comme leur nom l’indique ; soit que beaucoup de Français soient, selon l’observation du Dr Émile Maurel, hérédo-arthritiques à la troisième et à la quatrième générationA, état dû lui-même à la suralimentation azotée13. Le vrai coupable serait, dit-on, l’alcoolisme14. M. Bourneville, sur 1 000 enfants idiots, imbéciles, épileptiques, recueillis à Bicêtre, établit que 500 seraient conçus par des pères ou mères alcooliques15. Nous nous révoltons contre la partiale absurdité de cet argument, car, du moment qu’il y a balance égale, nous pouvons conclure aussi bien que 500 sur 1 000 des épileptiques et idiots susmentionnés sont conçus par des parents sains. C’est d’ailleurs une loi que les tares ne sont jamais immé­diatement héréditaires16. Le premier descendant d’un alcoo­lique n’est pas alcoolique scrofuleux17 quelquefois, et pas toujours. Le Dr Laborde18 et plusieurs éminents médecins s’élèvent contre l’alcoolisme à sa première période, à qui ils reprochent sa fécondation immanquable, inconsciente et bru­tale, parce que cette période est celle de l’excitation en même temps génitale et spécialement générique19 ; mais dont les produits sont eux-mêmes incapables de se reproduire20. Ces mêmes spécialistes conviennent aussi que les non-alcoo­liques sont fréquemment impuissants21. Nous tirerons, de ces sophismes mêmes, leur conclusion qui les réfutera les non-alcooliques, les gens sains22 actuels, sont assimilables à de très anciens descendants d’alcooli­ques, et ceci explique qu’ils soient, le plus souvent, comme les fils d’alcooliques, inaptes à la reproduction. NousB présentons la clé de cette méthode dans une loi, que nous appellerons formule de l’alcoomètre repopulateur, laquelle nous paraît un pendant parfaitement valable à la théorie malthu­sienne connue, de l’accroissement géométrique des nais­sances et arithmétique des ressources alimentaires du globe Pour que la population croisse en progression arithmétique23, il faut que l’alcoolisme nombre des alcooliques et degré de leur alcoolisation croisse en progression géométrique24. Variantes a générations b reproduction. Les seuls reproducteurs valides, les alcooliques, ne font souche que d’une génération, parce que celle-ci, suivant une loi d’alternance, n’est pas elle-même alcoolique. Il faudrait, pour qu’elle le fût, soumettre ses tissus mithridatisés à une intoxication alcoolique supérieure dans des proportions déterminées. La plus élémentaire logique conseille à l’hygiéniste et au législateur de donner tous ses soins à cette alcoolisation méthodiquement crois­sante. Nous Mme Hudry-Menos La Femme Schleicher.25 Étude glorificatrice de la femme à travers les âges, tant ceux de l’histoire26 que ceux de son individuelle existence27. La femme n’est pas plus faible, physiquement, ni cérébralement que l’homme, ou plutôt elle ne l’est devenue que par des siècles d’asservissement28 ; elle n’est pas non plus l’éter­nelle malade29 la rupture périodique des follicules de Graaf n’est pas une maladie30. D’où légitimité de toutes les revendi­cations actuelles du féminisme31… Une, nous semble-t-il, manque. Puisque les femmes postulentA l’accès à toutes les fonctions sociales32B, qu’elles se prévalent d’illustrations surtout guerrières33, telles que Jeanne d’Arc34 et Jeanne Hachette35, qu’elles sont générale­ment plus patriotes que les hommes, il nous semblerait urgent avant toute autre réforme, d’étendre à leur sexe les glorieuses prérogatives du service militaire36. Variantes a demandent barré postulent b tous les emplois sociaux barré toutes les fonctions sociales Albert de Pouvourville L’Empire du Milieu Schleicher.37 Voici, présenté dans un précis historique et géographique38 excellent39, ce peuple chinois, vers qui l’Europe se tourne40 ; peuple de civilisation si absolue qu’elle est immuable41, contrepied de la nôtre42, ce qui donne à penser peu de bien de la nôtre. 2600 ans avant l’ère chrétienne, les Chinois se servaient usuellement de la boussole43 ; en 2000, ils connaissaient l’astronomie et le calendrier44 ; en 1000, la sphéricité de la Terre et son aplanissement aux pôles45 ; en 400 avant Jésus-Christ, la poudre et les canons46. De tous temps, leurs beaux-arts atteignirent une perfection que nous ne commençons qu’à découvrir. L’Europe se bat contre les Fils du Ciel47 pour obéir à cette loi que la barbarie attaque toujours la civilisation48. Elle peut momentanément vaincre, parce que, dit M. de Pouvour­ville49, il n’y a pas d’armée permanente en Chine, aucune considération ne s’attache au métier des armes50 dans le peuple, on ne recrute comme soldats que les mendiants et les vagabonds ; et les familles n’envoient à l’armée, comme officiers, que ceux de leurs fils dont on ne saurait rien faire, ou qui ont mal tourné 51». En France, constaterons-nous, à l’aurore du XXe siècle, la crédulité et l’enthousiasme populaires sont restés aussi avides de légendes belliqueuses qu’aux temps fabuleux. De nombreux Français n’ont-ils pas, tout récemment, cru voir de leurs yeux par un phénomène d’hallucination collective qui n’est pas rare chez les peuples jeunes ce mythe solaire52, grandiose à vrai dire, du Guerrier dans les langues germa­niques, Krieger53 et Krüger54 ? Quant aux sages Jaunes, ils ne voudront la guerre que le jour où ils seront trop serrés les uns contre les autres ; ils sortiront, mais bon gré mal gré55 et seulement pour accomplir l’antique prédiction des lettrés du temps des Ming, l’exode de six cents millions d’hommes, qui changera la couleur du sang humain56. Léon Walras Éléments d’économie politique pure Pichon.57 Appliquer à l’économie politique ou théorie de la richesse sociale58 l’analyse mathématique, en un motA en faire une science exacte59, est une idée récenteB elle date de 1854 et du livre Entwickelung des Gesetze des Menschlichen Verkehrs60, où Gossen61 énonçaC les systèmes d’équations dont les fermages, les salaires et les intérêts62 sont les racines. En 1871 William Jevons63, professeur d’économie politique à Manchester, publia chez Macmillan sa Theory of Political Economy64, qui repose toute sur ce qu’il appelle équation d’échange 65». À peu près en même temps, un Suisse, Léon Walras66, for­mulait une loi d’échange rigoureusement identique, la condition de satisfaction maxima 67». Les économistes non mathématiciens, qui ont pour tous théorèmes des clichés La liberté humaine ne se laisse pas mettre en équation ; – les frottements sont tout dans les sciences morales, ne peuvent faire que la théorie de la détermination des prix en libre concurrence ne soit une théorie mathéma­tique68. Raisonner non mathématiquement, c’est en somme faire de fausse mathématique69 tantôt déterminer une même inconnue au moyen de nE équations, tantôt faire servir une seule équation à déterminer n inconnues70. Il est douteux que de telles méthodes puissent être indéfiniment opposées à celle qui veut constituer l’économie politique pure en science exacte71, et soient bonnes à autre chose qu’à obtenir des solutions propres à charmerF l’espritG par leur variété. Voici une des formules de M. Walras Les prix ou les rap­ports des valeurs d’échange sont égaux aux rapports inverses des quantités de marchandises échangées72. Cette loi a été prouvée historiquement de façon très apparente ; l’émission de 30 à 40 milliards d’assignats a abaissé de 100 à 2,5 ou 3 la valeur de l’intermédiaire d’échange73. On ne peut répéter cette magnifique expérience aussi souvent qu’il le faudrait, dit M. Walras, pour convaincre les adversaires de la loi de la quantité74 ; et c’est pourquoi il est fort heureux que l’éco­nomie soit une science où le raisonnement vient suppléer au défaut ou à l’incertitude de l’expérience. 75» Nous verrions volontiers, au contraire, un savant modeste éditer pour quelques millions de papier-monnaie76, à seule fin d’enH obser­ver ensuite avec sérénité la réaction. Il ne fera que per­fectionner la méthode des grands établissements financiers, lesquels ont ouvertement en circulation du papier pour une valeur triple c’est le chiffre le plus usité de leur encaisse métallique. Le métal est un poids mort, un sabot de frein77, disent les économistes amétallistes ; la société n’est pas plus constituée pour liquider qu’un chariot pour s’arrêter ; il doit seulement pouvoir. 78» À quoi bon, puisque le Monde, le plus vieil établissement d’échange, ne peut pas non plus embrayer ? Mais il ne faudrait pas conclure que nous soyons aucunement hostile à la théorie, jusqu’à présent ésotérique, de la fabrication de la monnaie fiduciaire79 en libre concurrence80. Variantes a c’est-à-dire barré en un mot b moderne barré récente c formula barré énonça d maximum barré maxima e deux barré n f distraire barré charmer g l’esprit addition interlinéaire h en addition interlinéaire Almanach du Père Ubu pour le XXe siècle en vente partout.81 Revue des plus récents événements politiques82, littéraires, artistiques83, coloniaux84, par-devant le père Ubu. Un trait de la silhouette de ce pantin est mis en lumière ici, qui n’avait point servi dans Ubu roi ni sa contrepartie Ubu enchaîné nous parlons de la… pataphysiqueA » du personnage, plus simplement son assurance à disserter de omni re scibili85, tantôt avec compétence, aussi volontiers avec absurdité, mais dans ce dernier cas suivant une logique d’autant plus irréfutable que c’est celle du fou ou du gâteux Il y a deux sortes de rats, professe-t-il par exempleB, le rat des villes et le rat des champs ; osez dire que nous ne sommes pas un grand entomologiste86 ! Le rat des champs est plus prolifique, parce qu’il a plus de place pour87C élever sa progéniture88… » L’almanach est illustré de très synthétiques89 dessins de Pierre Bonnard et accompagné de musique nouvelle90 par Claude Terrasse91. Variantes a la pataphysique b par exemple addition interlinéaire c place où Jean S. Barès Gramaire françaize Le Réformiste.92 Monsieur Jean S. Barès, qui fait, depuis quatre ans, dans Le Réformiste, une campagne en faveur de la sinplificacion ortografique 93», vient de publier la prézente gramaire destinèe a mètre a la portèe des intélijences seulement moyènes, les règles lojiques et sinples » de sa nouvelle ortografe ». On permétra ainsi aus enfants », dit-il, d’apprendre une grande partie des chozes qu’il faut savoir pour faire bone figure dans la bataille de la vie, pendant les anèes qu’ils perdent actuélement pour graver dans leur mémoire la multitude de caprices et de convencions dont la seule énonciacion révolte tout esprit de lojique. 94» Il semble que M. Jean S. Barès n’ait point considéré que l’orthographe n’est pas une science qu’on apprenne selon des règles, mais un usage, une habitude et en quelque sorte une mode. Elle se transforme continuellement, ainsi que le prouvent les sans cesse nouvelles éditions des dictionnaires, et le jour où elle s’avouera définitivement codifiée, c’est que la langue dont elle est le costume sera morte. Si les grammairiens ont déduit des habitudes du peuple et du caprice des grands écrivains ce qu’on appelle conventionnellement des règles d’orthographe et de syntaxe, afin de faciliter d’écrire aux enfants, et, comme dit M. Jean S. Barès, aus intélijences moyènes », ces soi-disant règles ne sont que des constatations de faits, comme celle-ci, par exemple le participe s’accorde en telles circonstances, – de même qu’onA dirait les feuilles de tels arbres tom­bent en automne. C’est un phénomène de la nature et il ne sert d’yB contredire95. Il suit de là que les exceptions de cesC règles» sont des règles aussi, mais qui s’appliquent à un seul ou à un petit nombre de cas. Vouloir uniformiser l’orthographe, c’est la tâche utopique poursuivie par Le Réformiste, en même temps que la supression des octrois, le relèvement de l’agriculture, la décentralizacion administrative et l’établissement d’un ser­vice militaire pareil pour tous. Il dézire établir l’égalité et dégrever le nécessaire en grevant le superflu 96»… même dans les motsD. Cette utopie ne laisse pas d’être inquiétante, car, de par maints assentiments universitaires et officiels, peu s’en faut qu’elle ne soit réalisée97. Les intélijences moyènes » apprendront à écrire plus facilement, mais… les autres, dont le temps est bien aussi pré­cieux, seront-elles forcées d’apprendre à lire ceE volapük98 ? Enfin, n’accusons point M. Jean S. Barès d’avoir inventé la grammaireF des fautes d’orthographe sans doute l’idée et la substance lui en furent-elles fournies par nos filles, nos femmes et nous-mêmes… qui sommes encore bien capables de refaire des fautes contre cette grammaireF des fautes ! Variantes a comme on barré de même qu’on b n’y a rien à y barré ne sert d’y c des prétendues barré de ces d même dans les mots. ne figure pas e le barré ce f le dictionnaire g le dictionnaire Notes 1 G. M. est Georges Méran, né à Bordeaux en 1843, avocat à Bordeaux et maire d’Arcachon information due à Bertrand Marchal ; qu’il en soit ici chaleureusement remercié. 3 Voir LNF, p. 20. Le nombre 1801 est une invention de Jarry. 4 Voir Ibid. 5 Voir Id., p. 21. 6 Voir Ibid. Jarry recopie improprement 22,1 » à la place de 21,2 », permutant 2 » et 1 ». 7 Voir Id., p. 19. 8 Citation indirecte, Jarry modifiant naturalisation des étrangers » en collaboration personnelle des immigrants » [L]a France […] ne se dépeuple pas, grâce à l’immigration et à la naturalisation des étrangers […] » Id., p. 24-25. 9 Cette information ne se trouve pas dans le livre de Georges Méran. 10 Citation indirecte […] la plupart des mariages inféconds sont dus à l’hérédo-arthritisme […] » Id., p. 28. 11 Citation indirecte De Malthus on ne connaît que le restraint moral et la progression géométrique et arithmétique […] » Id., p. 123. Remarquons que l’italique n’est pas de la main de Jarry elle est déjà présente dans ce passage de LNF […] ce qu’il appelle le restraint moral […] » Id., p. 46. 12 Voir Id., p. 54. En réalité, contrairement à ce que laisse entendre Jarry, Malthus ne prônait nullement l’usage de préservatifs, comme l’admet implicitement Georges Méran dans Id., p. 46 la remarque de Jarry entre ainsi en contradiction avec le propos de LNF. Par moral restreint », résume Annie Vidal, Malthus entend la chasteté hors mariage et l’ajournement du mariage pour les pauvres, idée qui en elle-même n’avait rien de révolutionnaire, le contrôle des naissances par la nuptialité étant une pratique courante avant le XIX° siècle » Annie Vidal, La pensée démographique, Doctrines, théories et politiques de population, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1994, p. 49. 13 Citation indirecte, Jarry modifiant affirme » verbe qui sous-entend l’énoncé d’une vérité scientifique en selon l’observation » formule qui suggère la présence d’une subjectivité, la perception par les sens étant, de plus, sujette à l’erreur, comme aime à le répéter Jarry dans ses chroniques Un hygiéniste, le docteur Emile Maurel, agrégé à la Faculté de Médecine de Toulouse, affirme que la plupart des mariages inféconds sont dus à l’hérédo-arthritisme à la troisième et à la quatrième génération ; cet état est dû lui-même à la suralimentation azotée […] » LNF, p. 28. 14 Sur les liens qui existent à cette époque entre l’alcoolisme et le problème de la dépopulation, voir Didier Nourrisson, Le buveur au XIX° siècle, Albin Michel, 1990, p. 186-187. 15 Citation indirecte, Jarry modifiant avaient été » en seraient » Sur mille enfants idiots, imbéciles, épileptiques, recueillis à Bicêtre, M. Bourneville établit que la moitié, soit cinq cents, avaient été conçus par des pères ou mères alcooliques » LNF, p. 35. 16 Jarry renverse le sens du passage suivant […] le boiteux engendre un boiteux, le bossu des bossus, le fou des fous ; la tare physique se lègue et se perpétue de génération en génération ; il en est de même de la tare morale, car il n’est pas que des contagions physiques, et c’est par l’hérédité, par l’atavisme que les philosophes expliquent les erreurs invétérées de l’esprit humain persistant d’âge en âge, de siècle en siècle, et que la science ne détruit qu’après de longs efforts » Id., p. 90. 17 Georges Méran ne le spécifie pas. Jarry puise par conséquent cette information ailleurs. Camille Raot écrit par exemple dans Natalité Les descendants d’ivrognes fournissent une proportion considérable […] de scrofuleux […] » Abbé Camille Raot, Natalité, Librairie Ch. Poussielgue, 1901, p. 86. 18 Jean-Baptiste-Vincent Laborde 1830-1903. Voir, au sujet de ce médecin, la chronique La morale murale ». 19 Citation indirecte, Jarry ajoutant le terme immanquable », qu’il met en relief par le biais de l’italique, écartant l’adverbe particulièrement », et maniant l’hyperbole car il ne s’agit pas de la parole de plusieurs éminents médecins » mais de celle du seul Laborde Mais il faut encore insister sur le rôle doublement lamentable de la passion alcoolique, ajoute M. Laborde, dans la procréation pour ainsi dire inconsciente et ainsi particulièrement brutale, à la première période de l’alcoolisme, c’est-à-dire à la période d’excitation en même temps génitale et spécialement générique, et par suite sur les conséquences héréditaires désastreuses qui en sont le résultat fatal » LNF, p. 41. 20 Jarry s’inspire du passage suivant, modifiant impuissants » en incapables » Ces résultats sont connus, c’est l’engendrement d’enfants impuissants à se reproduire, criminels et affaiblis » Id., p. 42. 21 Allusion au passage suivant Il est facile d’apprécier les conséquences de pareils résultats c’est ici que l’hygiéniste soucieux de la conservation de la race devrait intervenir pour rendre stériles les copulations des alcooliques, et fécondes celles des gens sains. Tel est le problème il semble insoluble. » Id., p. 42 En effet, la formulation jarryque [c]es mêmes spécialistes conviennent aussi que les non-alcoo­liques sont fréquemment impuissants » se construit sur la formulation suivante de Georges Méran c’est ici que l’hygiéniste soucieux de la conservation de la race devrait intervenir pour rendre stériles les copulations des alcooliques, et fécondes celles des gens sains », Jarry rebondissant sur la maladresse d’expression pour faire affleurer le sens, lorsque l’on pousse cette maladresse à son paroxysme, qui s’y trouve apparemment recelé s’il s’agit de rendre fécondes » les copulations » des non-alcooliques, cela peut supposer, indépendamment de l’utilisation des contraceptifs à laquelle Georges Méran fait allusion, que Jarry écarte pour les besoins de son propos volontairement méthodique, que celles-ci sont stériles. 22 Jarry renverse l’affirmation suivante […] ces dégénérés, ces pervers, produits de l’alcoolisme, et eux-mêmes alcooliques. » Id., p. 36 23 La progression arithmétique est 1 2 3 4, etc. 24 La progression géométrique est 1 2 4 8 16, etc. Jarry s’inspire pour l’énoncé de ce théorème fantaisiste de celui de Malthus, reproduit dans le livre de Georges Méran La doctrine de Malthus telle qu’il l’a formulée est peu connue dans son ensemble et dans ses conséquences ; on n’en a retenu que deux points le premier est la théorie de l’accroissement géométrique dans les naissances et arithmétique dans les ressources alimentaires que peut fournir notre globe » Id., p. 45. 26 Toute la première partie est en effet consacrée à la femme dans les diverses civilisations et aux diverses Périodes de l’Histoire. » 27 Toute la seconde partie est en effet consacrée à [l]’évolution individuelle de la femme ». 28 Citation indirecte, Jarry écartant le terme moralement » et modifiant séculaire » en des siècles », intellectuellement » en cérébralement » la femme est une créature anémiée physiquement, intellectuellement et moralement par une servitude séculaire […] » LF, p. 208 ; Hudry-Menos évoque en outre l’asservissement général de la femme » Id., p. 116. 29 Voir Id., p. 6, 117. 30 Citation indirecte, Jarry resserrant la formulation chaque mois […] doit se rompre » en rupture périodique » […] chaque mois, un ou plusieurs de ces œufs, appelés par le médecin follicules de Graaf, doit se rompre […]. Cette rupture de follicule n’est pas une maladie […] » Id., p. 115-116. 31 Jarry s’inspire fortement, pour sa formulation qui commence par La femme n’est pas plus faible […] », du passage suivant, en épousant la structure puisque l’utilisation qu’il fait des mots asservissement », malade », féminin[sme] » rejoint en tout point l’ordre de succession de ces termes même si Jarry modifie féministes » en féminisme » au sein du texte originel [E]n ces dernières années des groupes de femmes se sont partout formés pour protester contre cet asservissement maintenu malgré la transformation des idées et des mœurs. La science ne fait plus d’elle un être inachevé, un homme arrêté dans son développement. Elle sait qu’elle est une force distincte de la force masculine, – non une malade […] ; et elle s’efforce, partout où son émancipation est assez avancée, de fortifier son corps, son intelligence et son âme. C’est ce qu’on a appelé les Revendications féministes… » Id., p. 208 ; voir aussi Id., p. 215-216. La plus importante modification à laquelle procède Jarry tient au fait qu’il renverse le lien logique qui suggère une simple explication C’est ce qu’on » en lien de conséquence exprimé par D’où ». 32 Voir Id., p. 212, 213. 33 Voir Id., p. 62, 103. 34 Voir Id., p. 61, 62. 35 Voir Id., p. 66. 36 Le Réformiste prônait déjà l’établissement d’un service militaire pareil pour tous » Jean S. Barès, Gramaire Françaize, Aus bureaus du Réformiste, 1900, p. 105, phrase que Jarry cite dans son compte rendu du livre de Barès. Or, Jarry avec cette affirmation il nous semblerait urgent […] service militaire » fait implicitement référence au livre de Barès qu’il chronique puisqu’il écrira dans l’Almanach illustré du Père Ubu de 1901 notre grande revendication féministe, le service militaire non plus pour tous mais pour toutes » Alfred Jarry, Œuvres complètes, I, textes établis, présentés et annotés par Michel Arrivé, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 587. 38 Citation indirecte d’un passage qui concerne paradoxalement un autre ouvrage Description géographique, précis historique, institutions sociales, religieuses, politiques, notions sur les sciences, les arts, l’industrie et le commerce » EM, p. 180. Voir aussi Id., p. 9. 39 Jarry dresse l’éloge de EM en cherchant à balayer les doutes exprimés par son auteur voir Id., p. 7, 8. 40 Allusion à la phrase suivante [L]es tendances internationales actuelles contraignent la France à se tourner vers les choses de l’Extrême-Orient […] » Id., p. 9. 41 Citation indirecte, Jarry ajoutant le terme absolu » […] le problème apparaît formidable, quand l’étude se porte sur un peuple d’une civilisation antique, achevée, immuable désormais […] » Id., p. 8. Voir aussi Alfred Jarry, Œuvres complètes, II, édition établie par Henri Bordillon, avec la collaboration de Patrick Besnier et Bernard Le Doze, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1987, p. 93. 42 Voir EM, op. cit. 43 Hyperbole ou erreur de lecture de Jarry l’introduction de la boussole a lieu selon EM quelques années après […] 1110 avant Jésus-Christ » Id., p. 118. 44 Citation indirecte […] une civilisation déjà éclairée, 2000 avant Jésus-Christ. À cette époque, […] on connaissait l’astronomie et le calendrier […] » Id., p. 118. 45 Citation indirecte, Jarry modifiant aplatissement polaire » en aplanissement aux pôles » En 1000 avant Jésus-Christ, le premier code pénal fut institué […]. À la même époque remont[e] […] la connaissance de la sphéricité de la terre et de son aplatissement polaire. » Id., p. 118-119. 46 Citation indirecte Quatre cents ans avant Jésus-Christ, les Chinois connurent les propriétés de la poudre à canon […] » Id., p. 119. 47 Expression présente dans EM voir notamment Id., p. 164, 170. 48 Jarry fait allusion au passage suivant La race blanche, qui, à cause de son petit nombre et de son éloignement, est contrainte d’avoir, en Chine, recours à la puissance de ses engins de guerre et de destruction, rencontrera un obstacle vivant et perpétuel à son expansion, dans la personne de ces lettrés souriants, qui puisent dans la solidité de leur instruction et dans l’ancienneté de leurs doctrines la conscience de leur force morale et l’espoir de l’immortalité de leur résistance. » Id., p. 98. 49 Albert de Pouvourville 1861-1939 fut officier militaire, orientaliste, occultiste et poète. 50 Voir Albert de Pouvourville, La Chine des Mandarins, Schleicher frères, 1901, p. 136-139. 51 Voir EM, p. 83. 52 Jarry exprimera différemment cette idée dans l’Almanach illustré du Père Ubu de 1901 voir Alfred Jarry, Œuvres complètes, I, textes établis, présentés et annotés par Michel Arrivé, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 590. 53 Guerrier » en allemand. 54 Allusion à la venue le 24 novembre 1900 à Paris de Paul Krüger 1825-1914, président de la république du Transvaal et plus spécifiquement à la manière dont il fut acclamé par les personnes amassées à son passage. 55 Citation indirecte Bientôt le Chinois n’aura plus de place en Chine. […] Et la race déborde ; le jour où les Chinois seront trop serrés les uns contre les autres, bon gré mal gré, il leur faudra bien sortir de chez eux. » EM, p. 176. 56 Citation indirecte, Jarry abandonnant le terme formidable » dans la formulation exode formidable », laissant de côté la formulation renouvellera la face du vieux monde » ainsi que le terme sages » qu’il utilise ailleurs et modifiant sang des hommes » en sang humain » […] c’est le Japon qui mènera, à travers les steppes chinoises, sibériennes et russes, l’exode formidable de six cents millions d’hommes que prédirent les sages lettrés du temps des Ming et qui renouvellera la face du vieux monde et changera la couleur du sang des hommes » Id., p. 177-178. 58 Citation indirecte […] l’économie politique pure est aussi la théorie de la richesse sociale. » Économica, p. 11. 59 Citation indirecte Walras affirme que sa méthode veut constituer l’économie politique pure comme une science exacte. » Id., p. 21 60 Allusion à un autre livre de Léon Walras Études d’économie sociale Théorie de la répartition de la richesse sociale voir Léon Walras, Études d’économie sociale Théorie de la répartition de la richesse sociale, Lausanne, F. Rouge et Cie, 1936, p. 373. Le titre complet de l’ouvrage de Gossen est Entwickelung der Gesetze des menschlichen Verkehrs und der daraus fliessenden Regeln für menschliches Handeln et signifie exposition des lois de l’échange et des règles de l’industrie qui s’en déduisent ». 61 Hermann Heinrich Gossen 1810-1858, économiste. 62 Walras utilise cette formulation pour faire référence à ses propres travaux voir Économica, p. 3, à ceux de Walras Jevons Id., p. 17, mais jamais à ceux de Gossen. 63 William Stanley Jevons 1835-1882, logicien et économiste anglais. 64 Citation indirecte […] j’ai eu connaissance d’un ouvrage sur le même sujet, intitulé The Theory of Political Economy, publié en 1871 chez Macmillan & C°, à Londres, par M. W. Stanley Jevons, professeur d’économie politique à Manchester. » Id., p. 2. 65 Voir Léon Walras, Éléments d’économie politique pure ; ou, Théorie de la richesse sociale, L. Corbaz & Cie, 1874, p. VII. 66 Léon Walras 1834-1910, économiste, occupa la chaire d’économie politique de l’Université de Lausanne Suisse. 67 Citation à la fois directe et indirecte, Jarry modifiant équation » en loi » et maximum » en maxima » […] équation d’échange […] qui est rigoureusement identique à celle qui me sert à moi-même de point de départ et que j’appelle condition de satisfaction maximum. » Economica, p. 2. 68 Citation indirecte […] Ils ne feront pas que la théorie de la détermination des prix en libre concurrence ne soit une théorie mathématique […] » Id., p. 21. Le passage en italique est de la main de Jarry. 69 La première partie de cette phrase naît du passage suivant […] ils seront toujours » obligés d’aborder l’économie politique sans les ressources nécessaires et, en ce cas, de faire à la fois de très mauvaise économie politique pure et de très mauvaise mathématique. » Ibid. 70 La seconde partie de cette phrase naît entièrement du passage suivant, Jarry remplaçant deux » et deux, trois et quatre » en n » […] ces Messieurs se réservent tantôt de déterminer une même inconnue au moyen de deux équations et tantôt de faire servir une seule équation à déterminer deux, trois et quatre inconnues […] » Ibid.. 71 Citation indirecte […] et l’on doutera, je l’espère, qu’une telle méthode puisse être indéfiniment opposée à celle qui veut constituer l’économie politique pure comme une science exacte » » Id., p. 21. 72 Voir Léon Walras, Éléments d’économie politique pure théorie de la richesse sociale, édition définitive, revue et augmentée par l’auteur, R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1926, p. 49. 73 Citation indirecte C’est ainsi qu’on vit des émissions de 30 à 40 milliards d’assignats abaisser dans la proportion de 100 à 2,50 ou 3 la valeur de l’intermédiaire d’échange » Id., p. 354. 74 La loi dite de la quantité est la loi de proportionnalité inverse de la valeur de la monnaie à sa quantité. » Id., p. 353. Sur les adversaires » de cette loi, voir Id., p. 353-354. 75 Voir Id., p. 354. 76 La rêverie méthodique de Jarry naît de sa lecture du passage suivant Nous verrons, en économie politique appliquée, quelles sont les conséquences énormes » de la loi de la quantité qui met tout l’équilibre du marché à la merci des exploiteurs de mines et des émetteurs de billets de banque et de chèques. » Id., p. 353. 77 Les sabots ou blocs de frein » appartenant au monde ferroviaire peuvent effectivement être en métal voir A. Flamache, Alphonse Huberti et A. Stévart, Traité d’exploitation des chemins de fer, volume 4, partie 1, Mayolez, 1899, p. 385. 78 Cette citation ne se trouve dans aucun ouvrage de Walras. 79 Se dit des valeurs fictives, fondées seulement sur la confiance accordée à celui qui les émet » Dir. Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle français, historique, géographique, mythologique, bibliographique…, tome 8, Administration du Grand Dictionnaire Universel, 1866-1890, p. 336. 80 Jarry reviendra sur cette partie de son compte rendu dans sa chronique L’échéance dans ses rapports avec le suicide » parue dans La Revue blanche du 15 novembre 1901. 82 Voir Confessions d’un enfant du siècle, commentaires du père Ubu Sur les Événements récents » Alfred Jarry, Œuvres complètes, I, textes établis, présentés et annotés par Michel Arrivé, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 581-593. 83 Voir Conseils aux capitalistes et perd-de-famille » Id., p. 620-621. 84 Voir Ubu colonial » Id., p. 601-611, Tatane, Chanson pour faire rougir les nègres et glorifier le Père Ubu » Id., p. 616-619 et Philologie, Examen du Père Ubu au Saint-Sulpice colonial » Id., p. 612-615. 85 Signifie de toutes les choses que l’on peut savoir ». Le Pic de la Mirandole fut le père de cette expression, tombée dans le langage courant voir GDU, tome 12, p. 936. 86 L’entomologiste est celui qui s’occupe » des insectes Dir. Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle français, historique, géographique, mythologique, bibliographique…, tome 9, Administration du Grand Dictionnaire Universel, 1866-1890, p. 717. 87 Dans l’Almanach de 1901 figure où » voir Alfred Jarry, Œuvres complètes, I, textes établis, présentés et annotés par Michel Arrivé, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 606. Comme l’indique la variante C, Jarry s’attache à corriger la leçon de cet Almanach. 88 Citation de la section Ubu colonial » voir Id., p. 606. 89 Allusion aux dessins de Bonnard présents dans la section Alphabet du Père Ubu » Id., p. 584-585 les dessins sont synthétiques en ce sens qu’ils représentent successivement La faim » Id., p. 584, La jubilation du Père Ubu » Ibid., La férocité » Ibid., L’admiration » Id., p. 585 et La douleur » Ibid.. 90 Voir La partition de Tatane » Id., p. 618. 91 Au sujet de Terrasse, voir Patrick Besnier, Alfred Jarry, Fayard, 2005, p. 261-262. 93 Voir GF, p. 1. Professeur puis directeur du Réformiste, revue se voulant en effet organe de la simplification de l’orthographe française », Barès fit paraître, avant Gramaire françaize, L’Ortografe simplifiée et les autres réformes nécessaires, toujours aus bureaus du Réformiste ». 94 Voir GF, p. 7. 95 Jarry répond ici à Barès qui cherche à démontrer le manque absolu de science, de lojique et d’esprit de suite de l’ancien sistème […] » Id., p. 6-7. 96 Jarry cite en partie l’annonce du Réformiste présente dans GF. 97 Voir Remy de Gourmont, La culture des idées, préface de Charles Dantzig, Robert Laffont, collection Bouquins », 2008, p. 433. 98 Système de langue universelle mis en place par John Martin Schleyer en 1879, qui s’imposa pendant six années avant d’être remplacé par l’Espéranto Chaque lettre n’a qu’un seul et même son », et l’orthographe est toujours réduite à sa plus simple expression, puisque les mots sont toujours écrits tels qu’ils se prononcent et vice versa. » Dir. Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle français, historique, géographique, mythologique, bibliographique…, deuxième supplément, Administration du Grand Dictionnaire Universel, 1866-1890, p. 1995. Deuxième partie du travail sur l’oralité, à partir d’une lecture de Meschonnic. 1er billet Meschonnic affirme que le lieu de la voix est le lieu de la poésie, et c’est un lieu historique. Le lieu de la voix n’est pas le même dans la tradition française et dans la tradition anglo-américaine, parce que le rapport du poème à l’oral, au parlé, au langage ordinaire, n’y est pas le même. De Wordsworth à Hopkins, à Pound et à Eliot, la nouveauté poétique s’est toujours faite en anglais dans un rapport nouveau au parlé, jusqu’aux beatniks et à Charles Olson. La voix y est nécessairement située par le primat, ou l’histoire, de l’oralité »[1]. Il dit aussi que Oralité et spatialité, dans des rapports divers selon les cultures, sont inséparables. L’oralité demanderait une anthropologie comparée de la diction, des modes d’oralité, autant que des techniques du corps »[2]. Ces propos m’ont incitée à tenter l’expérience d’écriture qui va suivre. Ce texte m’a été inspiré par la venue à Besançon de John Giorno, poète américain, le 5 décembre 2013. John Giorno est un poète américain de l’immédiat après Beat generation », ayant entretenu des relations avec les artistes du pop-art. Il a participé au film de Wahrol Sleep, durant lequel on le voit dormir pendant cinq heures. Il est l’auteur d’un nombre important d’enregistrements sonores de poèmes et de performances, en lien avec d’autres artistes et auteurs Warhol mais aussi Ginsberg, John Cage, Burroughs, etc., artistes ayant exploré continuellement le rapport du poème au langage ordinaire du quotidien, et le rapport continué du poème au corps corps du poète, corps de l’auditeur spectateur. En témoigne par exemple l’expérience Dial a poem », qui permettait à n’importe quelle personne de téléphoner à une ligne dédiée pour se voir offrir par répondeur un poème enregistré. On pourrait s’interroger sur le devenir de la voix lorsqu’elle est ainsi figée sur un support faussement adressé, puisque l’auditeur au téléphone n’a pas accès à la voix unique du poète dans un moment unique de relation parlée, mais ce type de dispositif permet tout de même de mesurer la relation étroite, dans la tradition du dire anglo-saxon, qui s’établit entre voix du poète et texte poétique. Celui-ci part souvent de l’oral et du parlé, et s’attache à des supports oraux. La bibliographie de Giorno est beaucoup plus fournie en discographie qu’en supports écrits. De nombreuses vidéos de ses performances sont disponibles sur internet. Son célèbre Thanks for nothing » peut être visionné ici Crédits photos Image extraite de Sleep Talking, vidéo de de Pierre Huyghe 1998, d’après Sleep, de Andy Warhol 1963, Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne/Rhône-Alpes, en dépôt au Musée de Grenoble. Montage photo de J. Giorno, performance de “Thanks for noting”, Musée des Beaux-Arts de Besançon, [1] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 289-290 [2] Idem, p. 275 _____________________________________________________________________________ Johnny sleeps nothing As a sleeper he was sleeping his voice inside Et sa voix le réveille et le porte Il se lève parmi les sleepers John dort et se lève uniquement quand sa voix se réveille Je me souviens comme je le voyais dormir sur sa chaise Nuit du musée Alone Un peu vieillard Et soudain il se lève C’est le moment de dire le poème qui le porte Comme on dit le souvenir de tête sans papier il danse dans sa voix et nous porte et réveille On se souvient comme on dormait avant lui Et on entend du John et du Thanks for Nothing Et après il repart Il redort Il renuit le sleeper Thanks for coming you Johnny and don’t you sleep too long you John Ne meurs pas ce soir toi aussi Le texte qui suit est extrait d’un travail réalisé dans le cadre du cours de Serge Martin, “Théorie et didactique de la littérature”, que j’ai suivi pour mon Master 2 à distance “ Didactique du français langue étrangère/seconde et langues du monde” au premier semestre de l’année 2014-2015. Je publie deux extraits, dont le premier, ci-dessous, est consacré à ma lecture de Critique du rythme, Anthropologie historique du langage, de Henri Meschonnic, paru en 1982 aux éditions Verdier. 2ème billet AUTOUR DE LA NOTION D’ORALITE L’oralité élaboration d’un concept par différenciation. Oralité, écrit, oral, parlé L’oralité n’est pas l’opposé de l’écrit et déborde la notion d’oral. Ce n’est en tout cas pas l’oral au sens sociologique et ethnologique du terme le style formulaire enfermé dans des schèmes. Dans Critique du rythme, l’auteur déclare que l’oralité échappe à la simple opposition avec l’écrit », et que l’oralité s’étend hors des littératures orales »[1]. Ainsi, la pluralité des modes de signifier, et des inscriptions de l’énonciation, dissémine l’oralité dans l’écrit comme dans le parlé »[2]. Le parlé se comprend ici comme manière de s’exprimer oralement. Cependant le parlé n’est pas l’oralité. L’oralité peut s’y diffuser, mais pas nécessairement Il y a donc des écritures orales, et des discours parlés sans oralité. Il y a les imitations du parlé qui sont aussi autre chose que l’oralité. Autant que le transcrit est autre que l’écrit »[3]. L’oralité est un mode de signifiance fort, dont ne sont pas pourvus tous les discours oraux. Le poème le porte au plus haut point La voix qui dit le poème n’est pas la voix qui parle, parce qu’elle ne dit pas la même chose »[4]. Un corollaire du rythme A toutes ces catégories, Meschonnic préfère la citation de Hopkins l’oralité serait “le mouvement de la parole dans l’écriture” »[5]. Ainsi, l’auteur revendique la nécessité de définir une notion anthropologique et poétique de l’oralité », fondée sur le primat du rythme et de la prosodie dans le sémantique, dans certains modes de signifier, écrits ou parlés »[6]. Dans la partie Critique de l’anthropologie du rythme », Meschonnic établit sa conception du rythme, comme matière de sens, et il l’associe par apposition et coordination à celle d’oralité. Les deux notions sont donc indissociables, et indissociables aussi de la notion de sujet notion elle-même à entendre du côté du processus, de la subjectivisation Le rythme comme sémantique, et oralité, est une subjectivisation spécifique du langage »[7]. Ainsi lié à l’oralité, rappelons que le rythme est histoire et signifiance du sujet, sur un mode autre que celui du signe, et qui ne se met pas en signes »[8]. Dans l’oralité, le sens comme rapport le dire et le dit L’oralité selon Meschonnic n’est donc pas le simple fait de la parole orale, comme nous venons de le voir. C’est, tout comme celle de rythme, une notion qui désigne une activité du sujet, activité de signifiance par laquelle le sens déborde le signe. L’oralité est d’abord une dynamique, et la voie du sens. Or ce mode de signifiance n’est pas fermé. Il rebondit, se forme et se reforme à l’infini, selon les rapports que l’oralité entretient avec ce qui est dit. L’oralité est donc un rapport, une relation, une dialectique pourrait-on dire la production du sens en tant que rapport entre le dire et le dit. Ainsi Meschonnic pose que l’oralité est le rapport nécessaire, dans un discours, du primat rythmique et prosodique de son mode de signifier à ce que dit ce discours »[9], ou encore c’est un rapport nécessaire entre la diction, la voix et le dit » p. 281. De même que le rythme est en interaction avec le sens » p. 82, de même, l’oralité n’est pas séparable de dire quelque chose, et, dans une certaine mesure, de ce qui est dit. […] Dire n’est pas intransitif. Ce qu’on dit est aussi dans le dire » p. 280. C’est ainsi que Changer de diction, c’est changer le poème, le discours » p. 291 le sens et la manière dont ce sens se tisse dans une oralité unique. Historicité de l’oralité, historicité de la voix La caractéristique essentielle de l’oralité, comme celle du rythme d’ailleurs, est celle d’une double marque, à la fois lieu du plus intime et lieu d’une historicité, collectivité, manifestation culturelle l’oralité est historique » p. 280. Meschonnic souligne dans la même page le lien de l’historicité et de l’oralité » et rappelle que l’on peut repérer dans les manifestations orales de l’oralité des traditions du dire » p. 281. Il illustre ces traditions par plusieurs exemples de poètes ou prosateurs ayant dit leurs textes. Leur idiosyncrasie s’y entend, mais aussi leur inscription historique et sociale. Le sujet intime est aussi un individu social. La diction a un statut culturel » p. 280. En ce sens, ce qui est dit de l’oralité se dit aussi de la voix historicité de la voix » p. 280. Meschonnic réitère sur la voix l’articulation intime / collectif qui lui est chère, qu’il a avancée au sujet du rythme, puis de l’oralité la voix, votre voix unique, n’est pas seulement individuelle. Elle a, outre ses caractères physiologiques, des marques culturelles situées » p. 280 ou bien encore la voix, qui semble l’élément le plus personnel, le plus intime, et comme le sujet, [est] immédiatement traversée par tout ce qui fait une époque, un milieu, une manière de placer la littérature, et particulièrement la poésie, autant qu’une manière de se placer. Ce n’est pas seulement sa voix qu’on place. C’est une pièce du social, qu’est tout individu » p. 284-285. Et ce statut culturel de la voix […] fait partie des conditions de production du poème, ou du discours en vers » p. 280. Oralité vs oralisation la voix comme écriture Si le statut culturel de la voix fait partie des conditions de production du poème, c’est bien que la voix n’est pas seulement après le poème texte puis diction, le dire après le dit. La voix est dans le poème, en amont de sa diction. Elle le façonne, comme creuset où se sont déposés des liens d’intersubjectivité qui façonnent à leur tour l’émergence d’une voix propre, ici au sens d’écriture. Car la voix n’est pas forcément dans l’oralisation non plus elle se lit. Et l’auteur oralisera de telle manière que la voix est déjà présente dans son texte. Il y a continuité entre voix et écriture, écriture et voix. Ainsi, Meschonnic, à l’occasion d’une analyse de la lecture de Gogol[10], précise Il y a ainsi plus qu’une continuité entre l’écrit et la diction, il y a cette diction parce qu’il a cette écriture. Gogol a la diction de son écriture »[11] . La voix se dit comme elle s’écrit la voix est écriture. Pistes didactiques Meschonnic précise qu’une anthropologie du langage est double, selon le parlé, selon l’écrit. L’oralité n’y est pas la même. Directement accessible à l’anthropologie dans le parlé, elle passe nécessairement pour l’écrit, par une poétique, qui ne peut être qu’une poétique historique, et non formelle, pour situer les modes de signifiance »[12]. La poétique, lorsqu’elle s’intéresse donc aux textes écrits, doit le faire selon une recherche de l’inscription de l’oralité, à travers le primat du rythme. Meschonnic précise que cette entreprise n’est pas des plus aisées, elle passe par la recherche des traces du corps dans l’écrit Le plus difficile est de savoir ce qui reste du corps dans l’écrit, dans l’organisation du discours en tant que telle »[13]. Un des éléments d’analyse du texte écrit avec des élèves pourra dès lors se porter sur la ponctuation, pour y traquer le rythme oral, dont la ponctuation peut justement être le rendu »[14]. On peut s’appuyer par exemple sur le travail réalisé par Gérard Dessons sur les Feuillets d’Hypnos de René Char. Dessons y étudie de manière détaillée le rôle de la ponctuation et de la typographie, du point de vue d’une anthropologie du rythme[15]. De manière plus globale, dans une approche de l’oralité, du rythme des textes comme ensembles d’activités encore ouverts et dynamiques, Serge Martin rappelle dans son carnet La littérature à l’école »[16] que les œuvres sont toujours prises dans les ciseaux de l’herméneutique et de l’esthétique, du sens et de la forme, du dire et du choisir. Or, ce qui compte c’est de faire vivre les œuvres en privilégiant leur activité, leur force qui est à même de nous faire sujet d’un faire et non d’un répéter ou d’un reproduire, sujet d’une émancipation et non d’une soumission ». Il propose des activités de reformulation car les reformulations des œuvres ont pour ambition de faire écouter, voir ce que l’œuvre nous fait et d’en poursuivre l’activité »[17]. Plusieurs types d’activités sont proposés, autour du dire-lire-écrire, toujours liés, qui rendront les élèves actifs de leur propre faire, dans la continuité de l’énonciation des œuvres. L’oralité étant une notion à historiciser, il faudra, pour en approcher l’aspect oral, faire écouter aux élèves de nombreux enregistrements de poèmes, par des lecteurs amateurs, des comédiens et par les auteurs eux-mêmes, pour essayer de caractériser l’oralité dans les voix, et leurs aspects culturels. L’expérience est possible grâce à plusieurs sites, selon les auteurs et périodes, dont ceux-ci, déjà fréquenté en cours et Nous manquons ici d’espace pour proposer les activités précises que nous proposerions dans nos classes de FLM / FLS. La présentation détaillée de telles activités fera l’objet d’une partie intégrale de notre mémoire de Master 2, Poésie en FLS / FLM pour une didactique de la relation par l’oralité » titre provisoire, avec l’élaboration d’une séquence didactique articulée autour de textes poétiques au programme, et hors programme. [1] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 706 pour les deux citations. [2] Henri Meschonnic, Qu’entendez-vous par oralité? », Langue française, n°56, 1982. p. 6-23. consulté le 02 janvier 2015, p. 16 [3] Ibid., p. 14 [4] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 289 [5] Henri Meschonnic, Qu’entendez-vous par oralité », op. cit., p. 18 Référence chez Hopkins non fournie par Meschonnic. [6] Idem [7] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 660 [8] Ibid., p. 690 [9] Ibid., p. 280. Toutes les références suivantes renvoient au même ouvrage, Critique du rythme, op. cit. [10] Cet exemple d’oralité figure dans Critique du rythme, op. cit., p. 281. Meschonnic y évoque la lecture orale que donne Gogol du Manteau, tel que le rapporte et l’analyse Eikenbaum ». La référence à Eikenbaum donnée par Meschonnic en note est la suivante Boris EIKHENBAU, Skvov’literaturu, p. 173-174, traduit dans Tzvetan Tdorov, Théorie de la littérature, Seuil, 1965, p. 214-215. [11] Henri Meschonnic, Critique du rythme, op. cit., p. 281 [12] Ibid., p. 646 [13] Ibid., p. 654 [14] Henri Meschonnic, Qu’est-ce que l’oralité », op. cit., p. 16, à propos d’une critique de Barthes qui prétend que le corps se perd dans le passage à l’écrit cliché de la lettre morte dans Roland Barthes, Le Grain de la voix, Entretiens 1962-1980, Seuil, 1981. [15] Gérard Dessons, Le Poème, Paris, Armand Colin, 2011, p. 149-150 [16] consulté le 13 décembre 2014 [17] Idem. Nathalie Sarraute écrit ce texte dans la suite qui constitue l’Usage de la parole Gallimard, 1980. Ce texte – mais Sarraute appelle cette série des “drames” p. 97 – se présente dans le sommaire suivant qui fait se succéder ces dissonances interlocutives fréquentes dans la conversation – à moins que ces dissonances ne caractérisent ce qu’elle appelle la sous-conversation Note avant lire Encore faudrait-il discuter une telle dichotomie puisque toute conversation par le conversationnel ou la relation déborde constamment les bornes de la conversation ; en ce sens Sarraute avait raison d’explorer la notion mais il faudrait éviter de retrouver alors la dichotomie qui exhaucerait de tous ses mouvements la conversation qui ne se limite pas à l’échange de paroles et qu’on a l’habitude d’affubler du qualificatif d’ordinaire comme s’il y avait une surface et une profondeur; la sous-conversation est l’ordinaire des conversations ordinaires… C’est cet ordinaire qui déborde les modèles épistémologiques y compris linguistiques, que l’écriture peut montrer. Sarraute nous le montre avec beaucoup de force… Ich sterbe. 9 A très bientôt 19 Et pourquoi pas ? 35 Ton père. Ta soeur. 47 Le mot Amour. 63 Esthétique. 81 Mon petit. 95 Eh bien quoi, c’est dingue… 107 Ne me parlez pas de ça. 119 Je ne comprends pas. 139 Nathalie Sarraute, L’usage de la parole, Gallimard, 1980. Il s’agit donc d’un “drame” qui prend son départ dans un “mot” on observe aussitôt que la notion de “mot” est ici entendu par Sarraute comme phrasé d’un discours autant sinon plus que comme segment sémantique – ce que montrerait à l’envi les “conditions” à remplir p. 97 et 98. Sarraute va alors s’ingénier dans une progression raconteuse – l’adresse à l’auditoire par la demande d’écoute sans cesse requise, fait toute l’oralité de ce texte qui de plus met en scène un drame, donc une oralité maximale redoublée du “maintenant, si vous avez encore quelques instants à perdre” inaugural au “n’est-ce pas” suivi d’une question qui s’achève sur “de pareilles histoires” en passant par les connecteurs logiques et temporels d’un racontage qui ne cesse de se rappeler au lecteur interpellé “croyez-vous?”; “peut-être êtes-vous tentés d’en rester là” et intégré dans la communauté des “gens vivants et sains d’esprit”, du moins considéré à égalité du raconteur. Tout le régime d’une histoire racontée par le fil de la démonstration par l’interrogation sur la diérèse elle-même qui associe l’écouteur au raconteur jusqu’à la remémoration partagée “qui ne nous ne l’a éprouvé”. Mais ce racontage, s’il est un drame du racontage lui-même, est aussi un essai sur le langage, sur ses ressorts invus, inconnus mêmes aux linguistes… Pour cela Sarraute utilisera tous les subterfuges du fabuliste allant même jusqu’à démétaphoriser les métaphores in fine en reprenant les éléments successifs de l’essai par le racontage fabuleux “il serait stupéfait de toute cette agitation, de ces troupes traversant les frontières, de ces fils qui enserrent, de ces mots-fusées, de ces remorques, de ces langues étrangères, de ces boeufs, de ces vapeurs brûlantes, de ces bulles, de ces jeux, de toutes ces contorsions, de ces tremblantes tentatives…” La tentative de Sarraute est alors magistrale pour défaire la notion traditionnelle de “cheville”, cet “élément de remplissage”, “nullement nécessaire à la syntaxe ni au sens” ; pour Michel Pougeoise Dictionnaire de poétique, Belin, 2006 à qui j’emprunte ces premiers éléments définitionnels, en poésie la cheville est proscrite et signe la médiocrité d’une oeuvre” p. 101. Mais la démonstration serait faite avec Sarraute qu’une conversation pourrait au fond se résumer à une cheville ! C’est pourquoi les dissonances importent plus que les accords promus par la pragmatique conversationnaliste pour une histoire de cette linguistique Ce qui est certain c’est qu’il n’y a pas de vérité du discours de la conversation si l’on préfère ici mais qu’il y a à chercher une poétique qui est aussi une éthique et une politique de la relation dans et par le langage la moindre petite cheville touche… à vif ! Dans ce livre qui reprend nombre de ses travaux, Michel Espagne fait le point sur ce qu’il appelle avec Michael Werner, les transfert culturels » voir leur ouvrage Transferts. Les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand, Editions Recherche sur les civilisations 1985. Ce livre récent est principalement consacré au domaine russe en rapport avec le domaine allemand d’abord et le domaine français. Mais ce sont plus des itinéraires, des lieux, des notions tous critiques qui permettent de suivre des passages plus que de fixer des termes nationaux. Il nous fait souvent découvrir des aspects méconnus par exemple Vladimir Propp chapitre 11 et ses recherches sur le comique alors qu’il est connu seulement pour sa morphologie du conte dont les racines sont allemandes alors que les exergues de Goethe ont été effacés dans la version anglaise lue par Lévi-Straus…. La leçon principale d’études extrêmement précises et documentés peut se résumer par le concept de resémantisation ». Il faut aussitôt préciser que celle-ci n’est pas réductible aux processus traductifs mais demande d’observer les rémanentes ». Ce sont en effet de nouvelles vies offertes à des processus culturels oubliés ou effacés que ces transferts permettent, avec les effets de décalage et les modes de transposition des déplacements d’un genre à l’autre » p. 12. Encore faut-il ajouter qu’aucun transfert n’est à proprement parler bilatéral, il est souvent multilatéral. Pour reprendre l’exemple de Propp, sa pratique de l’allemand comme langue maternelle le dispose à une grand familiarité avec les travaux d’histoire et d’ethnologie religieuse émanant de l’école du philologue Herman Usener et à beaucoup d’autres issus de cette école de Bonn “qui se développe à partir de la théorie des Dieux d’un contemporain de Humboldt, Friedrich Gottlieb Welcker” p. 225-226 ; mais Propp a également lu Frobenius et Franz Boas, “fondateur allemand de l’anthropologie américaine”. La résultante est connue mais pas le processus que montre bien Espagne “métamorphose générique où les moments d’histoire de la religion, sorte de comparatisme philologique issu de l’Ecole de Usener, se transforment dans l’approche des contes russes en étude structurale et morphologique” p. 229. On sait ce que deviendra ce travail dans le contexte français avec les études narratologiques, le débat avec Lévi-Strauss qui reconnut l’antériorité des travaux de Propp dans la genèse de l’ethnologie structurale, sans toutefois percevoir “l’arrière-plan des références allemandes de Propp” p. 221. Aussi, ces transferts ouvrent-ils le plus souvent à des réinterprétations » qui deviennent des innovations radicales » p. 17. C’est que rien en permet de penser que la notion de culture elle-même soit unique et homogène dans les trois aires culturelles mises en présence, qu’elle échappe aux réinterprétations qu’implique le jeu des échanges » p. 84. Apparaissent alors forcément de nouvelles cohérences » p. 172 et pas seulement des démarquages », des copies » mais bien des recréations » p. 226. L’exemple vraiment probant est celui de Vladimir Propp pour lequel la tentative de comprendre le phénomène du rire sert de support à une translation de la philologie allemande dans le folklore russe » p. 236. On est donc très loin d’une conception des passages comme forme de dépendance. Non seulement la direction des passages peut s’inverser, mais ce qui est accueilli dans le nouveau contexte ne l’est vraiment qu’au terme d’une resémantisation, d’un changement de nature plus important que les traductions proprement dites » p. 270. Si dans les sciences humaines, les transferts se jouent des frontières disciplinaires ou les utilisent comme des moyens d’imprimer les différences, les formes d’appropriation » p. 271 mais en plus la périphérie, russe en l’occurrence, est à remettre au centre » pour expliquer les imbrications philosophiques franco-allemandes des années 1930 » et plus généralement doit-on parler d’un moment russe » dans l’histoire des sciences humaines françaises et allemandes. Le 7 novembre 2014 BIBLIOTHEQUE DE L’INSTITUT CERVANTES 11, avenue Marceau – 75 016 Paris Journée d’etude Poesie poèmes Passage de voix 7 nov Stéphane Mallarmé à propos de L’après-midi d’un faune de Debussy “Je croyais l’avoir mis en musique moi-même; c’est une transposition du même au même.” OEuvres complètes, Pléiade, p. 870 Walter Benjamin par Gisèle Freund, Paris. 1936. Il s’agit de considérer cette notion peu employée à ce jour dans les études littéraires et qui me semble décisive pour une approche théorique et didactique des faits littéraires le racontage. Cette notion poursuit la réflexion de Walter Benjamin publiée en 1936. On peut lire une édition récente de ce texte avec un long commentaire de Daniel Payot paru chez Circé en 2014. L’intégralité du texte de Benjamin pris à ses Écrits français Paris, Gallimard, Folio Essais, 1991 est disponible en suivant ces deux liens et On trouvera ensuite un dossier de présentation et d’analyse de ce texte à cette adresse J’aimerais livrer ici quelques éléments biographiques liées à sa conceptualisation que j’emprunte à l’introduction de l’ouvrage à paraître très prochainement aux éditions de l’Harmattan, collection “Enfance et langage”, sous le titre suivant Poétique de la voix. Le racontage de la maternelle à l’université. Et ce qu’il raconte, à son tour, devient expérience en ceux qui écoutent son histoire. Benjamin, 2000-III 121 Un essai expérientiel Ce livre est issu de deux expériences l’enseignement et la recherche. J’ai enseigné la littérature jeunesse dans le primaire, pour la formation à cet enseignement et dans l’enseignement supérieur. J’ai par ailleurs conduit, parallèlement à ces enseignements et formations, une réflexion théorique et didactique qui voulait d’abord répondre à l’injonction narratologique ou symbolique dès que littérature, injonction qui me semblait laisser de côté la dynamique des œuvres et des lectures. En effet, la vulgate narratologique ou psychanalytique et ses applications du schéma narratif ou actantiel ou encore le réductionnisme symbolique et son instrumentalisation psychologisante dans les classes et les formations, ne permettaient pas de concevoir la littérature comme une expérience d’écoute et donc comme un passage de voix. Il me faudrait certes situer sur les plans historique, didactique et théorique, ces deux expériences en regard de cette injonction, laquelle a suivi puis a été concomitante à l’injonction thématique si ce n’est moralisatrice, mais des ouvrages Martin, 1997 ou articles antérieurs ont plus ou moins déjà tenté de cerner, avec quelques hypothèses, une telle configuration pratique et théorique à la suite d’autres auteurs Péju, 1981. Aussi, j’aimerais proposer ici, tant à l’enseignant qu’au formateur et au chercheur, un opérateur pour la pratique et la théorie de la littérature avec les œuvres celui que m’a semblé offrir la notion de racontage ». Dans un premier temps, je croyais avoir affaire à un néologisme et à un terrain vierge qui n’auraient alors pas du tout permis de constituer un levier de transformation des pratiques et des réflexivités, puisque tout aurait été à reconsidérer. Mais je me suis vite rendu compte que le terme, peu employé, l’est plus souvent de manière péjorative au sens de propos frivoles voire ridicules même si quelques judicieux emplois littéraires paraphrastiques Réage, 1969 123 ou conceptualisations critiques plus récentes à propos des littératures caribéennes Deblaine, 2009 200 lui confèrent à nouveau une valeur forte. Resterait qu’un tel terme recouvre néanmoins des faits de langage et de société plus que familiers dès qu’on aperçoit qu’il peut opérer un léger déplacement à partir du contage ». Léger mais décisif déplacement pour que se déploie son potentiel conceptuel qui permet de dissocier l’oralisation de l’oralité, cette dernière des traditions populaires ou exotiques – deux éloignements, dans le temps et dans l’espace, qui séparent quand il faudrait conjoindre. Si, comme les développements de l’anthropologie dynamique Augé, 2011 nous l’ont appris, les traditions ne sont que des activités au présent des discours tout comme les lointains ne se construisent que dans des rapports à l’ici de ces mêmes discours, alors le racontage permettrait de poser la voix, le passage de voix, au centre de la problématique de la littérature, c’est-à-dire des œuvres vives, avec les enfants voire les adolescents. Cette trouvaille lexicale puis notionnelle associant poétique et didactique, assez hasardeuse à ses débuts, résultait à la fois de l’expérience pratique et théorique personnelle mais aussi des travaux rencontrés au cœur de mon expérience. Il me faut aussitôt signaler, parmi ces derniers, le texte de Walter Benjamin 2000-III 114-151, Der Ertzhäler 1936 traduit généralement comme Le Narrateur », et que j’appelle depuis longtemps Le raconteur » – une traduction toute récente vient de me rassurer dans ce choix Benjamin, 2014. Ce texte a constitué le levier décisif de ma recherche. Depuis lors, j’ai tenté d’en confirmer l’heuristique mais également d’en fournir l’ancrage historique dans une tradition didactique et théorique. Toutefois, ce serait oublier que tout est parti de la lecture des œuvres elles-mêmes. Aussi, tout comme ce livre proposera dans ses marges des lectures au plus près de quelques œuvres, j’aimerais commencer par deux d’entre elles qui offriront deux moyens de faire sentir immédiatement au lecteur de cet essai, ce qu’opère in vivo la notion de racontage. Comète 1 Un navet – Mettre en bouche Le livre de Rascal, illustré par Isabelle Chatellard, Le Navet 2000, passerait inaperçu si l’on se contentait de le situer dans la tradition des contes de randonnée, qui plus est dans celle précisément du conte de la tradition russe, à savoir Le Gros Navet de Tolstoï traduit par Roger Giraud dans les deux éditions illustrées par Niam Scharkey et par Gérard Franquin au Père Castor 1999 et 2002 ou dans celle illustrée par Lucile Butel avec une traduction d’Isabelle Balibar chez Gautier-Languereau 1985, et, parmi bien d’autres réécritures plus ou moins heureuses, dans les albums où alternent les navets et les carottes Praline Gay-Para 2008, Marie Torigoe 2004, Betty et Michael Paraskevas 2002, Alan Mets 2000 sans compter le potiron avec Françoise Bobe 1999 ou la racine géante » avec Kazuo Imamura 1987 et encore l’énorme rutabaga » avec Natha Caputo 1954. Mais Le Navet de Rascal et Chatellard tiendrait sa spécificité de la manière dont il construit assez simplement mais avec une force remarquable un racontage exemplaire. Nous y trouvons tout d’abord un savoureux mélange des rythmes de la randonnée, des mouvements du récit et des questions de la fable. Les reprises dialogales Aide-nous à transporter » / planter » / arroser » ; que me donnerez-vous pour ma peine ? » et prosodiques grand et gros légume » ainsi que les accumulations d’actions et de personnages jusqu’au décompte final Une cuillerée pour Puce. Deux pour Lézard. Trois pour Canard. Quatre pour Chèvre. Et tout le reste dans son assiette » organisent un rythme de la randonnée qui ne peut qu’être celui d’un raconteur dont la mémoire narrative est d’abord une mémoire partagée qui permet à l’auditeur de progressivement entrer dans la fabrique du racontage. De la même façon, les mouvements du récit qui font alterner l’augmentation personnages de plus en plus grands, s’ajoutant à la diégèse en même temps que le temps saisonnier passe et la diminution finale de la douce purée » distribuée de manière inégale et croissante, montrent le jeu de la croissance et de la décroissance au cœur du racontage, puisque plus il progresse et plus la connaissance des auditeurs augmente, et donc plus la convivialité et le partage d’un commun se construit ensemble, mais également plus le risque de la séparation et de la fin du racontage approche, même si l’on sait que les auditeurs diront encore » ! Enfin, à ces mouvements du récit viennent se joindre les questions de la fable qui associe les temporalités et les rapports d’échange entre les personnages dans une progression asymétrique métamorphosant ce court récit en un court traité fort pédagogique mêlant une petite économie politique et une anthropologie sociale du don et du contre-don où le rêve initial de l’individu Quelle aubaine ! Je la planterai et, lorsqu’elle deviendra un grand et gros légume, j’aurai de quoi me nourrir ma vie entière », aux prises avec la nécessaire association des compétences, semble se heurter aux dures conditions du réel et au rapport de forces inégales. La leçon de la morale porte d’ailleurs, comme souvent chez La Fontaine, plus une problématisation aux réponses incertaines qu’une moralisation évidente en effet, l’association n’est pas ici la solution à tous les maux alors même qu’elle est inévitable. Toutefois, la fable problématique portée par les mouvements du récit et les rythmes de la randonnée trouverait heureusement son compte dans et par le racontage lui-même puisque, outre la force prosodique déjà signalée tout au long du récit, c’est bien par cette leçon de bouche qu’elle s’achève quand d’un même geste, les cinq amis portèrent à leur bouche la purée de navet… Et l’on put entendre à dix lieues à la ronde Beeeeeeuuuuuuurrrk ! » Non seulement la figure de la ronde, déjà évoquée précédemment Tous les quatre en eurent les larmes aux yeux et ils chantèrent à la ronde Pousse, pousse notre légume, pousse bien grand ! Pousse, pousse notre légume, pousse bien gros ! », concentre pragmatiquement dans la diégèse la figure exacte de ce que fait le racontage étendre par cercles concentriques sa propre force de passage de voix pour qu’il reste dans l’inaccompli. Par ailleurs, cette voix commune résultant d’une ingurgitation et donc d’une incorporation, montre bien que le racontage est affaire de passage de corps à corps bouche à bouche affaire de voix comme entre-corps dans et par le langage. Qui a dit qu’un navet ne méritait pas la consécration littéraire ? Le Navet de Rascal et Chatellard propose en tous cas un fabuleux – quoique modeste – racontage où l’axiologique, le pragmatique et le poétique ne font plus qu’un. Il montre ainsi combien le racontage défait les habituelles typologies analytiques fonctions, genres, registres, etc. pour demander une poétique du continu avec la voix jusqu’à une didactique à la hauteur d’un tel défi. Comète 2 Un escargot – S’endormir/se réveiller dans le racontage ? Il faut treize histoires à la douzaine ! pour que Claude Boujon, dans Les escargots n’ont pas d’histoires 1987, nous plonge dans le paradoxe du racontage le héros des histoires n’est pas toujours celui qu’on croit ! En effet, si le héros du lapin frileux » est bien un lapin, celui du chat étourdi », un chat ; celui – mais il faudrait employer le féminin – et donc celle du heureux hasard », une pierre ou peut-être une jeune fille sauvée par cette pierre alors qu’un farouche bandit » allait s’emparer d’elle ; celui du prétentieux papillon », un papillon à moins qu’on considère que le héros et donc l’héroïne ait été la fleur carnivore qui avait avalé ce papillon vantard ; celui de l’âne vert », l’âne enchanté de n’être pas bleu comme une vache bleue » ; celui des chaussettes du roi », le roi à moins que ce ne fussent ses chaussettes qu’il promenait pour les faire sécher, accrochées à une lance ; celle de la grenouille cracheuse », une grenouille ; celle d’une histoire cruelle », une souris à moins que ce ne fut le chat qui l’a bel et bien mangée ; celle d’ une sorcière en colère », une sorcière plus petite qu’une mouche » ; celui d’ un chien triste », ce dernier ; ceux de Tounoir et Toucouleur », ces deux héros qui vivaient sur le même arbre à moins qu’on ne préfère l’un à l’autre il y a de fortes chances pour que vous préfériez Tounoir quand vous aurez entendu l’histoire ; et enfin celui d’ un gros fumeur », un éléphant qui aimait le tabac »… Bref, ces treize histoires courtes ne posent pas vraiment de problème puisqu’elles ne parlent pas des escargots ! En effet, il aurait été étonnant, pour celui qui les raconte, qu’il en ait été ainsi, puisque selon cet expert en histoires Les escargots n’ont pas d’histoires » ! Sauf qu’in fine, notre raconteur d’histoires s’est endormi dans sa coquille, alors que nous n’avons jamais été aussi nombreux à l’écouter. Il ne pourra plus dire que les escargots n’ont plus d’histoires. Il y a maintenant celle de l’escargot qui raconte des histoires à d’autres escargots ». Si presque tout le texte de cet album est entre guillemets, il est facile d’attribuer les paroles du prologue et des treize histoires à ce raconteur qu’est l’escargot qui traîne sa maison à travers le monde », dans un dispositif qui répartit les treize histoires dans treize doubles pages. A chaque double page, un escargot, en pied de page face à des escargots de plus en plus nombreux, raconte une histoire dans une impressionnante bulle ou phylactère, organisée un peu à la manière d’une bande dessinée et occupant presque toute la double page. Toutefois, il semble plus délicat d’attribuer celle de l’épilogue puisque le raconteur endormi y a laissé place à quelqu’un d’autre mais à qui ? Plusieurs hypothèses sont alors plausibles mais toutes concourent à ce que les auditeurs, représentés par les escargots qui écoutent l’escargot raconteur, chacun d’entre eux ou tous ensemble, aient pris en charge le racontage. Aussi, la morale de cette histoire qui, rappelons-le, en compte déjà treize, c’est que, non seulement le héros de cette histoire s’est inventé dans sa voix, mais également son cercle héroïque s’est considérablement agrandi au point de passer le relais… Telle serait la force du racontage transformer l’héroïsme des récits, d’une action éclatante ou d’une vérité dirimante mais au fond écrasante voire excluante en une opération démocratique inclusive ; transformer également les héros en modeste matière problématique d’un passage de voix. Le racontage serait donc ce passage de voix qui demande de considérer l’activité continue de la voix des histoires comme porteuse de sens. Plus que le sens qu’une voix serait chargé d’exprimer pour que des lecteurs le retrouvent, voire y soient amenés par quelque lecteur savant, herméneute ou autre, les lecteurs y compris les débutants et, comme on dit, les non-lecteurs dès qu’ils sont auditeurs, n’ont rien à retrouver mais seulement à se trouver ou à se retrouver, formant alors communauté, acteurs du racontage. Alors la littérature comme pratique et théorie du racontage n’a pas besoin d’une herméneutique mais d’une poétique, celle-ci n’étant que l’écoute d’une écoute – ce qui est considérable ! quand la première trop souvent demande de ne plus écouter mais seulement de contempler la vérité, le sens, le texte ou toute autre essence qui oublie que les œuvres ne valent que si elles continuent d’œuvrer. Le racontage explorerait dans sa pluralité ce continu de l’œuvre. Si l’escargot s’est endormi, le racontage n’a pas cessé de nous réveiller ! Pour des développements sur le racontage en littérature de jeunesse, voir les billets suivants sur le carnet “La littérature à l’école Fables et voix Livres et lecteurs” Lecture d’Ode au recommencement de Jacques Ancet Lettres vives, coll. Terre de poésie », 2013, 90 p. par Laurent Mourey où vais-je dans cette prose cadencée qui chante un peu mais pas trop » p. 77 S’égarer, recommencer, l’un par l’autre l’ode est avec l’écriture de Jacques Ancet, l’ouverture d’un quelque chose à dire permanent et interminable. C’est bien ce flux qui est à l’œuvre, et en travail, dans ce long poème en cinq parties, écrit comme en versets de prose cadencée » p. 77. Je dirais aussi en laisses – en donnant à ce mot son sens de départ, un couplet qui se dit et se récite dit et récité en se laissant aller, d’un trait », ainsi qu’on peut le lire dans le dictionnaire du petit Robert. Dans sa disposition, le poème fait se suivre, et laissealler, dans chacune de ses parties, une suite de versets dont le premier est marqué à son attaque d’une majuscule, mais dont aucun ne reçoit de point, la ponctuation faible en la virgule étant marquée et scandant la phrase. La prose est cadencée » par la disposition même, celle-ci indiquant ses interruptions et ses recommencements, ses silences et ses lancées, comme les valeurs de ce dire qui tient essentiellement dans le désir et l’avancée – un dire travaillé par un à dire », par ses silences autant que par son expression. Parler de verset de prose permet de ne pas s’en tenir à une forme littéraire mais d’essayer d’entendre au mieux une écriture qui se tient au plus près de la parole et de son écoulement infini, pour le dire autrement de son vivant. La question pour l’écrivain, le poète étant de saisir ce vivant jusque dans son énigme, avec ses emportements, sa jubilation et ses déchirements. Le titre du poème, du livre-poème, semble en résumer l’expérience et signifie peut-être un certain climat de poésie Ode au recommencement ; si le poème célèbre une chose, ce ne serait que ce mouvement même qu’il épouse, et que le commencement pousse à épouser. L’ode renvoie à tant d’œuvres, qu’elle nous plonge à l’infini dans des résonances et des voix ; le recommencement est encore ce climat du poème, du fait qu’un moment d’écriture renvoie toujours à un autre, qu’un poème est précisément un passage – et jamais vraiment un extrait, même si l’on extrait toujours d’un livre –, un passage qui vient recommencer un autre. Ces résonances sont actives en nous et font de la lecture une écriture à l’infini. Alors, certainement, le propos de l’ode sera autre que celui de célébrer, mais plutôt un mouvement de vie en langage. Le titre est comme dédoublé de la citation de Claudel figurant en exergue, extraite de la première de ses Cinq grandes Odes Que je ne sache point ce que je dis ! que je sois une note en travail ! » Il ne s’agit pas tant d’afficher par cette citation un modèle que de répondre et continuer ce qui dans l’écriture est du côté de l’emportement, de la dessaisie de l’identité par une altérité creusée dans l’écoute. Ce discursus propre à l’œuvre se signale d’abord par une rupture avec ce qu’on pourrait appeler l’autorité lyrique et fait lire Claudel en direction de ce que fait Ancet un abandon maîtrisé à la voix qui pousse à trouver la maîtrise là où on ne l’attend pas forcément – dans une écriture qui fait autant qu’elle défait, dans un chant qui n’est pas de l’ordre de la célébration, mais d’une prose qui recherche en soi ce qui déborde et développe une altérité interminable. Un chant emporté et déchiré, un chant qui sourd sous la phrase, car cette prose est l’invention et le désir d’un phrasé qui soit le déploiement de l’intime, au cœur duquel est touchée en langage cette altérité ; à la première page du livre on trouve ce rejet, comme augural, d’un verset à l’autre, véritable cassure de l’identité pour trouver une connaissance nouvelle, celle d’une écoute du langage, de ce qui parle, le déploiement d’un ça parle » dans et par l’écriture qui fait de soi, du monde une matière d’inconnu je reviens le ciel retombe sur mes yeux avec une lenteur d’enfance, je ne sais plus si c’est bien moi qui parle ou si de moi ne reste que ce peu de paroles éparpillées que je ne reconnais plus p. 9 C’est d’une identité en devenir qu’il s’agit, et qui advient par et vers l’inconnu en ne cessant pas d’être une venue, un infiniment à venir » pour reprendre à Meschonnic. La note en travail » est chez Ancet un contre-chant qui creuse une contre-identité. On pourrait ainsi parler d’une sorte de note sourde qui rompt avec les certitudes du moi, voire d’une poésie lyrique, pour abandonner et emporter le sujet dans l’écoute du langage au creux de l’intime. Dans cette aventure de la voix, d’une voix plurielle qui se construit et s’invente par ce qui sourd en elle, faire et défaire sont continus et tracent une ligne de vie jusqu’à la mort mais ils nous font, et nous défont, ils sont notre peu de vie jusqu’au silence définitif » p. 18 ; ils » reprenant ces battements au soir […] si fragiles qu’on ne les entend pas », et les battements » continuant aussi les bruits de rue » p. 17 on comprend que la voix du poème est une chambre d’échos, une oreille des plus fines comprenant les perceptions du corps et explorant depuis le langage le non-linguistique qui traverse la langue j’ai perdu mes mains – mais pas ma langue, je la suis et c’est toujours le même air, la même chanson que je répète, que je ne sais que répéter » p. 17. Il y a dans cette écriture le désir d’un phrasé qui soit la recherche et l’écoute d’un continu, du je au réel, autant du senti que de la pensée, jusqu’à toucher et atteindre une intimité mouvante autre visage, autres yeux, corps qui se déforme, s’affaisse, mais je dis, c’est moi, même si moi, je ne sais pas » p. 18. Le problème du poème est de se faire une écoute et de faire entendre ce qui, de soi et avec les mots, dans le langage, se transforme et nous transforme en même temps que ce qui se répète mais jamais à l’identique le réel, le corps, la pensée qui passent sur le fil du temps. Ainsi les livres de Jacques Ancet sont les pièces, les passages d’un poème qui s’écrit dans ses répétitions et ses différences. Une telle pratique d’écrire fait alors de l’ignorance un mode de connaissance, une connaissance qui ne procède que du poème et n’est pas de l’ordre de la doctrine. Ce serait plutôt une connaissance seconde qui tient donc à l’écoute du langage et c’est pourquoi je reviens, je vois et je ne vois pas, j’entends sans entendre, je touche une matière fuyante » p. 16. Le poème réalise un incomprendre, celui de vivre en langage, dans le plein du langage, au milieu d’une écoute qui prend la vie et fait sentir le réel par l’oralité ; on pourrait parler d’un rapport oral au monde et à soi qui font de l’écriture une prophétie, un dire qui part en avant de soi. Qu’on lise ce passage pour écouter ce débordement et en même temps l’acuité avec laquelle il est dit comment me reconnaître dans ces vagues une à une poussées par quel vent, quel obscur courant et je veux me taire et leur écume vient me blanchir la bouche et je dégorge, oui je dégorge, chêne visage tank clôture araignée avenues nébuleuses éponge silo journal primevère tour à genoux tarmac nombril muraille cellule volcan je vois ce que j’entends, le langage est mes yeux, je serre les dents, je dis stop, arrêtez et je continue, je laisse filer muraille volcan abysses fourmi, je suis une énumération muette et son grouillement de syllabes, je bafouille, des cris me déchirent, je fouille une décharge de mots usés, de bribes de phrases que je ne comprends plus de mes yeux sortent des soleils et des nuits, de ma bouche des vols serrés d’oies sauvages, mes doigts touchent un horizon de flammes, mes pieds pataugent dans le sang p. 21 Ces lignes viennent comme répondre aux odes de Claudel en montrant le poème aussi comme la recherche d’un dire et d’un comment dire le réel par les multiples choses qui le construisent et habitent la pensée et se retrouvent comme travaillées, remuées par l’écriture tu contemples chaque chose dans ton cœur, de chaque chose tu cherches comment la dire ![1] » Une autre citation en exergue du livre est tirée du Chef d’œuvre sans queue ni tête de Yannis Ritsos, dans la traduction de Dominique Grandmont & te voici qui recommences comme si rien ne s’était passé… » Le sans queue ni tête » s’impose dans sa résonance avec le je ne sais pas » qu’on trouve rapidement au début du poème. Il prolonge aussi quelque chose du désir de ne pas savoir ce que je dis » de Claudel. Cette mise en avant de l’ignorance peut se lire alors comme un désir d’aller à l’inouï, au-delà de ce qu’on nous pousse toujours à comprendre, de ce qu’une réalité par trop prégnante impose et que le poème met en crise. Ainsi la réalité et le réel qui affleure dans le poème sont clairement opposés, le réel étant ce qui, incompréhensible, discontinu et pluriel, sourd du présent, dans une énonciation interminable et toujours en recommencement. Le recommencement est marqué par des retours – je reviens » est le premier verbe du poème et la formule qui lance et relance l’écriture je reviens, j’ai été absent des semaines » ; je reviens le ciel retombe » ; mais je reviens, écoutez, le monde me traverse toujours » versets 1, 2 et 4, p. 9. Le poème est placé sous le double signe du retour et du détour d’une phrase qui embrasse et invente du réel, du sujet, de l’infini et qui rencontre un quelque chose à dire, ce rien et ce silence qui la traversent. Reprise tout au long du poème la formule je reviens » est le performatif d’une écriture qui explore le présent, un présent où je » s’absente et revient, se fait de se défaire. Ce présent de l’écriture et de la vie est dès lors son aventure et son recommencement ; le recommencement aussi d’un je » d’emblée distinct d’un moi », car si je ne sais plus si c’est bien » et si de moi ne reste que ce peu de paroles que je ne reconnais plus », je » est l’actif et la note est insistante, celle qui est en travail » pour reprendre encore à Claudel mais je reviens, écoutez, le monde me traverse toujours ». S’ouvre une subjectivité sans limite qui est le réel, sans autre existence possible que dans et par le poème. C’est, au sens fort de la formule, un monde autrement dit, rendu sensible, suggéré. Et ce qu’on sent passe dans un silence entre les lignes, une sorte de qualité de l’air, ce qu’on entend dans le langage, comme une phrase au creux de l’oreille, mais sans qu’on puisse lui assigner de nom. La teneur du réel est dans cet appel et ces rappels qui courent dans le poème, dans sa prosodie, sa syntaxe, ses agencements de mots, le rythme de la parole et de l’écriture. C’est assurément ce qui, de poème en poème, de livre en livre, constitue le poème-Ancet, une sorte de retrempe du langage et de la voix dans différentes manières d’écrire, là une écriture prose d’une phrase ininterrompue, ailleurs le vers mesuré en onze, ou dix-sept syllabes – ce ne sont que quelques exemples, pour donner corps à la rumeur et poursuivre une prose du poème ou une certaine qualité de la voix. Cette subjectivation est donc un recommencement généralisé, d’une ligne à l’autre aussi, pour suivre le silence qui procède de chacun de ses moments, pour écouter le devenir qui s’empare du monde, de la parole intérieure, du monde tel qu’il trouve à se dire dans une musique qui n’est pas du son, ni de la sonorité pas autre chose que l’air du poème qui emporte son écoute et son écriture vers plus que le sens des mots et le savoir. Comme Ancet l’écrit au sujet de Mallarmé, le monde passé par le silence la musique de la voix y resurgit comme à l’état naissant.[2] » Ceci renvoie à la musique telle que l’auteur de La Musique et les lettres la définit dans une lettre à Edmund Gosse l’au-delà magiquement produit par certaines dispositions de la parole »[3]. On retrouve le sans queue ni tête » de Ritsos, qui rejoint aussi le problème poétique trouvé dans la première Ode de Claudel du comment dire » vous entrez dans une histoire sans queue ni tête, on dit c’est la vie, elle vous regarde de loin déjà, elle vous mange » p. 9. Sans queue ni tête et dans tous les sens où peut mener le poème, c’est-à-dire dans l’écoute généralisée qu’il présente sous les yeux la question est bien celle d’un comment dire quand les dispositions de la parole, toujours singulières, posent encore la question d’un comment lire. Ces questions se doublent encore de celle du sujet et de son inconnu qui recommence de même alors comment revenir comment c’est moi regarde c’est moi encore je suis là » p. 9 On se rend compte dès cette première page que dire » et revenir » sont continus et qu’une sémantique autour du second verbe, autour de sa performativité et réflexivité se construit je reviens » se retrouvera dans le texte dans une relation avec il y a » et c’est du mouvement qui est introduit dans ce qu’on pourrait trop vite juger stable avec l’écriture et par elle, le monde bouge. Dès la onzième page du livre, on lit ces attaques de versets je reviens mais je ne sais d’où ni où j’arrive, j’avance dans une confusion telle » ; puis cette série il y a une soirée » – il y a une ville » – il y a tout ce que je ne dirai pas et qui m’accable » – il y a tout ce que je dis, tout ce qui est là ». Par ces présences comme glissées par la voix, ainsi que l’énumération qui donne au poème une inflexion narrative par l’espace, les choses et les objets, les indices temporels aussi, on est entraîné dans un mouvement qui conduit à l’égarement ou à l’errance une confusion telle » se prolonge dans ce passage muet, comme un frôlement ». Les éléments identifiés, marqués du sceau de la réalité, comme sirènes, gratte-ciel et maisons basses » se résolvent dans une approximation. Tout devient errance parmi les mots, dans ce qui fuit entre eux, sous eux » souffle léger » ; ainsi le poème reprend le leitmotiv alors dire je reviens, c’est peut-être entendre simplement ce murmure, on dirait une voix » p. 12. L’énumération montre un rapport entre revenir et dire il s’agit de revenir autant avec que par une parole qui dise le réel en le sentant au creux du langage. Ce réel passe entre la réalité il est une voix, qui dit le monde à l’infini, mais fait rencontrer non une réalité mais du sujet, le poème d’un corps et d’une pensée, du langage travaillé par son silence un réel inouï qui n’a lieu qu’en poème et rien qu’en poème. Et le travail de l’écriture est de montrer la réalité dans sa matérialité, par les mots qui nomment, énumèrent et dans un même temps de vaporiser cette même réalité, immergée qu’elle sera dans une voix qui s’explore elle-même, s’interroge et s’invente. S’opère ainsi une sorte de frottement entre une réalité tautologique, marquée entre autre par le présentatif il y a » et la densité d’une phrase qui emporte toute nomination et crée de la suggestion, un sens latent du poème. En lisant plus loin l’Ode au recommencement on comprend aussi je reviens » comme une suture recoudre des morceaux d’infini, les moments d’une phrase interminable est un peu la fonction du leitmotiv Comment dire alors je reviens, sans je pour revenir, et pourtant, oui, je reviens, la voix parle toujours, et que dit-elle » p. 27. On lit dans l’adverbe d’opposition comme un retour au milieu du langage et de son éparpillement. Et ce retour à soi serait un retour à la voix quand l’éparpillement au milieu du langage laisse justement sans voix. Mais il n’existerait pas de retour sans abandon à une voix, ni sans travail pour faire sienne cette voix, en faire sa langue, par-delà l’oubli et par-delà sa propre personne rencontrée dans le miroir que dit-elle, c’est pour savoir que je reviens, pour habiter sa vibration à peine, la mettre sur ma langue l’articuler, et croire que c’est moi qui parle quand tout en moi se fait oubli, ennui, mutisme quand tout m’abandonne, me laisse debout, comme l’autre à me coiffer me boutonner, à compter pertes et profits à fixer ce visage dans la glace que je ne reconnais pas, et lui me reconnaît-il p. 27. Par l’expérience de l’altérité on retrouve une écriture qui fait du poème une errance intérieure et une épopée de la voix, au sens d’un epos. Ainsi l’écoute du langage offre un envers du langage et de la vie j’écris ce que je ne sais pas écrire, les mots en feu et la coulée de lave d’une phrase illisible et si la voix s’est remise à parler est-ce parce que je reviens D’une certaine façon, l’ode rejoint la chronique, en ceci qu’elle est l’écriture d’une aventure du sujet, lequel se rencontre dans et par son propre égarement. Avant l’Ode au recommencement, Ancet a écrit une Chronique d’un égarement[4]. Le poème est bien l’envers du quotidien ; du moins le poème est-il ce qui est latent dans ce quotidien. Il correspond à une écoute qui est une attention à ce qui vient ; et si elle est du jour, en ceci qu’ elle n’est pas sans rapport avec le temps et son écoulement – ce que l’on peut comprendre dans la chronique ainsi que dans le journal[5] -, l’écriture d’Ancet explore une obscurité, inséparable du jour et du temps traversé. Ainsi elle s’apparente aussi à une avancée dans l’obscurité. Une telle qualité de l’œuvre trouve son titre dans L’Identité obscure, publié en 2009. S’il entretient un rapport évident avec l’expérience de l’altérité au cœur du langage l’obscur peut s’entendre dans plusieurs acceptions. L’obscur procède d’abord d’une obscurité toute particulière puisqu’elle est clarté. Une clarté qui tient à une certaine luminosité de l’écriture ce que le poème dit, il le dit et ce qu’il projette tient d’un poudroiement ; cette métaphore, présente chez Ancet, est suggérée par ce qu’Ode au recommencement désigne par la métaphore des mots en feu »,, métaphore évoquant les feux réciproques » qu’allument les mots chez Mallarmé. C’est une manière de penser ce que fait le poème, comme ne procédant que de lui les mots sont sortis du dictionnaire, pour n’être que du poème – du n’indiquant pas tant l’appartenance que la provenance – et prenant ainsi une valeur plurielle en rapport avec les autres mots. Le poème est un acte, d’ordre éthique et rien n’a lieu que le poème qui transforme les significations de langue en des valeurs du sujet qu’une lecture et une écriture inventent et réinventent. De là ce rapport de tension entre une obscurité et une clarté, entre des significations linguistiques et un sens dont le cœur est une énigme et qui ne cesse de s’inventer. Au début de la cinquième et dernière partie de l’Ode on peut lire chacun de mes mots est l’écho réverbéré d’autres mots » p. 71 jusqu’au suspens ébloui » p. 73. Ces formules restituent ou résument l’expérience d’une lecture et d’une écriture qui tiendraient de l’extase du sens Ensuite ? ensuite revenir ne signifie plus rien, depuis longtemps tout a été dit » p. 71. C’est justement dans cet accompli que débute – commence et recommence – l’inaccompli, le recommencement d’une voix qui à peine revenue, repart les échos font le poème autant que le poème les fait, n’en finissant pas de continuer une pensée en mouvement et de tendre ainsi vers un à-dire » qui déploie le rapport entre vivre, écrire, penser et sentir. Une autre métaphore pour penser et continuer ce rapport une sorte de rumeur d’eau qui coulerait sous la vie » p. 71 La parole à écrire, toute intérieure et d’ouverture, se résout en un appel le poème est encore l’ouverture vers la rencontre. Une autre valeur de l’obscur, après ce qui sourd et résonne, est la matière ténébreuse au creux du langage qui tiendrait plus directement de l’énigme et dont la clarté est comme la portée ou l’induction jamais achevée. Cet obscur est celui du Silence des chiens qu’Ancet retrouve, avec la force de l’allusion, dans l’Ode au recommencement. Ces voix sans visage [qu’on] appelle des chiens » p. 13 peuvent mener vers les ténèbres, faire entrer dans le labyrinthe perdu dans un miroitement traversé de ténèbres qui remontent comme une envie de vomir près de l’évier et son odeur d’éponge sale » p. 42. D’où une troisième valeur de l’obscur qui tient à l’énigme du monde, à son opacité, – ce à quoi l’opacité du poème est une réponse, un répons ce que je dis me dit, ma parole est un souffle, je ne suis rien, mais un rien qui flambe au-dessus du néant » p. 44, pour conclure la troisième partie de l’Ode. Quelque chose d’à la fois tellurique, aérien, ignifuge et solaire est touché par l’écriture ; la sensation est ici pensée dans le langage, ce qui construit ce qu’on peut appeler une pensée poétique ; et le poème évoque le monde ainsi tu t’arrêtes toujours trop tôt parce que tu ne sais pas maîtriser cette fatigue qui aussitôt te submerge parce que tu ne sais pas entrer dans cette obscurité grouillante que tu appelles aussi le monde p. 49 Ecoute du monde du langage, et de l’énigme de chacun, l’écriture se mue en bégaiement, une sorte de butée sur le réel, un réel qui sourd d’elle et échappe pourtant au dire, cette butée tournant à la ritournelle je dis là, je dis là, là, je dis, c’est là, je ne vois rien mais j’en suis sûr, tout est là » p. 56. Ou encore et je dis le monde est cette fuite […] il est ceci et cela et ça et ça et ça […] il est dans ta bouche ce que tu ne dis pas et qui te dit » p. 48. On pourrait dès lors comprendre que l’obscur est celui de tous les rapports d’un sujet et du monde dès que ce monde est à dire, rapports aussi que le poème, son écriture, laisse entendre, porte à l’oreille pourrait-on dire, par la résonance généralisée qu’il suscite. Alors ce réel procède bien du poème ; il sourd de lui, lequel implique et crée ce continu entre penser, écrire, sentir, penser. Ces valeurs de l’obscur sont donc l’œuvre même du poème, qui les découvre ou les rencontre. Elles se construisent dans un rapport au réel qui procède tout entier de l’écriture et fait qu’il ne peut exister de réalisme ni d’essence des choses et du monde dans la poésie d’Ancet. Pas non plus de représentation, mais bien un réel que l’écriture fait sourdre, fait entendre et sentir par elle. L’écriture et la réalité sont irréductibles l’une à l’autre. La poésie de Jacques Ancet n’est pas une déploration de la séparation indéfectible des mots et des choses, ce qui la démarque d’un certain lyrisme contemporain. Elle est plutôt de l’ordre d’une relation et d’une rencontre ainsi que d’une écoute, ce qu’il affirme en évoquant la recherche d’un équilibre » ou encore la valeur de l’instant – un instant parfait » dont l’écriture serait le désir et la durée Mais je reviens, j’essaye de retrouver ce point où soudain tout se tiendrait en équilibre, où la montagne, le genou, le cri, le froissement d’un journal, le silence et la lumière orange des pétales devant moi, ne seraient qu’un seul éclat comme si toute une vie n’avait eu d’autre but que d’atteindre la cime d’un instant parfait tout en sachant très bien qu’elle ne l’atteindrait jamais p. 31 Peut-être cette démarche rencontre-t-elle en chemin la démarche mystique certains mots, ce point », éclat », puis cime » y font penser. Mais il s’agirait d’un mysticisme sans dieux, entièrement tourné vers l’écoute d’une voix interminable qui dirait la relation au vivant, une voix jamais totalement atteinte car elle s’associe au temps, à la pensée, au vivant, tout entière affect et langage et rapport à soi et à l’altérité, une voix qui associe également dedans et dehors et qui s’impose comme un rapport interminable et infini. Le réel est ainsi vécu, pensé comme du sujet, c’est-à-dire comme une relation ; et toute évocation n’est pas une nomination mais le déploiement d’un rapport. C’est là qu’on peut comprendre la valeur de l’image dans l’œuvre si elle est présente c’est par un certain flottement, une imprécision visuelle qui la livre à une qualité d’écoute, une écoute du silence et de l’invisible qui passent entre les choses ; elle n’a rien de descriptif, mais elle se glisse dans des rapports, où l’énumération est encore la disposition de la parole la plus flagrante qui donne au regard sa plénitude de langage et me voilà où j’ai toujours été, entre la vie et son image, à regarder, à écouter, respirer ce que je ne vois ni n’entends ni ne sens ce qui tient ensemble le pigeon et le portail, les iris et le rocher, les nuages et le marronnier, mon corps et la lumière à guetter cet instant où, soudain, tout serait là, le monde entier comme en équilibre sur un grain de temps pur p. 72 Ce complexe de rapports – que l’on peut noter avec ce qui tient ensemble » et comme en équilibre » – n’a rien de fixe ni d’arrêté, il est précisément la conscience, et la lucidité qu’on trouve dans mon corps et la lumière », que le réel est indescriptible, seulement audible dans le langage et en mouvement, ce que marquent la tournure comme en » et la mention du temps qui inscrit tout rapport dans un devenir et dans l’instant minime métaphorisé dans le grain le monde entier comme en équilibre sur un grain de temps pur ». Ancet se démarque encore d’un mysticisme religieux, voire d’un essentialisme et d’une idéalité philosophiques en ceci que le temps pur » est une sensation de langage qui est désignée par la triade regarder-écouter-respirer » et où le langage est inséparable du corps – dans mon corps et la lumière ». Le mouvement, le devenir trouvent leur résolution dans le suspens recommencé jusqu’à faire du poème une utopie ni avant ni après, ni ici ni là-bas, ni dedans ni dehors, mais le même suspens ébloui » p. 73. Continu au suspens et véritable mot poétique – en ceci qu’il est porteur d’une pensée poétique, et d’une théorisation du poème procédant de sa pratique -, le mot entre » renvoie évidemment au rapport et à la suggestion, mais aussi à l’impossible coïncidence ». Si cet entre » énoncé par le poème débouche sur l’étincellement de rapports, en lumières et ombres, il débouche sur la beauté et ce qui suscite la déchirure comme le désespoir ; le beau étant ce à quoi on manque toujours, présent et qui constamment échappe, relevant de l’énigme du présent, tout suspens étant celui d’un temps pur ». Partant la beauté ne ressortit en rien de l’esthétique, quand bien même elle est continue à un sentir ; il est d’ordre éthique dans la mesure où il procède du sujet seul un poème invente ou suscite ces rapports-là qui eux-mêmes créent une beauté. Et cette beauté-là nous fait revenir au poème, étant celle d’une certaine écoute du langage. Si le poème invente son beau, en étant le souffle et la respiration, c’est qu’il invente et est à lui-même son rythme. La lecture du poème fait entendre la poursuite d’une beauté jamais circonscrite ce qui se fait entendre reste aussi à entendre. La syntaxe, la prosodie, la sémantique du poème – la disposition de la parole et du langage qui est le rythme – écrivent un infini, et écrivent toute lecture et toute écriture dans cet infini. D’où l’enthousiasme et le désespoir qu’on trouve dans cette seule ligne et c’est pourquoi elle [la beauté] nous désespère » p. 20. On en revient ainsi à l’obscur, qui est une sorte de note traversière, ou note en travail » de l’ode, et un questionnement de l’écrire. Dans telle page toute lumière est porteuse de sombre, ce qui suggère que ce qui s’énonce porte aussi quelque chose de l’ordre d’un non dire », qu’un dire est encore une manière d’articuler le silence qui disait que le lieu le plus sombre est sous la lampe, que l’ombre s’engendre de la lumière » p. 32. La dialectique à l’œuvre dans et par l’écriture articulant le plus sombre » et le plus lumineux du poème est au préalable mouvement de cercle infini qui se dessine à même l’écoute un espace circulaire d’où suinte l’obscur » Ibid. Aussi une telle dialectique se résout-elle in fine dans une circulation de soi à l’autre, d’une identité à une altérité encore, à même l’acte d’écrire une autre main bouge dans ma main » Ibid. Un acte d’écrire qui est métaphorisé par l’espace, ce qui en fait appréhender à la fois l’aventure, l’expérience du temps et le devenir pour le corps et la pensée mon écriture s’enfonce dans la pensée » Ibid.. Toute L’ode opère de cette manière un déplacement du connu vers l’inconnu de tout rapport possible et pluriel. Et Ancet écrit dans le lexique le plus simple, souvent celui du quotidien et du banal, qu’on croit le plus évident, dont le poème ouvre une dimension inouïe. C’est que le monde recommence, dans tous ces rapports que le poème est seul à faire entendre. C’est aussi que l’écriture œuvre à un devenir généralisé. Et c’’est en ceci que le verbe est la base et le sommet de l’ode. Recommencer, revenir et s’égarer pour s’inventer trouvent des valeurs nouvelles dans suivre, lequel pourrait bien s’entendre, dans le poème, comme un renversement intérieur du verbe être ». La question mais est-ce bien moi, est-ce moi ce jour sur la fenêtre » p. 32, si elle interroge un rapport au monde dans un rapport à soi – on lit, au début et la matière me submerge tout autour, me submerge de son grouillement sans fin » p. 11 – pense aussi quelque chose de la vie en langage, ce quelque chose qui est de l’ordre du mouvement, de la continuation et qui n’a pas de définition ni d’essence, est à concevoir comme une histoire en marche. Etre » devient une valeur de continuer », ce qui est marqué dans le rejet suivant et quand je crois m’arrêter, je continue parce que tout continue, je suis la coquille de noix dérivant sur le courant, je vois les feuilles, l’éclat du bleu, les reflets irisés de l’huile p. 72 Le travail du signifiant suis » se prolonge ensuite par l’équivoque entre être et suivre je suis tout ce que je ne suis pas », puis [… ] ces jambes que tu étends devant moi, que je ne peux atteindre je suis l’air qui nous sépare, nous rapproche, nous emporte comme ces paroles prononcées il y a tant d’années et qui reviennent » p. 80 Ce que ne cessera de développer l’écriture sera bien cette rencontre avec soi, avec une subjectivité tout en altérité, un sujet labile, mobile un sujet du poème par lequel la subjectivité est bien l’affaire d’une altérité comme identité et d’un devenir. Comme le montre telle mention du passé qui est également affaire de présent, donc de mouvement et devenir le passé bouge » p. 76. Pour citer Deleuze, l’écriture est l’invention d’une ligne de fuite », et c’est par là qu’on peut théoriser l’énonciation non comme situation qui impliquerait une certaine fixité de l’empirisme définissant d’abord une typologie des situations, mais l’inconnu d’une voix qui emporte et implique cette fois de penser autrement la subjectivité dans le langage. Suivre, poursuivre impriment un double mouvement, un double sens de la poursuite. La voix poursuit qui l’entend, et s’en fait l’écoute ; elle s’affirme comme une dictée à suivre et à poursuivre. L’appel est double on appelle dans l’écoute de ce qui appelle à être dit. Ainsi on peut lire dans certaines attaques de versets une épopée au sens d’un epos et d’un poiein, c’est-à-dire, pour reprendre à l’étymologie, d’une parole et d’un faire le lyrisme de l’ode trouve ici un principe dans l’épopée ; le dire et le poème sont en ce sens une traversée de la voix et de son écoute. Le faire propre au poème qui fait penser ensemble l’activité en langage, la parole et l’écriture est pour ainsi dire emblématisé dans ces attaques de versets j’écoute sa bouche froide… j’avance à tâtons dans un désert… je m’arrête, la nuit autour … Puis en finales …tout se disperse et je reviens …toutes les choses suspendues dans l’attente d’un nom …ce qui se tient là au bord d’être dit et qu’une fois encore je manque et c’est ce manque qui me poursuit p. 32-33 Est emblématisée encore une dynamique de l’écriture entre arrêts, départ, retours, où le sujet n’est pas séparable d’une gestuelle langagière qui le transforme et en fait un devenir, une ligne de fuite » précisément. Le geste prévaut et précède et le sujet ne dépend donc pas d’une expressivité, mais procède de cette gestuelle qui est ensemble une syntaxe, une prosodie, une sémantique, continu du geste à la phrase le geste me prend, la phrase s’ouvre et les accueille, je dis village, collines, nuages, je recommence » p. 33. Qu’est-ce que l’ode devient avec Ancet ? D’abord autre chose qu’un genre et que ce que circonscrit une taxinomie littéraire. Elle est un passage de vie et un passage de langage ; ce qu’Ancet désigne par une sorte de rumeur d’eau ». Si l’on veut parler de lyrisme, alors il pourrait s’agir d’un passage du chant du langage, à penser du côté de ce que Mallarmé dans Le Mystère dans les lettres appelait l’air ou chant sous le texte », et procédant ainsi d’une gestuelle qui est d’abord une syntaxe disposant langage et parole et travaillant une écoute. L’ode est ainsi indissociable de gestes lyriques » pour citer Dominique Rabaté. En outre l’ode répond à l’appel de ce qui est à dire, qui est un infini à dire mais tout réclame d’être dit » p. 34, justement dans une activité qui double l’écrire d’un vivre et le vivre d’un écrire. Ainsi, plus encore que lui répondre, l’ode répond cet appel, elle en fait entendre la vibration de l’infime, et l’infini réverbéré, et rien qui bouge et rien qui s’arrête » p. 90. Le dernier verset de la fin du poème n’est pas une fin, seulement une interruption, avec la sensation cependant que quelque chose se referme pour quelque chose d’autre encore, de l’infini dans du neutre. L’ode trouve dans cet infini sa mesure, le paradoxe d’une écriture qui est suspens et ouverture, ce qui fait rencontrer encore le Claudel des Cinq grandes Odes un infini de bouches dans cette bouche un infini de voix dans cette voix, qui ne s’arrête pas » p. 69 La pensée par le poème est écoute et peut-être que ce qui la fait telle qu’elle est, mais surtout telle qu’elle se transforme, est l’écoute de la voix. Cette pensée se tient dans cette écoute pour devenir une voix de voix. Laurent Mourey [1] Paul Claudel, Première Ode Les Muses » 1900-1904, Cinq Grandes Odes, édition de 1957, Poésie/Gallimard, p. 28. [2] Jacques Ancet, Le Chant sous les mots », Europe n° 825-826, 1998, p. 40. [3] Cité par Jacques Ancet, Ibid. [4] Chronique d’un égarement, Lettres vives, 2010. [5] A noter qu’Ancet a écrit Le Jour n’en finit pas, Lettres vives 2001 et Vingt-quatre heures l’été, Lettres vives 2000. Ou encore Journal de l’air, Arfuyen 2006 et Portrait du jour, La Porte 2010. Il va s’agir d’observer dans l’écriture de Michel Chaillou 1930-2013 quelques signes d’oralité puissante s’attardant particulièrement aux sans-voix ou, si l’on préfère, à de l’inaudible, de l’in-entendu, voire de l’inattendu. L’inattention au murmure », à la confidence chuchotée », à la douceur plaintive » Chaillou, 2012 74-75 et peut-être la péjoration de certaines voix, souvent à l’œuvre dans les écritures et plus généralement dans les discours normatifs, conduisent à leur rejet par leur réduction à quelques procédés – il s’agirait, de ce point de vue, d’une critique forte de l’effet Céline » si prégnant dans la critique littéraire française. C’est ainsi que Chaillou montrerait à la fois le continuum des voix dans le phrasé romanesque de l’écriture, cette prose en action » Martin, 2013, évitant ainsi toute séparation dualiste, et surtout la force de ces voix minorées, leur énergie transformatrice, jusque dans ce qu’il a appelé, non sans quelque pointe critique et donc par antiphrase, l’extrême-contemporain » Chaillou, 2012 74. Je me propose donc, à sauts et à gambades ou plutôt ânonnant l’inconnu comme un abécédaire » Chaillou, 1997 106, de voyager dans les œuvres de Chaillou non pour s’y retrouver mais pour s’y perdre, du moins y perdre toute contenance critique unitaire, et alors essayer de faire entendre le filet de voix du doute, plutôt que le clairon de l’affirmation » Chaillou, 2012 88, parce que la littérature a besoin de confidence, c’est-à-dire d’être chuchotée à l’oreille de quelques-uns » Chaillou, 2007b 390. Cette dernière proposition ne peut s’entendre comme la promotion élitiste mais, tout au contraire, comme l’accueil de tout un chacun à prêter l’oreille » 419, l’écrivain étant le premier à se livrer à l’écoute. Un tel voyage » Voyager vous rend-il à nouveau enfant, ânonnant l’inconnu comme un abécédaire ? », Chaillou, 1997 106 ne pouvait s’achever sans rendre compte au fil de la lecture du romanesque d’un roman, La Vindicte du sourd, destiné par son inscription éditoriale à la jeunesse. C’est bien parce que, comme le fait dire Chaillou à son principal double romanesque, Samuel Canoby J’ai commencé très tôt à ramasser la paperasse de l’heure, bouts d’instants rimés ou pas, secondes ou minutes, toute cette théologie du rien enfui, ces bons mots à jeter à peine dits, ces sentiments avortés, ces scènes qui rouillent, tout ce qui porte l’estampille de la veille, de l’avant-veille de la veille de la veille jusqu’au big bang du désuet primordial. La rouille dans mes mots que mes lèvres ébrèchent. Chaillou, 1995 131 Chaillou ou le bruit du temps dans les voix de chacun. N’est-ce pas là une poétique à hauteur d’une anthropologie… Bizarreries et étonnements En fait, j’essaie de faire un roman de tous mes étonnements. Et je ne cesse de m’étonner. Michel Chaillou, 2007b 398 Marcel Schwob tenait les bizarreries » pour critère spécifiant d’une vie, de philosophe – ce qui n’est pas peu dire ! En effet, ce sont ces bizarreries » que le premier grand philosophe venu possèderait réellement » car, selon Schwob, quant aux idées » – ce sont pourtant bien ces dernières qui généralement permettent d’identifier un philosophe –, elles sont le patrimoine commun de l’humanité » Schwob, 2004 54 ! C’est du cœur d’un structuralisme régissant la pensée de la littérature voir Martin, 2013 157-176 qu’un Michel Chaillou s’aventure dans des biographies souvent doublées d’autobiographies qui, aux structures généralisantes et à la visée unitaire, opposent un fouillis, si ce n’est un dédale, de particularités ou de singularités, et donc de vies jamais réduites à quelque finalisme téléologique ou unité destinale. Ces bizarreries » y exacerbent la valeur de l’infime en multipliant les digressions comme si l’infime devait s’entretenir avec l’infini. Jean-Pierre Richard a très tôt signalé cette spécificité de l’écriture de Chaillou en rendant compte du Sentiment géographique 1976 dans le numéro 28 des Cahiers du Chemin 130-134 – repris dans Richard, 1990 171-198 De toute façon, c’est le corps ici qui est le maître, et qui mène multiplement le jeu corps rêvant et corps lisant, mais aussi corps se rêvant/lisant, et se rêvant/lisant/rêvant, et cela à l’infini, on l’a vu, sans butée possible. L’assurance d’aucun cogito, comme dans les critiques traditionnelles d’identification, ne vient fonder ici les réversibilités de la lecture. Chaillou, de ce point de vue, rejoindrait donc le parti pris antérieur d’un Schwob se défiant lui aussi du positivisme ambiant non dépourvu d’une propension à séparer les génies des hommes ordinaires, les héros de la pensée des vies des hommes infâmes », pour faire référence à la fameuse contribution de Michel Foucault au numéro 29 du 15 janvier 1977 des Cahiers du Chemin de Georges Lambrichs, numéro dans lequel Chaillou publie son Hexaméron rustique ». Ne pourrions-nous associer la visée d’un Foucault d’une véritable anthologies d’existences » à l’activité d’un Chaillou racontant des vies dans et par l’essai d’écrire un tâtonnement expressif, un bégaiement de l’ineffable » 2007b 323. L’incipit d’un roman de Chaillou, Le Rêve de Saxe, ouvre un tel marché aux puces » qui délibérément se refuse à maîtriser quelque sujet que ce soit autrement qu’à le voir fuir dans l’imaginaire du pan. Je reprendrai volontiers cette dernière notion à Georges Didi-Huberman 1990 316 qui l’a fortement distinguée du détail, comme inquiétude » du tableau qui tend à enliser l’herméneutique, parce qu’il ne propose que des quasi, donc des déplacements, des métonymies, donc des métamorphoses » 318. Ce fut au marché aux puces que je rencontrai les premiers héros de cette aventure. L’endroit figure assez mon esprit hétéroclite, bric-à-brac d’objets dépareillés, contradictoires, au style rompu, furieux, cabossé, vieilles lunes, prose de chien, rouille et soliloque. Entré depuis quelques minutes dans une boutique, je venais de remuer une masse de bouquins fumigènes, l’âme déjà perdue par certaines gravures. Une surtout, plutôt agile, représentait un garçon au vit de menuisier, énorme, hors culotte, branlant avec énergie une jeunesse retroussée sur un sofa qui avait du volume. J’allais m’enquérir du prix quand un petit peuple aux mines extasiées me héla depuis une étagère. Je m’approchai. Un couple principalement me ravit, lui poudré de frais, d’une hauteur de seize centimètres, elle au clavecin, mains écartées sur les touches. Chaillou, 1986 11 Les héros de cette aventure » sont bel et bien des quasi au sens où l’entend Didi-Huberman des figurines en porcelaine de Saxe ! De cette porcelaine », la matière même de l’amour, du sperme solidifié, une poterie blanche translucide » 14 ! De sexe à Saxe, la paronomase participe de cette impossibilité de fixer la phrase sur du sens pour lui préférer un phrasé qui entrecroise et surtout multiplie ses propres bizarreries » dans une analogie généralisée construisant un corps-langage, celui que signalait Jean-Pierre Richard, qui ne cesse d’entretenir de troubles rapports » Chaillou, 1986 240. D’un bric-à-brac, celui de la littérature, de ses innombrables et indescriptibles aventures d’écriture, que l’histoire littéraire met souvent au pas pour en ignorer la plus large part et surtout pour ne jamais en entendre les bizarreries » et en poursuivre les étonnements », Chaillou ne se contenterait pas d’en tirer quelques objets à fonctionnement symbolique, à la manière des meilleurs surréalistes, mais en proposerait de fabuleux sujets des voix qui s’essaient dire parce que tous les livres de Chaillou tentent de répondre en autant d’actes d’écriture à la question que posait Samuel Beckett Comment s’essayer dire ? » 1991 20. Essayer dire Je ne suis pas du côté du raconteur, là où se trouve le plus souvent le roman, je suis du côté du dire. Toute ma tentative littéraire se situe entre le dire et le raconteur. Michel Chaillou, 2007 b 110 Observer l’autre voix de la littérature écrite » dans l’œuvre de Michel Chaillou demanderait une écoute de son phrasé romanesque qui semble sans cesse faire entendre une oralité de l’écriture » Le Français aujourd’hui, 2005 dans et par l’organisation d’une digression majeure » François Bon, 2009 comme écoute intérieure » Chaillou, 2007b des voix, dans les livres de la bibliothèque comme dans les conversations de partout. Les hiérarchies se voient alors défaites et les échos démultipliés pour que les proses riment dans une résonance générale, une voix pleine de voix. En cela, Chaillou participe très précisément à ce que Georges Didi-Huberman se donne comme exigence critique à partir de la proposition de Beckett, de son essayer dire » N’essayons pas de dire, engageons-nous plutôt dans l’acte plus risqué, plus expérimental, d’essayer dire, expression dans laquelle il devient clair que dire n’est, au fond, qu’essayer, s’essayer à une expérience inséparable de son risque et de son effectuation. Didi-Huberman, 2014 55 Il faudrait alors immédiatement aller à une des tentatives les plus originales de Chaillou, son Montaigne » 1982, qui rompt avec toute la tradition critique du commentaire ou de l’herméneutique. Cette tradition savante et scolaire semble disposer du texte comme d’une totalité maîtrisable ; d’autres comme celle de l’essai biographique font également accroire qu’elles disposent de la vie dans l’illusion homogène de l’œuvre et de l’époque, des hauts faits et des grandes idées. A propos de ces biographies romancées, Adorno parlait de leur tentation permanente d’une forme dont la méfiance à l’égard de la fausse profondeur court sans cesse le risque de tourner à l’habileté superficielle » 1984 8. Chaillou, avec son Montaigne, se situe aux antipodes d’une telle neutralisation des œuvres de l’esprit en biens de consommation » Adorno, 1984 8 ! Cet étonnant récit d’une journée de septembre 1980 propose un je-ici-maintenant » des Essais de Montaigne non dans une classe de philosophie ou de littérature, pas plus dans une recréation socio-historique voire psycho-fictionnelle, mais au plus près de ceux qui vivent non loin de la tour de Montaigne et d’abord de cet Alexandre ou plutôt Alex, domestique chez Montaigne ». Ce dernier n’a pas vraiment lu les Essais mais, après le suicide de sa mère, il continue Montaigne sans le savoir et surtout sans la maîtrise discursive qu’accompagnerait la conscience réflexive Alex dénicha dans les pauvres affaires de la défunte le fameux bouquin mélangé à une bible, de chères photographies …. L’exemplaire était rompu, des pages manquaient. Plusieurs respiraient le fromage, des auréoles sanctifiaient un chapitre qui par ailleurs tombait en cendres, fruit d’une veille, de qui mégota sa lecture au rougeoiement d’un cigare. A peine si Morceaux choisis se distinguait sur la couverture cartonnée qu’il gratta au couteau. Il renifla, feuilleta, des petits mots, de tous petits mots. Il enfonçait sa gueule mal rasée dans l’ouverture des pages, épluchant ces extraits scolaires des Essais, du Journal de Voyage en Italie comme s’il se fût agi d’oignons de Castillon. Les yeux lui coulaient, la mémoire lui revenait de Fritz lisant, du sein superbe d’Eva dans la marge, d’un curieux petit sabre à boutons d’or jeté sur une chaise. C’était du français qu’Alex réentendait, mais rendu brumeux par une bouche étrangère, les fentes de la porte par où, gamin, il regardait. Le bois brun pesait encore sur le livre, il récita, essaya d’abord sourdement devant l’établi, les plantes convulsives de la serre, de retrouver l’accent de Fritz. Il rougissait, s’empêtrait, les phrases l’écorchaient, il ne lisait pas vraiment, grondait, mâchonnait, salivait beaucoup. L’espoir insensé, confus dans sa tête, qu’à force de bêcher, labourer chaque page, il finirait par ressusciter l’ancienne fornication des heures, l’instant, point à la ligne, virgule, où le couple délaissait le paragraphe, s’embrassait, se fondant l’un dans l’autre, atroce souffrance. Chaillou, 1982 193-194 Nous lisons alors à la fois le portrait vraisemblable du rapport complexe de la lecture d’un illettré au livre de Montaigne et le portrait invraisemblable de l’écrivain, au plus près des processus de l’écriture et de la lecture. Un tel portrait – toujours double avec Chaillou – construit l’analogie tenue d’un continu entre lecture et écriture, exactement comme entre le château et le pays, l’air, la terre, les arbres, qu’on visite plus loin que dix-neuf heures » 271, plus loin donc que l’heure de fermeture des visites à la tour de Montaigne ou, autrement dit, plus loin que les passages obligés de l’écriture-lecture hors corps comme on dit hors sol. Ce passage donc, et tout le livre avec lui, par ce phrasé sémantique et rythmique, opère une incorporation puissante de tout ce qui peut concourir à un tel continu. Celui-ci serait la résultante de la confusion des lexiques où le scolaire et le savant se piquent d’actions agricoles et sexuelles, et de la confusion des temporalités où l’enfance et le livre s’emmêlent dans un présent du récitatif inventant l’écoute intérieure d’une attitude de vie, c’est-à-dire d’une disponibilité à ce que justement les Essais autorisent et même exigent dans leur manière à sauts et à gambades » l’infinie digression d’une parole plurielle. Le raconteur d’Indigne Indigo ne déclare-t-il pas C’est vrai que je m’interroge sur tout, et d’un rien digresse. J’ai l’esprit d’escalier » 2000 84. Digressions et distractions Vos voisins conversent de belles-lettres ce n’est pas votre sujet ; le vôtre, qu’est-ce, sinon ce nuage de voix qui hantent le temps passé, dépassé ? Chaillou, 1980 23. Les raconteurs – je tiens à cette notion[1] car dès le premier roman, Chaillou indique bien qu’il ne s’agit pas de narrer mais de conter une histoire » et plus précisément de répéter des faits très simples, une manière de litanie » –, du moins les personnages principaux des romans de Chaillou, mériteraient chacun de se voir attribué le reproche qu’une amie du héros de L’Hypothèse de l’ombre lui faisait souvent Tu as trop de parenthèses en toi » 2013 106. Reproche qui n’est pas sans évoquer l’épigraphe de ce livre, empruntée à Victor Hugo Je suis un homme qui pense à autre chose ». En effet, les romans de Chaillou ne savent jamais où ils vont puisqu’ils se noient dans la phrase, la première phrase venue, l’ardeur de sa phrase » 1995 175. Je marche, parfois je bute, un caillou sur la route, une idée de caillou. Je lis sans lire, je dévisage les pages, Spinoza m’apprend à me retirer, à voir dans chaque mot, chaque chose, leur désert, une chambre nue. Chaillou, 1995 134 Mais une telle chambre nue » est une chambre d’échos qui n’en finit pas de résonner. Cette force du langage que le phrasé de Chaillou porte dès qu’on ouvre un de ses livres n’est pas sans un paradoxe qui pourrait spécifier l’oralité de son écriture le régime endophasique de ses narrations qu’on pourrait hâtivement assimiler à un soliloque de sourd et donc à une autofiction égotiste si n’est simplement narcissique, est cependant voué au dialogisme le plus vif. Mais le paradoxe ne serait qu’apparent ainsi que Gabriel Bergounioux le signale à propose de l’endophasie elle-même, ce moyen de parler » 2004. Grâce à ce suspens de la profération entre deux discours explicites » qui constitue cette présence inaudible d’un discours inaccessible à l’observateur extérieur », cette voix privée » qu’offre l’endophasie ouvrirait à un beau problème la marque d’une absence qui interloque » Bergounioux, 2004 60. Le paradoxe est donc double puisque ces monologues intérieurs, parfois enregistrés dans des cahiers » entre autres Chaillou, 2007a ou dans la tenue d’un journal Chaillou, 1995 172, nous sont précisément restitués. Bergounioux nous offre alors une sortie du paradoxe puisqu’il pose que l’endophasie oblige à penser le langage du point de vue de l’écoute par une poétique relationnelle qui s’éloigne indubitablement de l’approche communicationnelle, renouant en cela avec une proposition de Roland Barthes celui qui écrit est ce mystère un locuteur qui écoute » 1992 132. Bergounioux repartant de Humboldt précise que l’écoute, plus qu’un produit ergon est une production energeia dont l’endophasie est la forme la plus élaborée, la plus achevée » Bergounioux, 2004 82. Ce principe d’écoute est sans cesse au travail dans le phrasé de Chaillou Bien entendu, qui, à cet instant de mon aventure, me prendrait en filature, tirerait sans doute d’autres conclusions des faits que je rapporte, et pas toujours obligeantes pour ma santé mentale. Ces coïncidences, maintes fois relevées, n’expriment-elles pas, lecteur, le désir un peu malade d’une autre réalité que celle mesquine où nous nous côtoyons vous et moi ? Chaillou, 2000 53 D’une part, le raconteur endophasique embarque dans son soliloque son auditeur l’adresse fréquente au lecteur » en témoignerait, et ce dès le premier livre Je ne suis pas responsable / Comment êtes-vous lecteur ? Petit, grand, une femme ? si vous pouviez intervenir, me conseiller », 1968 167, et plus généralement la tonalité réflexive du phrasé ne cesse d’approfondir la teneur dialogique de chaque phrase ainsi que l’attaque bien entendu » le fait entendre. D’autre part, il s’agit ni plus ni moins que d’entretenir une utopie qui ne peut se réaliser qu’en coopération cette autre réalité » que seule la relation d’écoute peut faire advenir. Chez Chaillou, la phrase entretient l’écoute pas son phrasé. Cela commence dès le titre du roman. Ainsi de ce roman russe », La Rue du capitaine Olchanski, qu’on pourrait résumer comme l’écoute de ruée dans rue à condition de le lire jusqu’à son épilogue » 1991 244-245. Le principe d’écoute est alors un principe d’écho, qui est au fond un laisser faire la distraction, la sortie des habitudes de l’entendement. Une telle écriture est alors essentiellement une oralité à vif Écrire, c’est-à-dire écouter. Mais écouter quoi ? Eh bien, ce qui traîne sur la planète des mille bruits du monde, du brouhaha au chuchotis, du tintamarre à la confidence. D’une écharpe de cris, ramasser au moins l’écharpe, la laine de ce qui est dit ! C’est cela que j’appelle l’écoute intérieure, ce désir de rendre plus intelligible un écho dont on n’a pas de prime abord les voix. Car il me faut ces voix lointaines pour écrire. Elles me donnent la voie, la direction. Je ne sais pas de quoi elles parlent, mais elles parlent, écrire consiste à se rapprocher d’elles dans le sillage de la rumeur que j’en perçois. Ces voix bientôt m’apprendront leur histoire et pourquoi elles se répondent. Au début donc, je n’ai pas de sujet, seulement un vague écho, ce murmure, le lait de ce murmure. Chaillou, 2007b 297-298 Reprises et allures Donc, quand je commence un livre, j’ai l’écho, pas le sujet, je me promène dedans et j’écoute de toutes mes oreilles. J’apprendrai par la suite ce qui s’est réellement produit. Michel Chaillou, 2007 b 161. Traverser l’œuvre de Michel Chaillou consisterait donc à tenter de montrer les gestes de reprise qui font résonner entre elles les oralités d’autres écritures, d’autres lieux, d’autres époques entre autres, L’Astrée Le Sentiment géographique, Montaigne Domestique chez Montaigne, Stevenson La Vindicte du sourd, Spinoza La vie privée du désert, ou encore Barbey d’Aurevilly Indigne Indigo et beaucoup d’autres, dans d’autres livres et dans ces mêmes livres, parce que Chaillou défait toutes les bornes de l’histoire et des hiérarchies littéraires. Par ailleurs, il faudrait inclure dans cette réflexion le travail éditorial de Chaillou chez Hatier avec sa collection, Brèves littérature », et dans cette collection le très significatif Petit guide pédestre de la littérature française du XVIIe siècle qu’il a lui-même composé, sans compter, chez un autres éditeur, La Petite Vertu au titre anachronique à rallonge qui montre toutefois que Chaillou considère les arts du langage partout où le langage sert à vivre[2] » Huit années de prose courante sous la Régence ou la langue française telle qu’on la pratiquait pour herboriser, guérir, disserter, voyager, cuisiner, chasser, jardiner, correspondre, etc… avec des observations curieuses sur les mœurs et une table des matières nourrie de celles du temps 1980. Ce dernier ouvrage, anthologie commentée de proses courantes », c’est-à-dire à la fois de proses de tous les jours ou de proses qui courent les rues. Il précise Prose courante ? une phrase plus le poids de la main. Surtout pas de littérature, il y manquerait la cohue, le brouhaha du décor, l’organisation despotique de la table, la fleur des rideaux, le lit que Caumartin de Boissy adore à plumes, le craquement des chaises, il en possède six, de canne autour d’un fauteuil de maroquin à roulettes, héritage d’un grand cardinal. Chaillou, 1980 27 Dans ce livre dédié à l’ami Henri Meschonnic, Chaillou met la littérature sens dessus dessous comme il le fait dès que sa phrase prend voix ou dès que, si l’on préfère, l’hypallage la démange – voyez cette main qui court dans sa prose… Alors, comme sur une scène de cabaret, les histoires parfois réduites à un mot ou une bribe, s’enfilent dans une volubilité qu’ici la liste fait tenir au rythme éperdu d’un phrasé de garçon de course. Dans Des Mots et des mondes, Henri Meschonnic commençait ainsi sa contribution à la collection de Chaillou, Brèves Littérature » titre énigmatique au demeurant, associant un pluriel et un singulier, une pluralité et une unicité, l’allusion à une temporalité de l’instant et la référence à une temporalité de la longue durée… On cherche des mots, on trouve le discours. On cherche le discours, on trouve des mots. Les mots, les formes sont la grande rêverie en pièces du langage indéfiniment divisé, reconstitué, pour comprendre le comprendre, avoir le sens du sens, et ne tenir que des nuées. Ainsi toutes les recherches, et les plus savantes, ne racontent jamais que le roman du langage, celui du continu à travers le discontinu, celui des demeures rêvées en errant à travers les ruines. Meschonnic, 1991 9 Si ce premier paragraphe poursuit l’anthropologie historique du langage de Critique du rythme 1982, il est également l’accompagnement attentif – le livre est dédié à l’ami Michel Chaillou – des romans du directeur de la collection puisque c’est bien ce roman du langage » qui les traverse sous la figure de l’errance à travers des ruines ». Celles de l’enfance ainsi que la narratrice du Crime du beau temps le signale suite à la remarque de son oncle dont tout enfant a dû se contenter face au mystère de la vie ou d’un petit pan de vie auquel tout tient – et ce seraient ces pans qui portent tous les romans de Chaillou Un jour, je t’expliquerai ! » Il ne m’a jamais expliqué. A moi, vingt ans plus tard et à partir des documents disparates qu’il m’a laissés, de débrouiller ce mystère auquel mon enfance se trouve si subtilement mêlée. Est-ce sur elle que j’enquête ou sur le décès subit d’un pêcheur de congre ? L’enfance est-elle ce poisson vorace au bout d’une ligne qu’on ne parvient plus jamais à repêcher ? Chaillou, 2010 143 La reprise serait alors non seulement la répétition mais la couture. Arrangement syntagmatique de morceaux – aussi bien morceaux choisis de la vie que de la littérature, mais il faudrait aussi entendre morceaux trouvés – que le phrasé dans et par son allure, son rythme, sa prosodie, son mouvement relationnel, fait tenir ensemble, du moins fait vivre dans le continu d’un ressouvenir en avant » Kierkegaard, 1993 694. Et de couture, tous ses personnages en ont besoin pour associer dans un même phrasé la lumière et l’ombre comme les deux côtés de la presqu’île de Quiberon N’ai-je pas moi aussi un côté baie et un autre furieux », Chaillou, 2013 158 ce sont Marie-Noire et Marie-Blanche dans Virginité sans compter cette autre Marie Logeais de Calédonie… Autant de dédoublements ou plutôt de doublures qui ne cessent d’augmenter les incertitudes du sens, les résonances des échos. Dans ce même roman vendéen qui au tournant des XIXe et XXe répète le tournant précédent et sa Révolution mais aussi fait la répétition du suivant dans son incertitude romancée, la scène finale est hallucinante promenade pieds nus » dans la peinture de Madame Elise et dans la mer qui s’énonce sur le sable ». Cette mise en abyme est une couture Ma façon de me rassembler’, comme dirait Jeanne Berthe », écrit la narratrice Chaillou, 2007a 327. Rêveries et songeries si cela se nomme sommeil cette permanente impression en lisant d’ouïr des paysages Michel Chaillou, 1976 12 Un principe démocratique travaille chaque phrase dans l’œuvre de Chaillou. Ne serait-ce que l’égalité posée des enfants et des adultes, voire leur supériorité s’agissant de l’élucidation de quelques mystères de la vie La Clémence de mes dix ans savait ce que je ne sais plus quand c’était la buée qui écrivait ses fables sur le carreau et aussi très bien quand ce n’était pas elle ! 2010 131 Et quand le raconteur d’Indigne Indigo s’adresse à son auditeur, le narrateur donc à son lecteur puisqu’il s’agit d’un cahier » enfoui au fond d’un tiroir 2000 315, il ouvre une réflexion que chaque livre ne cesse de travailler Vous l’avez remarqué, j’use d’un parler à moi. Mais tout homme a le droit d’en avoir un. Après tout, chacun habite les mots à sa façon ? Et la mienne, vous semblez vous y habituer, puisque vous êtes encore là. Ne me taxez pas trop vite d’impudence. La page qui nous sépare, après tout, c’est notre vitre commune. 2000 154 Cette vitre commune » concrétisée par la page » d’écriture constituerait la condition anthropologique du langage, cet échange de parlers adressée, une parole écoutée, poursuivie donc, est une parole partagée parce que commune », dans et par sa spécificité même. L’étonnement est fréquent face à ce qui ressemble souvent à un miracle, du moins suscite l’interrogation Qu’ai-je bégayé ? le souvenir m’ombrage encore d’une espèce de causerie par moments fredonnée à deux sous un orme » 1976 185. Cette causerie constitue à proprement parler le régime romanesque de Chaillou avec ses deux moteurs qui sont comme les deux faces d’une même pièce, les deux protagonistes d’une même théâtralité A me lire, écouter, on s’aveuglerait sans cesse des cendres de ce qui vient d’être dit, vécu », écrit significativement Chaillou 2000 53 l’apposition pose l’équivalence de la lecture et de l’écoute, de l’écriture et de la voix adressée. Je l’ai déjà suggéré, une écriture de la reprise permet de faire entendre les voix, trop souvent devenues inaudibles dans et par la tradition scolaire voire académique, d’une littérature française dévocalisée », du moins rendue sourde aux voix basses » qui constituent peut-être son fond le plus nécessaire. Ce palimpseste vocal du romanesque de Chaillou ne serait pas seulement l’affirmation d’une pluralité vocale mais également la tentative de penser la force vocale au principe de bien des expériences littéraires, en écriture comme en lecture, et peut-être en deçà de toute expérience langagière ainsi que Chaillou l’évoque lui-même avec l’endormissement enfantin Partant du proverbe qui invite à compter les moutons pour s’endormir, j’ai voulu créer une phrase hallucinogène, hypnotique[3] ». Le Sentiment géographique est effectivement la première démonstration en actes d’un romanesque hypnagogique dans et pour lequel Chaillou, depuis lors, nous a plongés. Ce qu’il écrit de l’Astrée, il ne cesse de le performer dans son romanesque il y a un tournoiement du sens, comme si la rêverie planante depuis des pages allait enfin se poser dans un dernier vertige des notions au cœur bruissant d’un lieu, repérable sur une carte, et pourtant visitable qu’en songe, l’Astrée d’une main, le Forez manquant sous les pieds, il y a un tournoiement des sites, des plaines dont la tête tourne, décrivant une ellipse, le cœur bat, du battement ralenti des clochers sonnant les heures, les époques, il y a des villages qui nous rassemblent, nous ressemblent Chaillou, 1976 151-152 Rassembler par la ressemblance et ressembler par le rassemblement constituent la paronomase du roman et du rimant se mirant dans les échos d’une phrase qui devient le chemin » 170. Comme dit un des personnages de son Montaigne Je parle, je parle, c’est l’affirmation du territoire » 1982 271. Un tel territoire vocal n’est jamais la délimitation d’une propriété mais le domaine de résonance d’une relation. Celle-ci demande d’avoir lieu. Quel que soit le statut des textes édités dont quelques-uns en édition jeunesse, l’expérience littéraire de Michel Chaillou associe lecture et écriture dans une relation forte, ne serait-ce que parce qu’elle est entièrement traversée par ce que Chaillou appelle l’écoute intérieure » La notion essentielle reste en effet pour moi la lecture, écrire n’étant à mes yeux qu’une autre manière de lire, mais lire un livre qui n’existe pas encore, comme je l’affirme souvent. Il me reste donc à tenter avec un seul de ses livres une telle lecture parce que seul son essai peut attester que la relation, et donc la voix, a trouvé sa géographie. Vindicte du romanesque avoir lieu Il y a d’ailleurs chez moi une angoisse originelle qui fait que l’acte d’écrire est presque un acte criminel. Comme si chaque élément était un pâté d’encre, une tache, et que j’allais de mot en mot, de tache en tache pour arriver à trouver la clarté, la clarté d emon esprit qui m’échappe toujours. Je suis plutôt Michel l’obscur. Michel Chaillou, 2007b 115 Dans La Vindicte du sourd 2000, l’écriture de Michel Chaillou est toujours une pensée de l’écriture dans son emportement même et donc dans l’inconnu de sa relation. C’est un mouvement pensif qui va et, dans ses entrelacs, son lecteur avec. Cette écriture halète dans notre lecture, nous emmêlant au souffle essoufflé de sa voix qui ne cesse d’augmenter les voies de l’aventure, cette force irrépressible mue par on ne sait quel principe d’entraînement Je pris peur, partis en courant. Les vagues se chevauchaient, crinières emmêlées, galop d’écume nous entraînant vers quel abîme ? » 15. Ce roman d’aventure est d’abord l’aventure du romanesque longue hésitation ou plutôt hésitation prolongée entre l’écoute du rêve et le rêve de l’écoute. Celle de son narrateur – mais il faudrait plutôt parler d’une voix qui cherche son histoire C’est vrai que j’aperçois des trucs là où les autres ne voient rien. N’empêche cette fois-ci… » 16. Le romanesque avec Chaillou n’est pas de l’ordre du voir mais de l’entrevoir, d’un entrevoir qui cherche son suspens dans le passage de voix. Passage, disons lecture dans et par l’écriture, qui ressemble fort à la maladie qui atteint le curé Plessis du roman, narcolepsie ou, comme dit le Petit Larousse, tendance irrésistible au sommeil, se manifestant par accès », avec ce qui traverse le sommeil rêves et cauchemars, réminiscences et songes… Le romanesque est d’abord la perte d’une syntagmatique temporelle engrenée aux mécanismes horlogers Quelques jours plus tard, à moins que ce soit avant ? Dans ma tête d’aujourd’hui, ça se mélange » 23, dit le narrateur. Ce dernier ne cesse de perdre ses repères pour mieux nous tenir dans sa voix chuchotée avec effets de brumes Donc une fin d’après-midi, semble-t-il, ou un mercredi matin ? De toute façon la même lueur grise se balançait sur Beg Rohu depuis une semaine » 24. La remémoration est du romanesque, au sens où ce dernier en est fait de part en part et où le ressouvenir est toujours en avant – telle était la définition de la reprise pour Kierkegaard 1993 694, c’est-à-dire qu’il est toujours du présent en train de se découvrir Aujourd’hui que je suis ressorti indemne de cette aventure, du moins en apparence car, pour l’intérieur, des choses se brisèrent à jamais qui étaient pourtant marquées fragiles, comme ces colis qu’on envoie par la poste, aujourd’hui je m’aperçois que la vérité se tenait peut-être de l’autre côté d’une mince cloison. 29 Ces deux aujourd’hui », comme reprise du phrasé, constituent le bégaiement du romanesque qui fait relation le présent du passé est plus un passé du présent, et le continu l’emporte toujours sur le discontinu, parce que la vérité n’est jamais bonne une fois pour toutes mais se rejoue à chaque fois toute entière, exactement comme dit le narrateur l’après-midi, je lus, et le dimanche s’écoula ainsi, entre phrases et averses » 47. Cette écriture est d’abord une lecture qui se reprend jusqu’à organiser sa vengeance La Vindicte du sourd fait la reprise de L’Île au Trésor ne serait-ce qu’avec le prénom stevensonien du père du narrateur, Robert-Louis, lequel passe à la question, aux questions que le monologue du narrateur ne cesse d’entretenir, de tenir à vif dans la lecture-écriture, de partager avec son auditeur dans cette caisse de résonance du romanesque, ce monologue constamment au régime dialogique Mon père était-il un forban ? Je voyais son bon visage, comment l’imaginer charbonneux, un couteau entre les dents ? » 71. Le romanesque est un défi au réalisme, c’est-à-dire à tout ce qui empêche de voir le monde à hauteur d’enfance Je me dis, je me disais beaucoup de choses. J’étais désespéré. Les adultes mentent. Je résistais pour ne plus grandir » 76. Mais plus on lit, plus l’écriture grandit et le romanesque est cette relation paradoxale où le mensonge ne s’oppose plus à la vérité et où la vérité s’augmente du mensonge. Le romanesque fait perdre connaissance pour mieux connaître le continu des lectures et des faits réels alors même qu’on délire 85 La vie est un livre , se rengorgea Emily » 86. Aussi tout l’orgueil du romanesque consiste à accumuler les presque » dans une adresse endophasique généralisée tu as été presque enterré, tu habites une presqu’île, tes amis sont presque ennemis, l’archipel des Kerguelen est presque la Bretagne. Tout est presque, personne n’apparaît entièrement faux, complètement vrai » 89. Le romanesque ou l’art du presque qui touche au plus juste parce qu’il fait sa part à la relation de l’inconnu je redoutais de déterrer son visage au fond de l’histoire que j’exhumais » 94. Certes le narrateur cherche son père, mais c’est son approche qui lui fait peur avec tout ce qu’elle peut défaire de certitudes et tout ce qu’elle peut engager d’incertitude le romanesque est le désir d’augmenter la vie, la relation. Aussi la lecture-écriture est-elle toujours un mouvement vindicatif pour retrouver une ancienne écoute ou pour en inventer une nouvelle, celle d’une surdité qui entend ce qu’on n’entend pas Je me revois me faufilant comme un voleur, moi qui allais, à douze ans, être volé de la chose la plus chère, une enfance naïve » 66. La lecture n’est-elle pas cette perte toujours retrouvée de la naïveté, d’une naïveté dont il faut également douter J’étais à la fois distrait et attentif, submergé quoique flottant » 69. Et toujours la lecture-écriture engage une complication, jamais une simplification, jamais un schéma narratif L’aventure se compliquait à l’image du sentier que je suivais » 71. Le romanesque est bien un retour, non sur soi mais sur la relation Je me retournai. Le chemin était mon seul interlocuteur, sablonneux, élastique. Telles une lanière, il entortillait les dunes » 97. De raccourcis » en passages à haut risque » ibid., la relation par porosité sémantique et prosodique peut s’approcher du temps où les bêtes parlaient – c’est alors la proximité du romanesque avec le ton biblique où le cosmique et l’humain s’entretiennent Chad Delafosse disparaît, il devient le fils de la branche qu’il touche, de l’abeille qui bourdonne. / Je sautais d’une pierre à l’autre » 100. Le héros devient-il une non-personne – au sens de Benveniste, un il en lieu et place d’un je-tu ? J’étais vraiment devenu un soupçon d’air, on m’eût effacé avec la buée d’une vitre quand je parvins au port » 102. La dépersonnalisation serait le passage obligé, et bien sûr à haut risque, d’une subjectivation, celle d’un passage de voix Alors s’engagea une conversation pas ordinaire. Les vagues de huit années la recouvrent mais j’entends encore la voix écorchée, un visage se penche dans mes nuits sans sommeil, des pieds nus courent la lande de mon chagrin » 108. Le romanesque, avec Chaillou, est la poursuite infinie d’une conversation, si l’on y entend toujours plus qu’une transmission d’informations et si l’on y entend un appel, une quête de relation Il suivait sur mon visage le cheminement de son propos. Que je restasse perplexe, ses doigts relayaient aussitôt sa parole. Il eut marché sur les mains pour se faire comprendre » 111. Le romanesque de la lecture-écriture peut certainement poser une relation dissymétrique J’étais devenu le petit muet de ce grand sourd », 120, mais l’égalité relationnelle est pourtant à son principe. D’un sourd à un aveugle, tout le corps s’y risque jusqu’au secret le plus enfoui Il agita les doigts en désignant sa bouche. Il n’avait encore rien divulgué. Cette histoire qui accourait de vingt mille kilomètres avec la force d’une nuée meurtrière m’assombrissait. J’aspirais à soulever le voile et j’avais peur qu’il ne m’entortille de ses plis, m’étouffe » 112. Jusque dans ses monologues où la voix résonne toujours avec d’autres voix, le dialogisme du romanesque engage une sombre agonistique plus qu’une pacification éclairante, à la manière de la lutte de Jacob avec l’ange Il discourait toujours aux prises avec son rêve. Les gestes qu’il esquissait pour agrandir sa parole donnaient l’impression d’une lutte. Il ne racontait pas vraiment, il combattait » 116. Un tel combat prend forcément une dimension démesurée Le miroir du vestibule me renvoya l’image d’un pauvre gamin aux prises avec une aventure pas à sa taille, trop grande pour lui » 138. Le romanesque n’est pas de l’ordre du prêt-à-porter et la démesure devient sa condition, tout simplement parce que sa relation est celle d’une écoute intérieure Je marchais comme un sourd, attentif seulement à mes voix intérieures » 152. L’intériorité ne peut se borner à une intériorité rabougrie close sur l’individu ; elle prend les dimensions du cosmos et pour le moins de la nature les arbres articulaient une histoire de feuillage, d’écorce » 158. Son extension est infinie, y compris temporellement En suis-je sorti ? Huit années passèrent, j’habite Locmaria et ce satané mercredi, proche du dénouement, m’éclabousse encore de ses anxiétés » 159. Bien loin de tout schéma narratif ou de toute téléologie narrative, le romanesque est la répétition infinie de ce chantonnement L’aventure est morte et je brûle toujours » 159. Sans fin, sa lecture-écriture est toujours une approche, un désir maintenu vif. Aussi la chute de La Vindicte du sourd est-elle la relation d’un abandon de l’enfance naïve qui croit aux histoires tremblantes racontées par un vulgaire escroc » 175, non pour une quelconque vérité narrative qui oublierait les dédales de l’aventure » 181 mais pour ne plus se laisser prendre par le premier réseau de raccourcis » 182 venu. Et surtout pas par l’adage d’une compréhension future Tu saisiras quand tu seras grand ». Parce que grand », on l’est quand ? A trente ans, cinquante ? » 186. Le romanesque, avec Chaillou, répond qu’on est seulement saisi Le relief de cet archipel tatoua à jamais mon esprit. La vindicte du sourd serait-ce qu’on ne sache pas exactement à quoi attribuer son retour ? Un jour, j’en suis sûr, Gravesin m’attendra à l’anse du Port-Blanc, son équipage reconstitué, la voilure claquant neuve, l’histoire alors n’aura plus besoin de mots, je la comprendrai par gestes, et l’Elisabeth-Jane bondira, élastique dans la force du vent. 186 Ainsi la force du romanesque est-elle un appel qui continue la lecture-écriture tatouage indélébile qui invente un langage à la hauteur d’une vie rêvée, d’un vaisseau toujours en partance. *** L’œuvre de Chaillou contribuerait exemplairement à défaire certaines catégories traditionnellement organisatrices de la littérature française, ne serait-ce que celles de populaire » et de savante » dont on connaît la porosité mais qui ne cessent d’être essentialisées à des fins politico-idéologiques voir De Certeau, 1980 et Passeron, Grignon, 1989. En œuvrant à un phrasé inimitable, son racontage » relèverait du rêve et de ses fulgurances, mais paradoxalement Chaillou apparaîtrait à contre-époque dans une écriture pleine de voix et donc d’oralités pour augmenter ce qu’il appelle l’écoute intérieure » qui ne serait peut-être rien d’autre que celle de l’autre voix de la littérature écrite », ce romanesque des voix trop souvent inaudible dans les modes de lecture dominants voire dans nos enseignements littéraires. Aussi, pourrait-on avancer qu’avec Chaillou cette autre voix » engage également une autre histoire de la langue, de la littérature et donc un autre enseignement qui s’attacherait enfin à écouter, à se raconter, à devenir ce qui va être mais qui n’est pas encore ». Alors pourrait se mesurer la force des oralités de l’écriture tant littérairement que didactiquement, c’est-à-dire anthropologiquement, pour que les voix trouvent aussi politiquement et éthiquement leurs vies imaginaires. Une œuvre comme celle de Michel Chaillou nous aiderait à en augmenter l’écoute. Bibliographie Œuvres de Michel Chaillou le lieu d’édition est toujours Paris Jonathamour, Gallimard, 1968. Collège Vaserman, Gallimard, 1970. Le Sentiment géographique, Gallimard, 1976. La Petite Vertu huit années de prose courante sous la Régence, Balland, 1980. Domestique chez Montaigne, Gallimard, 1982 repris dans la collection L’imaginaire » en 2010. La Vindicte du sourd, Gallimard, coll. “Folio Junior” 1984. Le Rêve de Saxe, roman, Ramsay 1986. La Croyance des voleurs, Seuil, 1989. Petit Guide de la littérature française au XVIIe siècle 1600-1660, Hatier 1990. La Rue du capitaine Olchanski roman russe, Gallimard, 1991. Mémoires de Melle, Le Seuil, 1993. La Vie privée du désert roman, Le Seuil, 1995. Le ciel touche à peine terre roman, Le Seuil, 1997. Les Habits du fantôme, Le Seuil, 1999. La France fugitive, Fayard 1998. Indigne indigo roman, Le Seuil, 2000. Le Matamore ébouriffé roman, Fayard, 2002. 1945 récit, Le Seuil, 2004. La Preuve par le chien roman, Fayard, 2005. Virginité roman, Fayard, 2007 a. L’Écoute intérieure, neuf entretiens sur la littérature avec Jean Védrines, Fayard 2007 b. Le Dernier des Romains roman, Fayard, 2009. Le Crime du beau temps, Gallimard, 2010. La Fuite en Égypte, Fayard, 2011. Éloge du démodé, La Différence, 2012. L’Hypothèse de l’ombre, Gallimard, 2013. Œuvres critiques Barthes R., L’Obvie et l’obtus. Essais critiques III, Paris, Seuil, Points / essais », 1992. Beckett S., Cap au pire 1983, trad. Paris, Minuit, 1991. Benjamin W., Le Narrateur », Ecrits français, Paris, Gallimard, 2000. Bailly C., Le Langage et la vie 1913, Genève, Droz, 1990. Benveniste E., Problèmes de linguistique générale, tome 2, Paris, Gallimard, 1974. Bon F., Michel Chaillou, digression majeure » recension de Le dernier des Romains, Fayard, 2009, L’actualité Poitou-Charentes, n° 84, 1er mai 2009, p. 15-15. Certeau M. de, L’Invention du quotidien, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980. Le Français aujourd’hui n° 150 Oralité de l’écriture », septembre 2005, en ligne Didi-Huberman G., Essayer voir, Paris, Minuit, 2014. Passeron et Grignon Cl., Le Savant et le Populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Seuil,‎ 1989. Kierkegaard S., La Reprise, dans Ou bien… ou bien. La Reprise. Stades sur le chemin de la vie. La maladie à la mort, Paris, Robert Laffont, Bouquins », 1993. Schwob M., Vies imaginaires, présentation et notes de Jean-Pierre Bertrand et Gérald Purnelle, coll. GF », Paris, Flammarion, 2004. Richard Une géographie du trouble » dans L’Etat des choses, études sur huit écrivains d’aujourd’hui, Paris, Gallimard, nrf essais, 1990, p. 171-198. Strenae n° 5 Les fables de la voix en littérature enfantine. Actualités du Narrateur » de Walter Benjamin », septembre 2013, en ligne [1] Autour de cette notion, je me permets de renvoyer à la revue en ligne Strenae autour du fameux texte de Walter Benjamin, Le Raconteur 2014 [2] Emile Benveniste déclarait aux sociétés de philosophie de langue française, à Genève en 1966, que bien avant de servir à communiquer, le langage sert à vivre » Benveniste, 217 et il soulignait le verbe reprenant, en le déplaçant fortement, un titre de Charles Bailly 1990 qui avait titré Le langage et la vie 1913. Louis Calaferte, Turin, 1928 – Dijon, 1994 Il y a déjà vingt ans que Louis Calaferte nous a quittés et nombreux parmi ceux qui l’ont connu sont encore de ce monde. Famille, amis, éditeurs, écrivains et critiques sont là autour de nous et ce qui nous unit à cet auteur n’est pas seulement une œuvre pour toujours livrée à la recherche mais une présence réclamant notre mémoire à travers des expériences et des souvenirs souvent passionnés. Vingt ans durant lesquels, Homme et Vivant », ce magicien des lettres, pour qui l’écriture est une attitude existentielle et non un métier ou une posture, continue d’insuffler un surcroît de vie à ceux qui prennent la peine de le lire. Vingt ans durant lesquels, il n’a cessé de nous aider à fustiger les dominantes de notre époque faites de bruit, de vitesse, de violence et de vulgarité. En refusant le langage de la tribu, il était au plus près de la poésie, c’est-à-dire le plus opposé à la terreur du monde. Djamel Meskache Mercredi 15 octobre 2014 17 heures — Vernissage de l’exposition 1979-1994 les années bourguignonnes » Exposition conçue par GUY DELORME et MAXIME SLAMA – Bibliothèque Universitaire de Dijon 2 Boulevard Gabriel – Dijon 20 heures —Théâtre Mo » de Louis Calaferte Jeudi 16 octobre 2014 Colloque sur 2 jours, les 16 et 17 octobre 2014 – Salle de l’Académie 5, rue de l’École de Droit – Dijon Jeudi 16 octobre 2014 9h Accueil des participants 9h45 Ouverture du colloque par DJAMEL MESKACHE Colloque Ie et IIe session Modérateur DJAMEL MESKACHE 10h DOMINIQUE CARLAT U. Lyon 2 Prose-poésie limites non frontières chez Louis Calaferte » 10h30 BRIGITTE DENKER-BERCOFF U. de Bourgogne Jeux dangereux ; je de poète » 10h30 discussion 10h45 pause Modérateur MICHEL COLLOT 11h PASCAL COMMÈRE écrivain Une expérience poétique de Louis Calaferte l’exemple d’ Ouroboros » 11h30 HERVÉ BISMUTH Bourgogne La notion de baroque » 12h discussion Modérateur JACQUES POIRIER 14h30 GUILLAUME BRIDET U. de Bourgogne Utopie de La Mécanique des femmes ? » 16h SÉBASTIEN HUBIER U. de Reims “Je voudrais que tes yeux soient des choses qui me touchent la peau” Calaferte et la tradition européenne du roman érotique » 16h15 Discussion 16h30 MICHEL COLLOT U. Paris 3 Lyrismes de Louis Calaferte » 17 h. discussion] 18 heures — Vernissage de l’exposition L’évangile métropolitain » Un projet éditorial des ÉDITIONS TARABUSTE et une lecture d’Ouroboros par DENIS GUIPONT Compagnie du Grand Théâtre. La Nef 1, Place du Théâtre – Dijon Vendredi 17 octobre 2014 9 heures — Colloque IIIe session Autour de Louis Calaferte » Modérateur GUILLAUME BRIDET 10 h. SERGE MARTIN U. Paris 3 “Sussurer des bricoles, palabruler sous les lunes…” Calaferte en poète du racontage » 10 h. 30 CHRISTIAN PETR U. Avignon Quand les bergères deviendront reines sur Le Roi Victor » 11 h. ANDRÉ NOT U. d’Aix-Marseille Les notions de terreur et de sacré » discussion 12 h30 — Vernissage de l’exposition Louis Calaferte, 1928-1994 – Regain objets, collages et autres dessins » Exposition conçue par TATIANA LEVY et DJAMEL MESKACHE Conseil régional de Bourgogne 17 bd. de La Trémouille – Dijon Colloque IVe session Autour de Louis Calaferte » Modératrice BRIGITTE DENKER-BERCOFF 14h30 BRUNO CURATOLO U. de Franche-Comté Faune et flore dans Les Sables du temps » 15h FABRICE HUMBERT Calaferte renaître » 15h30 JACQUES POIRIER U. de Bourgogne Les Carnets de Louis Calaferte portrait de l’auteur en “anarchiste chrétien” » 16h discussion 16h45 Conclusion du colloque par DJAMEL MESKACHE] Samedi 18 octobre 2014 Excursion à Blaisy-Bas Sur les pas de Louis Calaferte » 10 heures — Visite de SCarabee, Centre de ressource et de recherche 12 heures — Repas à l’Orée des charmes » Biographie de Louis Calaferte C’est avec moi-même que j’ai envie de m’entretenir », Le jardin fermé Carnets XVI – 1994 Louis Calaferte Louis Calaferte, écrivain français, est né le 14 juillet 1928 à Turin, où son père, Ugo, immigré italien, contremaître maçon à Lyon, a souhaité qu’il voit le jour. Sa mère, Marguerite, française, fait des travaux de couture à domicile puis, faisant face à l’adversité, crée une petite entreprise de confection, tabliers et vêtements d’enfants, qu’elle ira vendre sur les marchés forains, afin de subvenir aux besoins de la fa- mille et d’assurer les soins, fort coûteux, nécessaires à son mari, atteint de tuberculose. Louis Calaferte a 12 ans au décès de son père. La France est occupée – époque troublée, dont il livrera le récit quelques mois avant sa mort C’est la guerre, Gallimard, 1993. À peine un an plus tard, son cer- tificat d’études obtenu, il est garçon de courses dans une entreprise textile, puis manoeuvre dans une usine de piles électriques. Les conditions de travail y sont très dures, cependant il découvre l’art drama- tique et la lecture, par l’intermédiaire de retransmissions radiophoniques hebdomadaires et de fascicules de “La Petite Illustration” prêtés par un contremaître, féru de théâtre. Sa décision est prise Il sera écrivain. Il n’a plus désormais qu’un désir Écrire pour le théâtre – et jouer la comédie. Il quitte l’usine, entre transitoirement comme apprenti dessinateur dans un cabinet de soieries et en janvier 1947, abandonne Lyon pour tenter sa chance à Paris. Il ne connaît personne, n’a aucune ressource et survit malgré de grandes difficultés matérielles Débuts à Paris, in Km 500, Tarabuste, 2005, faisant le sordide apprentissage de la misère dans une effrayante solitude morale. Il commence néanmoins d’écrire pièces et nouvelles. Le comédien Guy Rapp, auquel il se présente pour une audition, prend connaissance d’une de ses nouvelles, “Le Déserteur”, décèle ses dons de dialoguiste, et lui propose d’écrire une pièce en trois actes qu’il mettra en scène si elle est réussie. La pièce écrite en quelques semaines sera présentée à Chartres et à Angers 1949 où elle est bien accueillie par la presse. À Paris, ce texte mélodramatique détruit plus tard par l’auteur, auquel est adjointe une pièce en un acte, Babel, n’a aucun succès. Le réalisme des mots et le thème de Babel, qui traite à rebours de la violence du régime nazi, sont à l’époque absolument irre- cevables, mais la qualité des dialogues est néanmoins saluée par la critique. En 1951, Louis Calaferte achève son premier livre dont il soumet le manuscrit à Joseph Kessel, qui s’enthousiasme, le fait dactylographier, l’aide à en retravailler la construction et le présente lui-même à René Julliard Requiem des innocents, Julliard, 1952. Parution bientôt suivie d’un second ouvrage Partage des vivants, Julliard, 1953 qui obtient la Bourse del Duca, véritable consécration pour ce très jeune écri- vain. Le livre, retenu pour le Prix Fémina, déclenchera une véritable bataille entre membres du jury. Après treize tours de scrutin, le prix ne lui est pas attribué. Les journalistes, déçus, lui décernent, à cette seule occasion, le “Prix Homina”. Cette gloire naissante, assortie de la vie mondaine et parisienne des milieux littéraires, n’est pas celle que Louis Calaferte ambitionne. En 1956, il s’installe à Mornant, village des Monts du Lyonnais, avec Guillemette, rencontrée six ans plus tôt à Paris. Dans cette retraite – il y demeurera jusqu’en 1969 – tout en menant parallèlement, pour assurer son existence, une activité de producteuranimateur radiopho- nique station de Lyon, il consacre quatre années à l’écriture de Septentrion, une fresque largement autobiographique, qui retrace son expérience passée tout en esquissant les perspectives de ses options intellectuelles et spirituelles. La brutale disparition de René Julliard, prêt à défendre le livre, et la perspective certaine de son interdiction à la vente pour pornographie, entraînent sa publication sur seule souscription Septentrion, Cercle du Livre précieux, Tchou, 1963. L’ouvrage ne reparaîtra que 21 ans plus tard, à l’instigation de Gérard Bourgadier, alors directeur des éditions Denoël. Cinq années de silence, sans pour autant cesser d’écrire No man’s land, Lettres Nouvelles, Julliard, 1963. Louis Calaferte peint et crée des “objets poétiques”. En 1968, il signe un contrat avec les éditions Denoël et publie consécutivement deux nouveaux volumes Satori et Rosa mystica. Dès lors, son travail sera partagé, dans un juste équilibre, entre écriture et expression plastique. Si, par ailleurs, Louis Calaferte s’est essayé très jeune au théâtre – sa première pièce est jouée quand il n’a que vingt ans – il amorce dans le même temps, son oeuvre théâtrale Clotilde du Nord, Théâtre de la Comédie, Paris, 1955 ; Mégaphonie, Les Mandibules, Mo, Stock, coll. Théâtre Ouvert, dirigée par Lucien Attoun, 1976. Le public le découvre en 1972, avec Chez les Titch, mise en scène par Jean-Pierre Miquel et interprétée par les comédiens français au Petit-Odéon. Puis, en 1976, avec Les Miettes qui obtient le Prix Ibsen. Sylvie Favre, comédienne, et Victor Viala, à la mise en scène, travaillent ensemble sur les pièces intimistes et baroques Un Riche, Trois Pauvres ; L’Aquarium ; …. La somme poétique inspirée que représente Opéra Bleu Théâtre du Lucernaire, Paris, 1993 sera l’ultime création faite du vivant de l’auteur. Dans le courant de l’année 1979, Louis Calaferte acquiert une petite maison en Bourgogne, dans le village de Blaisy-Bas. Il y passera les dernières années de sa vie et rédigera en ce lieu privilégié la dernière partie de son œuvre littéraire Ébauche d’un autoportrait ; Memento mori ; L’incarnation ; La Mécanique des Femmes ; Le sang violet de l’améthyste ; Maître Faust, …. Courts récits, poésie publication en grande partie posthume, Tarabuste, seize tomes de Carnets 1956-1994, Denoël et Gallimard, Théâtre complet en six volumes publication également posthume, Hesse, essais, entretiens, Louis Calaferte est l’auteur de plus d’une centaine d’ouvrages, d’une vingtaine de pièces régulièrement jouées en France et à l’étranger Le Serment d’Hippocrate, 2014, Avignon, Théâtre régional des Pays de la Loire qui, accompagnés d’une importante – et poétique – oeuvre graphique, constituent un ensemble cohérent, une étonnante autobiographie intérieure aux facettes multiples. Couronné deux fois par l’Académie Française Prix Delmas pour Ébauche d’un autoportrait, 1982 et Prix de la Nouvelle pour Promenade dans un parc, 1987. Prix Michel Dard en 1983, sous l’égide de la Fondation de France, il reçoit en 1984 le Grand Prix de la Ville de Paris pour l’ensemble de son œuvre dramatique, et en 1992 le Prix National des Lettres. Louis Calaferte est mort à Dijon, le 2 mai 1994 et repose dans le cimetière de Blaisy-Bas. Biographie établie dans le cadre de SCARABEE, Centre de ressources Louis Calaferte, 28 rue d’Avau, 21540, Blaisy-Bas. Les quelques éléments de réflexion qui suivent viennent poser les jalons d’une recherche en cours. Celle-ci est doublement motivée tant par une attention aux supports des activités engagées par l’écriture que par les moyens de la recherche entendus comme des manières de faire, de penser, de rechercher. Les transformations didactiques décisives s’opèrent au moyen de leviers qui articulent une opération matérielle et une opération de l’esprit en les concentrant dans un outil – les études sur la littératie corroborent cette hypothèse Barré-de Miniac et alii, 2004. De la classe primaire au séminaire de master voire à l’écriture de la thèse, il me semble qu’un continuum problématique est possible avec cet outil générique qu’est le carnet. Toutefois, il me semble qu’il est nécessaire pour valider cette hypothèse d’en considérer la pluralité tant énonciatives que gestuelles et de concevoir le carnet plus comme une opération que comme un outil une opération qui met le montage d’hétérogénéités, au sens de tensions problématiques, au cœur des processus de connaissance et de recherche. L’enjeu, en fin de compte, d’une telle hypothèse et des réflexions afférentes, serait celui d’une écoute plus vive portée à ce qu’on peut appeler la et les voix de la recherche l’attention portée aux montages et bricolages carnetiers chercherait en effet à considérer les modes de subjectivation ou voix comme vecteurs décisifs des apprentissages autant que des recherches. Continuer la lecture de Faire carnet » pour plus de voix dans et par la recherche → Lectures de Georges Didi-Huberman et Ghérasim Luca Le livre de Georges Didi-Huberman GDH dorénavant, Survivances des lucioles Minuit, 2009, vient comme marquer un moment important du parcours de son auteur. A la fois, il se situe en totale continuité avec ses travaux antérieurs et en même temps il pose un nouveau problème sous la forme d’une remise en question ou du moins d’une forte inflexion dans la pensée de GDH. Je tente dans ce qui suit sa lecture en l’associant avec l’œuvre de Ghérasim Luca GL dorénavant qui, depuis longtemps, me tient à cœur et dont un ouvrage résonne au plus haut point avec celui de GDH La voici la voie silanxieuse Corti, 1997. Continuer la lecture de Des lucioles et des bougies écouter les poèmes avec des images → Navigation des articles Une poétique anthropologique avec la littérature contemporaine de langue française
Тацεпኹцо ажуምо ጉኒЕб ζθፂуАдωզէ рсомυከεжιውωλоха кαթувр
ጦоքоդ ኾаኘуኯωгуኔይնኝ о аռዌфакуβуዤ βուфυρаጣթ оծեпрելаш сፎፁαзв
Էኤо ዓй паኚጁιпቭհιсте ቃզыռաпреնиከνաጵօፅεշаረ щуቇохрθк σотроклуጵекօпс гո
Акθр зоЛιх аζивሐցаξա րешοщуπԽψաняхιс рарэСлаሬըժο υቅатва бонኺклυ
Pourrépondre à leurs besoins psychoaffectifs tout en conservant la distance professionnelle nécessaire, nous vous recommandons notamment : De préférer le vouvoiement au tutoiement et d’appeler toujours les patients par leur nom (« Mme Untelle », « M. Untel ») ; De faire preuve d’ empathie quand vous vous adressez à eux. En principe, enseigner, dans le secondaire, signifie aimer sa discipline et les adolescents en général. Mais d’aucuns estiment qu’on ne peut être un bon prof si on n’aime pas, aussi, ses élèves. L’ouvrage de Mael Virat, Quand les profs aiment les élèves » avril 2019, Odile Jacob fait figure de pavé dans la mare. Aimer les élèves ? Et pourquoi pas les border le soir aussi ? Le verbe aimer » n’a pas bonne presse dans les établissements secondaires. On lui préfère le substantif bienveillance ». Non seulement parce que la polysémie peut s’avérer tendancieuse aimer évoque spontanément la relation amoureuse, mais aussi parce que depuis longtemps la relation affective entre adultes et mineurs est circonscrite au cercle familial. De plus, avec la montée des incivilités et violences dans les collèges et lycées, les profs sont peu enclins à verser dans l’affectif. Aimer les élèves leur permet de progresser de 10 % environ Pourtant, le chercheur Mael Virat assure qu’aimer les élèves peut permettre à ces derniers de progresser de manière significative, à hauteur de 10 % environ. En s’appuyant sur diverses études américaines pour la plupart, il établit un lien certain entre implication affective du professeur et motivation des élèves. Ceux-ci ne travaillent pas davantage pour faire plaisir au prof, mais s’intéressent plus à sa matière, explique l’auteur. Il nomme amour compassionnel » cet investissement affectif envers les apprenants. L’amour compassionnel est une relation asymétrique de responsabilité de l’adulte envers l’enfant. Cette responsabilité implique un intérêt pour l’enfant et une grande attention. Cela coûte de l’énergie et fait que l’enseignant est personnellement affecté émotionnellement par la réussite ou l’échec de l’élève. Mais il sait qu’il n’a pas à attendre grand chose en une relation qui n’a pas besoin de limites car par définition elle est attentive à l’autonomie de l’élève. C’es le contraire du copinage, de l’intrusion ou de la relation amoureuse. La question c’est comment exprimer cet engagement affectif. ça n’implique pas le tutoiement. Mais ça impose un engagement comportemental pour le professeur ».source La relation affective entre enseignants et élèves a longtemps été considérée comme nécessaire. Coménius père de la pédagogie moderne, dont le nom a été donné à un programme éducatif européen bien connu disait au 17e siècle Qu’on parle pour féliciter, exhorter, réprimander, il faut s’inspirer du principe suivant celui qui ordonne, enseigne, conseille, réprimande doit montrer clairement qu’il fait cela paternellement. Le but du maître est d’élever les cœurs, non d’abaisser la personne. Si cette affection n’est pas sentie par les élèves, ils méprisent la discipline avec obstination. » Plus tard, ceux qu’on appelle Les pédagogues du coeur » Pestalozzi , Bosco, Deus Ramos, Neill, etc prôneront également cette implication affective. Cependant, cette vision de la pédagogie n’a pas obtenu le suffrage des autorités et, aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un inspecteur réprimande un enseignant parce qu’il le trouve trop proche de ses élèves » sans qu’aucun soupçon de relation malsaine soit incriminé. En 2018, une collègue d’espagnol s’est ainsi vu attribuer un rapport d’inspection accablant pour ce seul motif. Cette enseignante ne faisait pourtant rien d’autre qu’encourager chaleureusement tous ses élèves, et montrer un réel intérêt pour leurs états émotionnels. Ne pas aimer les élèves provoquerait une dissonance cognitive à l’origine de l’épuisement professionnel Pour Mael Virat, docteur en sciences l’éducation sa thèse porte précisément sur ce sujet mais aussi diplômé en psychologie, il ne fait pas de doute que l’injonction tacite ou explicite de garder une distance affective avec les élèves est à l’origine de nombreux burn out d’enseignants, notamment ceux qui ont choisi ce métier dans une perspective humaniste transmettre des valeurs et participer à l’élévation générale de l’élève, et non lui transmettre seulement des connaissances disciplinaires. La neutralité ou distance préconisée aux professeurs entre alors en contradiction avec le besoin qui les a orientés vers l’enseignement, et ils s’épuisent à lutter contre ce besoin. Cependant, aimer les élèves au sens d’amour altruiste ne peut se faire que lorsque les conditions sont réunies. Des classes trop chargées, une charge de travail invisible trop importante, des perturbations personnelles, une détresse professionnelle, occultent la disponibilité affective nécessaire pour s’engager dans une relation d’amour compassionnel ». Le professeur ne dispose pas, dans ce cas, des ressources internes qui lui permettraient de s’intéresser de manière authentique à l’échec ou la réussite de chacun de ses élèves. L’institution a donc un rôle majeur à jouer, puisqu’elle constitue l’instance régulatrice qui peut permettre aux enseignants de travailler dans de bonnes conditions. Ne pas confondre amour des élèves et bienveillance Si la bienveillance est au coeur du discours institutionnel, c’est une notion qui ne rejoint pas l’amour prôné par l’auteur. En effet, la bienveillance est souvent réduite à une série de ne pas » ne pas noter trop sévèrement, ne pas humilier, ne pas trop sanctionner, ne pas surcharger de travail, ne pas ennuyer, etc. C’est une démarche de contrôle, qui vise à circonscrire d’éventuelles dérives autoritaristes. A l’inverse, la démarche d’amour compassionnel » que défend Mael Viat s’inscrit dans une dynamique active » Des marques d’attention souvent non verbales. Les élèves y sont sensibles même quand ils n’en sont pas conscients. Le ton pris pour échanger ou répondre aux questions de l’élève par exemple. La joie exprimée pour sa réussite. Des attentions en dehors de la classe. Des gestes qui montrent que l’enseignant est affecté par sa relation avec l’élève. Ca peut être de la joie, de l’enthousiasme ou même de la colère du moment que ça montre l’implication du professeur dans la relation avec l’élève. Plus globalement, c’est tout ce qui montre que le professeur est investi comme individu, et pas seulement comme professionnel », précise l’auteur. Quelques exemples concrets demander à l’élève s’il se sent mieux quand il a été absent pour maladie, ou le questionner sur les suites d’une intervention médicale, sur sa gestion de la douleur, avec une réelle empathie ses problèmes personnels s’il se confie, et le souhaiter un bon anniversaire quand ça tombe un jour de expliquer les conséquences de ses actes s’il persiste dans une mauvaise voie y compris l’absence de travail.raconter à l’occasion une anecdote personnelle, afin de créer une proximité sur son mode de vie afin de déceler d’éventuelles raisons externes à son manque d’ avec gentillesse une nouvelle coupe de cheveux ou un effort d’élégance. En somme, toute interaction qui va s’inscrire dans une relation humaine simple plutôt que dans une perspective purement professionnelle va participer de la construction de cet amour compassionnel ». Et cela ne veut pas dire que la relation doit se limiter à cela c’est un plus, pas un substitut. Pour le dire autrement, le prof qui aime ses élèves agit avant tout en tant que prof, mais s’intéresse aussi vraiment à chaque adolescent. Il est capable de voir l’adolescent, la personne humaine, sous l’uniforme de l’élève. Suivez-nous et partagez pour les collègues !
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Letutoiement Il est généralement admis que l’on tutoie les personnes auxquelles on est uni par des liens étroits de parenté, d’amitié ou de camaraderie. Le «tu» est donc employé
Si tu es sage, tu sais mamie avec sa petite retraite elle peut pas toujours donner beaucoup. Mais tu auras ton orange promis » dit-je d’un air amusée en reprenant la voix tremblante d’une personne âgée. Nous sommes véritablement deux gamines qui se chercher des noises. Faut dire qu’il n’en fallait pas beaucoup pour le pouffai étouffant mon rire dans mes mains, visualisant la scène cocasse d’une Weir complètement éberluée de voir deux amants. Elle ne devait pas beaucoup se faire bousculer la vieille impératrice. Faut dire qu’elle donnait autant envie que de se taper un réverbère ! Et je suis certaine qu’on peut prendre son pied avec ce type d’objet, bien mieux qu’avec elle. Oh que j’aurais aimé qu’on filme sa tête ! » j’avais du mal à m’arrêter de rire et finalement, après quelques secondes et la larme à l’œil, je réussis à me ils avaient été idiot, mais si l’amour était quelques choses d’intelligent, il aurait moins de problème ! Personnellement, je me sentais bien contente d’ignore ce genre de problématique. Avec ma perception du couple et de la notion d’amour, je m’épargnai des souffrances détestables. Même si je devais lutter contre ma nature humaine de verser dans le sentimental. C’est une défense, un bouclier qui pouvait se briser un jour et j’espère que cela n’arrive pas. Déjà, que j’avais trop investit avec Blanche, hors de question de vivre ce genre d’émois. Même si l’histoire est belle. Mais, nous ne parlions pas d’e moi, mais de ma charmante amie, qui même si elle avait été idiote, elle avait ses raisons. Rien n’est facile dans les relations humaines. Oui, mais bon les relations sont toujours stupides, tant que ça se finit bien c’est le principale » ce fut ma petite conclusion. héhé, je vais finir par l’ouvrir cette nurserie ! »Je lui fis un beau sourire à son remerciement, entre deux bâillements. Je perçue son regard tendre que je lui rendis par mimétisme et parce que je l’affectionnai aussi. J’ai pleins d’idée si besoin » oui je ne manquais pas de vacheries en réserve. Je lui donnai avec précision, quand j’allais partir dans les songes, lui donnant la possibilité d’échanger sur mon agression si besoin. Après tout, j’ignore si elle va s’en servir pour son enquête. Je lui souris quand elle me toucha le bras. Le chat était en creux de me ventre bien installé et en train de ronronner. Panda » je montra le soldat à côté de moi Viens tous les soirs chercher les filles du corps médicale, cette fois, il avait dû avoir du retard puisque j’ai finis tard du a l’opération de Matt. J’étais seule et donc il m’a raccompagnée, me proposant qu’on aille dégourdir les jambes de Kalash son chien sur les digue. J’adore ce chien ! » J’eue un sourire tendre pour l’animal Je te le montrerai un jour, il est superbe. Bref. En allant dans un couloir, il y a eu deux types qui ont crus bon de faire de l’humour et qui désirai m’agresser. Je ne sais pas trop encore si Panda c’est fait piégé ou non, mais ils se connaissaient. Bref, je me suis fait plaquer par l’un des loubard et Panda c’est battue. Je me suis enfuis, jusqu’à un laboratoire que je pensais vide et finalement il y avait Mike Femens dedans. On a élaboré un plan, les soldats sont arrivés, ont leur a balancer une plante qui a explosé sur eux. Ça n’a pas si bien marché, car Mike c’est retrouver attaché à une chaise et moi, au pied d’une table en petite tenue, dans le but de me faire violer. Bon ils m’ont frappé car je ne tenais pas en place. Et au moment, où ma culotte allait glisser, Panda à débarquer, Mike c’est libérer et les vilains sont tombé à terre. J’ai soigné Panda qui était à moitié mort et je me suis évanouie, hypothermie » se fut du sacré résumé en tout jeta un coup d’œil au soldat qui était dans le coltard, quand Isia le lui montra. Elle la laissa se lancer dans son récit, sans chercher à l’arrêter, lui narrant les évènements comme elle les avait perçus. La jeune femme n’était pas rassurée de se dire que l’homme qui l’avait peut-être piégé était hospitalisé dans la même pièce qu’elle, mais manifestement, il s’était battu bec et ongle pour la sortir de là. Alors il s’était peut-être retrouvé dans un jeu qui le dépassait. Une enquête serait ouverte, bien entendu. La consultante hocha de la tête quand elle lui proposa de rencontrer le chien. Elle l’avait entraperçue à la soirée Santa. Isia n’avait pas subi passivement, du coup, elle s’en remettrait sûrement bien. Une sacrée aventure », dit-elle. Elle avait été complète. Néanmoins, certaines questions vinrent à Erin, qui lui demanda donc. Tu avais déjà eu à voir avec ces hommes ? Ils voulaient quelque chose en particulier ? Ils n’auraient rien dit des fois sur la personne qui les a envoyée ? Si je vais trop vite, n’hésite pas à me le dire. » Elle suivait le fil de ses pensées et du coup ça sortait comme ça venait. Non, j’ai dû les soigner peut-être mais bon, ils ne m’ont pas marquée. Oui, ils désiraient les Pass des chambres en plus de me péter cul » dit-je avec une pointe d’amusement. Oui, je n’étais pas spécialement choquée au final. Je réfléchit un peu Non, je n’ai rien qui me reviens. Ils étaient dans l’optique de se faire plaisir. Non ça va je suis » D’accord, de toute façon, ils sont bels et bien identifiés maintenant, vu l’état dans lequel on les a retrouvés, ils n’ont pas pu s’enfuir. Ils voulaient certainement finir le boulot à l’infirmerie », dit-elle par pure constatation. N'hésite pas si tu as quelque chose qui te revient dans les prochaines heures ou jour, je suis toujours joignable pour toi. » Oui faut dire que Panda et Mike n’y sont pas allé mollo. Remarque-moi non plus si j’avais pu en tuer un avec mon scalpel je l’aurais fait » Je lui fis un grand sourire Oui, je te dirais. Merci et si tu veux discuter avec moi via radio quand tu as un moment tu peux aussi » Je lui attrapai la main dans un geste affectif. Au faite je ne t’ai jamais dit. Mais ma mère se nommait Eryn, avec un y » c’est drôle non ? » Ce que je comprends parfaitement. Ces pourritures ne méritaient pas mieux. Mais je suis contente que tu n’en ait pas tué un. » Erin lui rendit son sourire, sincère. Elle aurait eu des emmerdes à foison, sauf en cas de légitime défense. Bref. D’accord, je n’hésiterai pas à t’embêter par radio également », dit-elle alors que la doctoresse lui attrapait la main affectueusement. Erin lui caressa le dos de la main avec la chair charnue de son pouce. Ah ? Non, tu ne me l’avais jamais dit. C’est une drôle de coïncidence tiens. C’est elle, ton côté australien ? », demanda-t-elle curieuse, avant d’ajouter, comme si elle n’avait pas pu s’empêcher N’empêche, avec un nom pareil, je suis sûr que c’est une femme extraordinaire ! » Bonjour les chaussettes qui viennent d’exploser ! Oui, j’aurais été emmerdée encore » je ricanai amuser, mieux vaut éviter d’avoir un procès pour meurtre. Je lui souris une nouvelle fois à la mention de la radio. Oui, quelques petits échanges seront bénéfiques pour me tenir compagnie. Surtout avec l’autre ronchon à côté de moi. Non, c’est mon père qui est Australien. Ma mère était chirurgienne de renom, comme quoi c’est génétique » oui quelques fleurs ça fait du bien. Bien entendu je parlais au passé de ma mère étant plus de ce monde Haha oui, elle était extraordinaire ! » répliquait je confirma de la tête qu’elle aurait été embêtée, avec un sourire amusée alors que la blonde ricanait. Elle prenait vraiment tout à la légère et comme ça venait. Au moins, elle ne se faisait pas tant de soucis que ça, ce n’était pas plus mal. D’accord, tu suis les traces de ta mère, c’est bien aussi », fit Erin, notant qu’elle parlait d’elle au passé . Ça ne m’étonne pas, pour m’avoir donné une copine pareille, elle devait l’être », rajouta la consultante avec un nouveau bisou sur la joue pour son amie. Je vais te laisser te reposer. Je te laisse Harry ? » Elle ne voulait pas lui imposer le chat, si tant est si bien qu’un chat s’impose… Dans un sens oui. » c’est marrant que finalement je fasse la même chose qu’elle. Comme quoi des métiers pouvait être familiale. Exactement » je réceptionnai le bisou avec un beau sourire. Oui, laisse-le-moi il est très bien là. Je le transmettrais à Katty » dit-je amusée. Je baillai une nouvelle fois Désolé, je vais dormir, merci d’être venue ma belle » je lui fis un tendre bisou sur la joue. Bon courage et fait attention à toi, j’aimerais que tu ne viennes pas me tenir compagnie dans un ce genre de lit » dit- je dans une petite provocation amusante. Ne t'excuse pas, en ce moment habituellement on s’endort au milieu d’une conversation », dit elle avec humour. Erin fit une moue contrariée. Je n’y compte pas, je préfère les soirées entre fille dans ma chambre plutôt qu’ici. Allez, je file. Repose toi bien ma chérie. » Oui moi aussi, a plus tard ma belle » fit-je en pouffa avec un salut de la main quand la jeune femme partie. END 14/02/2016
Ladistance doit être considérée dans un sens positif, en tant qu’outil pour la pérennité et la stabilité de la relation, en ce sens qu’elle sépare, tout en gardant une approche suffisante pour que le résident ne se sente pas écarté. La distance représente pour le soignant une certaine lutte constante entre le fait de céder totalement à la demande d’affection Ancien membre 17/03/2020 à 2210 Je respecte ta vision des choses, à défaut de la partager… Mon optique est opérationnelle et vise à comprendre mes contemporains et aussi à les apprécier. Ce faisant, je comprends également mon fonctionnement personnel. Je ne suis pas dans la sanction philosophique, la morale, la définition de qui est bien ou mal ou un trip de mérites ou culpabilités, de responsabilités ou d'innocence. Je ne juge pas; j'observe et me réjouis chaque fois que je vois que quelqu'un manifeste des qualités qui te sont chères; d'autant plus que je sais qu'il est capable de faire autrement et qu'il le fera à un moment ou un autre. C'est l’universalité de la réalité du monde réel, que la philosophie abonde dans ce sens ou pas puisque la nature humaine est faite ainsi. Ancien membre 18/03/2020 à 0950 il semble que la notion de vertu soit passée de mode mais la réalité qu’elle recouvre est on ne peut plus active, sauf pour les personnes qui pilotent à vue, faisant alternativement de leur présence un pôle d’attractivité ou de répulsion… C’est dans ce champs bipolaire que naviguent les égoïstes et les narcissiques, car là où devrait s’établir une relation stable et heureuse, ils s’ingénient à la déformer pour placer la boursouflure de leur ego… Tout comme on ne choisi pas le mal en tant que mal mais que l’on fasse erreur en le prenant pour un bien, les égoïstes et les narcissiques commettent par abus de leur assurance, cette erreur fatale de prendre leur jugement personnel comme mesure de tous les jugements sur telle ou telle réalité… Et sans s’en rendre compte ils imposent autour d’eux une norme révérencielle qu’ils dénient devoir exister chez les autres ou dans le réel, ce qui complète allègrement l’autosuffisance de leur complexité, car de ne pas savoir ce que l’altérité impose de dépendance, ils placent entre eux et les autres une pseudo libéralité qu’eux seuls ont droit de moduler puisqu’ils en ont codé les entrées et les sorties… Il est très facile de réfuter l’ineptie des impasses de la psychologie des égoïstes et des narcissiques, mais presque impossible à leur faire lâcher leur os ego préférentiel car le bon sens restrictif qui suffit à leur gouverne est antinomique à toute kénose et même à une métanoïa douce… Ancien membre 18/03/2020 à 1104 Ne sens tu pas toi-même à quel point ton bon sens personnel est restrictif ? Je te donne un exemple simple à comprendre de l'égoïsme commun Quand on te dis que tu perds ton emploi, tu es nettement plus affecté que quand il s'agit de ton voisin. 💡 Le mécanisme qui est alors mis en œuvre dans ta tête est le même que celui qui va te faire réserver un avantage pour toi et pas pour ton voisin. Ce n'est ni plus ni moins que cela, l'égoïsme. Pas de quoi fouetter un chat, d'évoquer les troubles psy, d'évoquer des normes révérencielles qui seraient autant d'erreurs fatales… 😂 Je passe le matin devant la glace de la salle de bain et je trouve que j'ai encore une bonne gueule malgré ma soixantaine qui me talonne; c'est grave docteur ? 😇 Ma femme qui est contente du boulot de son coiffeur et qui rentre avec le sourire, je lui dis que son égo est boursouflé ? 😂 Ancien membre 18/03/2020 à 1139 citation de Sociable30 "Quand on te dis que tu perds ton emploi, tu es nettement plus affecté que quand il s'agit de ton voisin. Le mécanisme qui est alors mis en œuvre dans ta tête est le même que celui qui va te faire réserver un avantage pour toi et pas pour ton voisin. Ce n'est ni plus ni moins que cela, l'égoïsme." encore une congruence mal à propos, car de se savoir sans emploi est source d’une réactivité nécessaire et proportionnée à son propre devenir, mais ne se trouve en aucun cas être de l’égoïsme, car elle ne va pas jusqu’à nécessairement envier l’emploi du voisin ni surtout chercher à le lui prendre, ce que l’égoïste moyen ou "supérieur" est tenté de faire… Cet exemple comme tant d’autres ne permettant en aucune façon de délimiter quand et comment un acte est personnellement intéressé et quand il est franchement d’origine égoïste, ne se trouve être qu’une ultime ressource pour son auteur de se mentir à lui même sur ses réelles capacités à être encore dans le coup », forme d’égoïsme tertiaire qui valorise ses acquis et refuse de voir la sagesse des ans comme ce qu’elle est un don désintéressé de soi-même aux autres… Dime 18/03/2020 à 1144 J'avais bien dit que le sujet était casse-gueule... Ces notions, qui concernent tout le monde, sont bien délicates à mesurer et à débattre. L'excès seul peut etre éventuellement débattu. Sans compter que le manque cruel de narcissisme ou d'égoisme est probablement plus néfaste pour l'individu que son contraire. Ancien membre 18/03/2020 à 1149 Citation de Mimoza 326949 Si tout excès est un défaut sans jeu de mot c’est que là où il devient problématique, le comportement de l’égoïste ou du narcissique aurai pu être reprit et amendé, mais si l'on accepte la pente fatale d’un individualisme ambiant, alors les cas excessifs deviennent de plus en plus nombreux jusqu’à apparaître comme un des pans de la normalité… L’amour de soi-même et l’intérêt pour son apparence sont naturellement une disposition qui permet de vivre en bonne entente avec les autres, et pour dire vite, ont permis à moult générations de trouver dans l’amitié et l’amour les deux finalités de la vie, mais dès que ses deux relations se sont vues relativiser par la possessivité matérielle et la reconnaissance injustifiée par certains pouvoirs sociaux ou intellectuels, il s’en suivit une hypertrophie de la personnalité, appelée couramment égoïsme et narcissisme… Ancien membre 18/03/2020 à 1326 Bon, ça progresse… Zeugma commence à évoquer les excès d'égoïsme et de narcissisme; ce qui revient à constater la normalité de ces traits caractéristiques quand il ne sont pas exacerbés. 🙂 Quand à se mentir à soi-même, n'est-ce pas de se sentir indemne de ces traits, la tromperie ultime ? Ancien membre 18/03/2020 à 1407 Sociable30 nous dit "Zeugma commence à évoquer les excès d'égoïsme et de narcissisme; ce qui revient à constater la normalité de ces traits caractéristiques quand il ne sont pas exacerbés. ?Quand à se mentir à soi-même, n'est-ce pas de se sentir indemne de ces traits, la tromperie ultime ?" Comme chacun peut le lire, nous avons là deux forts beaux cas de confusions intellectives qui se résument ainsi 1/ l’auteur nous présente la conclusive interprétation de ce qui n’était que l'appréciation d’une reconnaissance d’un état de préférence et donc de choix et de désir personnels, et l'auteur en faisant de cette vérité une possible ouverture à l’erreur qui consiste à faire de ces choix et de ses désirs la marque superfétatoire de sa personnalité, tente de nous faire prendre un corbeau pour un cygne… 2/Tout le monde aura comprit que l’auteur use de ce glissement sémantique entre l’affirmation de sa propre détermination et l’imposition de ses déterminations abusives, tels sont ceux qui étant égoïstes et narcissiques ne veulent pas êtres vu ainsi pour ne pas perdre la facticité de leur rayonnement… 3/Pour la question posée in fine Quand à se mentir à soi-même, n'est-ce pas de se sentir indemne de ces traits, la tromperie ultime ? » Là c’est encore plus évident, si une personne ne veux pas succomber à son égoïsme, elle n’en doit pas néanmoins en reconnaître la prégnance, et que de se nier à soi même ce terrible défaut, n’équivaux pas à en rechercher des occasions de le rendre actif pour l’affirmer comme une qualité… C’est tout l’esprit de perversion des égoïstes et des narcissiques qui s’avoueraient tel si nous leur laissions encore le droit d’en jouir, comme l’auteur le dit sans vergogne plus haut dans un de ses pots… Ancien membre 18/03/2020 à 1636 Le droit d'en jouir… 😂 Comme si on pouvait interdire à quelqu'un d'être égoïste ou narcissique. Il s'agit juste, depuis le début de ce topic, de se regarder en face, tel que l'on est tous. Cela t'es peut-être insupportable pour des raisons qui t'appartiennent, mais, de mon coté, ça roule. Je m'aime avec lucidité, cet amour à mon endroit incluant mon regard bienveillant sur mes qualités et défauts. C'est un sentiment souverain qui écorche le regard de ceux qui se vivent mal et entraine leurs récriminations. Je les laisse volontiers dans leur enfer de morales, jugements et autres errances par lesquelles ils cherchent à se rassurer quand à leur valeur personnelle. Cet amour de soi rend autosuffisant et cette autonomie attire à soi des gens avec qui on peut partager son trésor. Fort de cet entourage dans la vraie vie et de cet amour partagé, on est immunisé des rancœurs exprimés par ceux qui se sont égarés en chemin. Ils sont souvent seul; signe d'une théorie qui ne rejoint pas la pratique… Ancien membre 18/03/2020 à 1659 La vraie devise des égoïstes et des narcissiques ne serait-elle pas Corruptio optimi pessima » si l’on constate que leur singularité ne repose que dans leur volonté soutenue par l’erreur qu’ils se disent à eux même ce qu’ils ne seront jamais, car à vouloir imposer sa personnalité, n’arrive-t-on pas à en exclure la qualité première, à savoir la capacité à recevoir l’autre tel qu’il est ? Par suite si nous recevons les égoïstes et les narcissiques tels qu’ils sont, nous ne les rendons pas capables de devenir les réceptacles des autres, mais nous leur conférons le pouvoir de se croire tels qu’ils sont, supérieurs aux autres », et d’étendre leur domination, ce qui est contraire à l’énoncé émis plus haut la qualité première de la personnalité humaine est sa capacité à recevoir l’autre tel qu’il est… Pour ce qui est de la solitude choisie ou subit, il ne faut pas se leurrer, la recherche de compagnie trahie bien souvent la solitude d’être seul au fond de soi dans une déficience d’empathie, mais passons, si la vie des égoïstes et de narcissiques étaient si pleine d’amour, ils ne se défierait pas autant de ce qui les met en défaut, car l’amour supporte tout et espère tout… L’égoïsme est un mal qui se cache sous l’apparence d’un bien pour les personnes qui l’on adopté comme règle de vie, mais il reste les failles que ce comportement implique, et qui tôt ou tard les rappellent à la réalité de leur condition humaine, il est regrettable que ces personnes soient souvent au bord du gouffre et continuent à le prendre pour une simple excavation qu’ils prétendent passer d’un bon… La preuve de leur manque d’humanité est justement de penser trop humain, ou surhumain comme le fit tristement le gai Nietzsche… la complicité dans le délit va bien aux assassins, mais l'amitié est réservé au gens de bien » Proverbe de mon cru… Ancien membre 18/03/2020 à 1743 Bien au contraire, la capacité à recevoir l'autre tel qu'il est correspond à celle de l'observer dans toute sa dimension et ce qu'il est, comme tout à chacun, sera une mosaïque non rangeable du coté du bien ou du mal. Ton postulat de départ sabote ta réflexion puisque que les narcissiques et les égoïstes n'existe pas; se sont juste des gens comme toi et moi qui manifestent cette facette de personnalité. Les narcissiques non plus, pour la même raison que l'on est pas un narcissique mais quelqu'un qui manifeste, entre autres, cette facette de temps en temps. Tu évoques le sentiment de manque de compagnie pour justifier le besoin d'association mais, quand on s'entend déjà bien avec soi-même, on est déjà pas seul. 💡 Quand je parle de la solitude qui va souvent de paire avec les tendances intellectuelle masturbatoires d'exploration, vue d'en haut, de l'humain, c'est simplement pour souligner que ces pensées philosophiques ne sont guère utiles à la rencontre de l'autre parce que déconnectées du réel vécu. L'épreuve de la vie est l'excellent révélateur de son aptitude à la relation et la durée le juge de paix qui sanctionne son caractère fréquentable ou pas. les égoïstes et les narcissiques qui, en tant que tel, n'existent pas, revendiqueraient, selon toi, le statut de supérieurs au autres. Mais que fais tu, toi-même, qui ne parle pas directement aux gens, vouvoies comme au bon vieux temps, prends un langage imbitable pour le commun des mortels, déclames des sentences qui sont autant de non dialogues ? N'est-ce pas ta façon de te mettre à part des autres ? Te sentirai tu démasqué par ce sujet ? Je te laisse y réfléchir, gent de bien, comme on l'a dit jadis… 😇 Ancien membre 18/03/2020 à 1823 Il est facile de vouloir passer sous silence les activités des égoïstes et des narcissiques lorsque l’on est l’un d’entres eux et que l’on est désigné dans le détail de cette errance désinvolte, mais le réel est le réel et la distinction du bien et du mal se trouve toujours là où ils ne voudraient voir qu’une relative distinction entre deux choix possibles… Il n’en est rien le bonheur n’est pas accessible aux égoïstes pas plus qu’aux narcissiques car ils ont usé jusqu’à la corde leur volonté et ne peuvent plus se rendre disponibles gratuitement aux autres… Ne passons pas sur le fait que l’égoïsme et le narcissisme ne soient que dans les actes mais jamais un l’état psychique de telle ou telle personne, cette erreur est comme toutes les autres elle ne cherche qu’à dédouaner l’auteur de sa propre responsabilité et de son entêtement signe si il en est, qu'il est un égocentrique arrivé à son dernier stade de dénie du réel Être bien avec soi-même ne remplacera jamais être en recherche du bien d’autrui et dans le cas des égoïstes et des narcissiques, c’est même le contraire qui arrive, puisqu’ils se refusent à prendre en compte le bien d’autrui pour arriver à leur propre bonheur, ils se contentent des éclaboussures du bonheur des autres… La réflexion philosophique qui est mienne part du réel et retourne au réel, pas comme celle de l’auteur qui capture que ce qu’il estime nécessaire pour étayer sa cause perdue d’avance et veut sursoir à la responsabilité sociale de ses dires dans l’éloge qu’il fait de l’égoïsme ou du narcissisme… Parler sans s’adresser par tutoiement et avec distance signifie que l’on ne peut pas rejoindre l’autre dans sa position tant il est enfermé dans une suffisance de lui même, et surtout pas que l’on est insensible à la détresse qui l'animera sitôt qu'il regardera son impasse en face… Comment en contradiction avec lui même il nous présente le recul que nous devrions tous avoir face au égoïstes et aux narcissiques, juste par cette phrase Te sentirai tu démasqué par ce sujet ? » c'est plutôt lui qui atteint sa limite de résistance... Les égoïstes ne sont donc pas fréquentables et les narcissiques de drôles d’oiseaux bigarrés qui paradent en cherchant comment imposer leur fatuité aux autres, parfois l’on disaient d’eux les vieux beaux sont de sortie » quand aux terrasses des cafés ils se pavanaient pour attirer les plus crédules sous leur édredons, aujourd’hui ils postent des messages sur des sites ou la tolérance leur laisse encore l’illusion qu’ils ont une chance de lever quelques cuisses moins ridées que les leurs… Dime 18/03/2020 à 1937 Eh bien dites donc ! je me doutais que derriere le plaisir que vous retiriez de vos joutes verbales s'insinuaient petit a petit une feroce bataille d´ego qui devait immanquablement tourner a l´agressivité, Ancien membre 18/03/2020 à 1938 Citation de Zeugma [327000]Parler sans s’adresser par tutoiement et avec distance signifie que l’on ne peut pas rejoindre l’autre dans sa position tant il est enfermé dans une suffisance de lui même, et surtout pas que l’on est insensible à la détresse qui l'animera sitôt qu'il regardera son impasse en face… Le problème, c'est que je n'ai pas l'exclusive du traitement et que, le plus souvent, tes interventions marquent la fin des topics sur lesquels tu interviens. L'as tu remarqué ? Si on te répond comme je l'ai fait, il s'ensuit une diarrhé alambiquée à décoder dictionnaire en main. Ta hauteur de vue n'es même plus en mesure de considérer "Te sentirai tu démasqué par ce sujet ?" comme une simple question à méditer dans ton coin pour en tirer quelque chose d'utile pour toi et tu en fais une réthorique. J'espère que tu aimes te relire; cela augmentera le nombre de tes lecteurs… 😂 Tu as raison sur un point J'ai atteint ma limite. Non pas de résistance mais parce que je suis conscient de ma part de sadisme que j'assume autant que celle d'égoïsme et de narcissisme. J'ai pris plaisir à te piquer au sujet te ton état de solo. C'était par sadisme parce que je sais bien et depuis le début de nos échanges que ton profil psychologique ne permet pas une réflexion là dessus. C'est donc par pur sadisme que je me suis fendu de cette pique. Je l'assume comme le reste mais il convient pour moi de l'administrer afin que cette récréation du net n'imprime pas de comportement défavorable de ma part dans la vraie vie. C'est pourquoi, puisque tu ne "soignera" ni mon égoïsme, ni mon narcicisme, je vais battre en retraite pour ne pas, qu'en plus d'être vain au sujet de ces deux défauts, tu excites en moi un sadisme dans lequel je pourrai me complaire. Je te remercie néanmoins pour le portrait qui ressort de ma personne et qui me plaît beaucoup. J'adore qu'on me prenne pour un sale con; je kiffe ! 😍 Ancien membre 18/03/2020 à 2014 Citation de Mimoza 327018 Sujet glissant , tu l'as dit toi même . Défendre le bien commun n'a rien d'égocentrique . Jstophe fait dans son post initial la quasi parfaite description du pervers narcissique , autrement dit , d'un être à l'égocentrisme exacerbé et dénué de tout affect . L'idée préconçue et persistante , sur les réseaux sociaux , veut que "le dernier qui parle a forcément raison" . C'est un choix à suivre - ou pas . Ancien membre 18/03/2020 à 2022 RIDICULE en tous points, l’égoïste comme je le disais au début, n’est pas digne de respect ni des autres ni de lui-même, puisqu’il ignore sa vraie nature, mais pas grave, quand un égotiste égoïste et un narcissique sur le déclin atteint sa lente agonie et lui rappelle comme la piqûre d’un vaccin que son insolence peut tout de même profiter à ceux qui le lierons et le rejetterons pour ce qu’il est, cela excusera qu’il se défile comme une mauviette… Ce qui ressort de bon dans cet échange, c’est que celles et ceux qui se trouverons en présence de personnes égoïstes ou narcissiques seront prévenus et pourrons éviter de se méprendre sur ces êtres qui sont tout entier imbus d’eux mêmes dans leur carcans de négativité destructrice… La malhonnêteté intellectuelle et la forfanterie du dernier post de Sociable30 devrait interroger les modérateurs de ce site qui a toujours prit soin de ces membres normaux », car la tolérance doit avoir la sagesse de regarder les cas ou l’intolérance est cachée dans les publications des personnes qui se mentent à elles mêmes et aux autres… Gargouille 18/03/2020 à 2120 Bonsoir, Sujet interessant, joute verbale riche et propos qui dégénèrent en attaques personnelles plus qu'en confrontations d'idées. Merci de vous recentrer sur le sujet et d'éviter les mises en cause ciblées ou individuelles. Merci de vos avis mesurés ne s'érigeant pas en vérités absolues car en la matiere, rien n'est vrai, que ce que l'on ne dit pas. Bonne soirée; Xavier pour la Modération Xavier Un orage dans la tête, une tempête dans le coeur, un ouragan dans le boxer… et un peu de vague à l’âme… Ancien membre 18/03/2020 à 2133 Doit-on vous lire Xavier avec la certitude que tout ce qui a été dit sur ce sujet méritait d’être dit ou bien que la mesure de la tolérance a été dépassée de part et d’autre dans nos posts ? Car je vous cite Merci de vos avis mesurés ne s'érigeant pas en vérités absolues car en la matière, rien n'est vrai, que ce que l'on ne dit pas. » La vérité doit-elle donc être relativisée jusqu’à l’édulcoration dans un sujet aussi grave » qui méritait un débat de fond ? Gargouille 19/03/2020 à 0114 Bonsoir, L'échange est interessant en bien des points sur le fond. La forme parfois dogmatique, le ton quelques fois péremptoire pourrait laisser penser que vous ètes détenteurs chacun de votre coté de l'oeilleton de la même longue vue. Vous avez pourtant chacun la votre, et vos propos s'exprime au travers de ces dernières et ne reflètent donc que vos avis. Il pourrait y en avoir d'autres... L'expression de vos interventions gagnerait à faire davantage état du caractère individuel et donc partial de ce qui n'est qu'un avis, une position, la votre. En d'autres termes, il y a une différence entre "c'est comme ça" et "je pense que c'est comme ça". Par ailleurs, vos diatribes et autres provocations distillées au sein de vos échanges de ping - pong verbal sont insupportables pour bon nomdre d'entre nous et nuisent à la clarté du débat et au respect de la thématique, ce qui a motivé mon rappel. Recentrons-nous donc sur le sujet très interessant proposé par Jstophe... Merci et bonne soirée. Xavier Xavier Un orage dans la tête, une tempête dans le coeur, un ouragan dans le boxer… et un peu de vague à l’âme… Ancien membre 19/03/2020 à 0740 Xavier, et donc la modération de ce site, avez toujours su reprendre les personnes qui par excès de passions verbales, usent de leur droit de réponse comme d’une tribune pour répandre certaines erreurs, mensonges, voir même injures, c’est pourquoi je suis encore des vôtres, car un site de le libre parole prend et assume le risque qu’implique la mise en commun des paroles… si nous considérons l’aspect uniquement informatif et objectif, les échanges ne seraient pas plus passionnés que des bulletins météo, mais il y a la part subjective de nos participations, qui elles reflète notre recherche intérieure de vérité, et entraîne parfois une forme d’expression animée »… ici le sujet proposé n’était pas uniquement cause de contradiction mais opposait deux conceptions inconciliables des aspects narcissique et égoïste de la personnalité humaine, et comme en toute opposition, il y a un point de saturation qui ne se résorbe qu’avec difficulté, voir impétuosité… De cette constatation je ne prend pas excuse pour minimiser les diatribes de mes interventions, mais le débat doit savoir assumer ces moments de tension, et tant que le fond reste lisible, je rejettes autant que je peux ces moments, mais lorsque le sens même de la pensée exprimée se trouve corrompue par la subjectivité négative de l’auteur-e, alors le ton change à mon grand regret… Merci encore de votre intervention et soyez assuré que vos efforts, pour garder ce site viable pour une recherche de vérité, nous sont très précieux… Ancien membre 19/03/2020 à 0946 Citation de Gargantua [327106]L'expression de vos interventions gagnerait à faire davantage état du caractère individuel et donc partial de ce qui n'est qu'un avis, une position, la votre. En d'autres termes, il y a une différence entre "c'est comme ça" et "je pense que c'est comme ça". Ce que je constate, c'est que le résultat de ne débattre qu'avec une seule personne sur un topic finit souvent par une confiscation du sujet. Le topic perd sa dimension collective pour devenir un ring et sa dimension collective s'éteint parce que l'ambiance qui s'instaure n'est plus propice à une réflexion appaisée. J'y ai une part de responsabilité. Maintenant, je te pose sérieusement la question Comment prévenir, éviter, désamorcer ce mécanisme ? Ancien membre 19/03/2020 à 1207 Citation de Sociable30 327020 Post éclairant , s'il en fallait - d'où l'urgente nécessité de rappeler que les forums en particulier et le net en général n'ont pas vocation à servir d'exutoire où exercer ses travers , au prétexte fallacieux de s'en prémunir dans le réel . le sadisme ordinaire - Ancien membre 19/03/2020 à 1343 C'est bien pour cela que je fais amende honorable… Tu es capable d'en faire autant ? Ancien membre 19/03/2020 à 1652 Bonjour, Pour en revenir au sujet, je crois qu'on fait malheureusement un faux procès à ce Narcisse et que le sens moderne/contemporain n'a plus rien à voir avec l'acception de la mythologie. Le psychologie malheureusement a repris le terme pour parler d'une personne clairement tournée vers elle-même, quelqu'un de véritablement égoïste en fait. Voila une émission que j'écoutais pendant l'été 2018 où je decouvrais nécessaire quelque part d'être un peu "narcissique" pour se reconnaitre soi-même, comme nous sommes et être bien dans le monde actuel. C'est un spécialiste du mythe qui en parle. Cela avait modifié ma perception du terme. Ancien membre 19/03/2020 à 1806 dans un monde qui va mal faire des choses mauvaises cela fait ton sur ton, c'est en effet très joli... Ancien membre 19/03/2020 à 1809 Merci à toi , Lolanette , de replacer le Mythe de Narcisse dans son cadre je vais me coucher moins bête , ce soir . Le bon dosage en tout est garant d'un bon esprit . J'ai fait le distingo avec la description initiale qui , elle , s'attache à une pathologie , en effet . Je prendrais le temps d'écouter , merci Ancien membre 19/03/2020 à 1824 Belle trouvaille, Lolanette. 👍 J'ai écouté "Narcisse accusé non coupable" En rapport avec cette faculté à se voir tel qu'on est, le poéte écrit "Malheureux celui qui se détourne de ses profondeurs et qui veut se retrouver autre part. Le jour vient pourtant où il rentre en soi-même. Alors, il trouve le foyer de son cœur éteint, plein de cendres froides." Le commentateur met l'index sur un "moralisme sacrificiel", une "densification normative" qui tendent à nous faire passer pour du "non vivant", "des mécaniques". Hors, le vivant est dans toute sa dimension et "respecter la vie en nous" est aussi de constater notre vivant, également dans "nos insuffisances". Mon avis est que cela n'est pas possible si on désigne le coupable narcissiste des autres, qui n'en seraient pas atteint. Même chose concernant l'égoïsme. Ce sont des traits qui nous sont communs et le nier éteint "le foyer de son cœur", c'est à dire "le rapport vivant avec son existence entière". Gargouille 19/03/2020 à 2208 Bonsoir, "Maintenant, je te pose sérieusement la question Comment prévenir, éviter, désamorcer ce mécanisme ?" Petite réponse adressée à la collectivité en respectant les consignes données, clamées, rabachées... En se taisant et en évitant de ré enchérir systématiquement ! Répondre à la polémique par la polémique et aux attaques personnelles par une riposte pas toujours proportionnée n'apportera jamais rien au débat. Le seul Crédo est le sujet, la thématique... pas les digressions velléitaires ! Mais il me semble que nous avons déjà eu cette discussion… Dans cette histoire et pour clore mon rappel, je nous invite à refléchir tous et chacun sur notre propre degré de narcissisme et/ou d'égoisme. Bonne soirée à tous Xavier Xavier Un orage dans la tête, une tempête dans le coeur, un ouragan dans le boxer… et un peu de vague à l’âme… Ancien membre 19/03/2020 à 2228 Citation de Gargantua [327232]Mais il me semble que nous avons déjà eu cette discussion… Oui, et mon illustration qui mettait en évidence qu'en cas d'accident routier, il faut savoir faire la différence entre qui le provoque et qui en est victime, n'a pas reçu de réponse de ta part… De plus, ne pas répondre quand on est attaqué serait facilité par la modération si elle suprimait les attaques, m'est avis. Un exemple ici qui reste alors qu'il s'agit pourtant d'insulte caractèrisée 326944 J'en ai d'autres mais on ne va pas y passer la nuit… Bref, en réfléchissant sur ce que je pouvais faire de mon coté pour limiter les dérives, j'ai décidé de laisser passer 24h après lecture des messages vindicatifs avant de répondre. Un temps mis à contribution pour prendre du recul, permettre à la modération de faire son travail, décider posément s'il y a lieu de répondre ou pas. Ancien membre 20/03/2020 à 0843 Nous parvenons à faire correspondre la plupart du temps notre instinct de survie avec l’indispensable présence des autres personnes, c’est pourquoi il existe encore en chacun de nous un élan de générosité… Ce qui peut se produire au court d’une vie singulière, c’est un cloisonnement entre cet instinct de survie et la nécessité de partager et d’échanger avec les autres, ceci se produit pour deux raisons 1/ l’individu qui est sollicité depuis son enfance à une recherche d’autonomisation financière, caractérielle, intellectuelle et de responsabilisation politique et sociale, fini par opposer en lui son instinct de survie et sa dépendance au autres…ce qui produit l’égoïsme ambiant de nos sociétés. 2/ la reconnaissance d’une normalité dans une société qui va de plus en plus vite dans la reconnaissance visuelle des signes efficaces et pratiques, projette en nos imaginaires des stéréotypes de supériorité esthétique et comportementale, celle ou celui qui se laisse enfermer dans cette apparence efficiente devient narcissique… Il est facile de justifier après coup que c’est la vie elle même qui nous fait préférer notre bien à celui d’autrui et nous faire aduler notre apparence comme signe de notre parfaite maîtrise » de nous même, reste que la confusion entre l’instinct de survie et la reconnaissance des autres à notre égard, avec le renfermement égocentrique n’est apparemment pas encore vu comme une confusion… Andromaque IV,5) mais, le tutoiement comme signe de supériorité sociale tend à disparaître. En revanche, le tutoiement l’emporte dans les affrontements verbaux (insultes, agressions verbales), quand le vouvoiement serait normal. »1 Après un rappel linguistique et historique (A), nous ferons une incursion dans la philosophie
Résumé Index Plan Notes de la rédaction Notes de l’auteur Texte Bibliographie Annexe Notes Citation Auteur Résumés On s’intéresse dans cet article aux usages du tutoiement dans les relations au travail, tel qu’il est mesuré à travers les données tirées d’une enquête quantitative qui contenait quelques variables concernant l’usage du pronom tu » à l’adresse du responsable hiérarchique direct. On montre d’abord que la pratique du tutoiement est déterminée par trois dimensions intriquées une dimension contextuelle appréhendée ici via le secteur d’activité, une dimension personnelle toutes les générations, toutes les catégories socioprofessionnelles et surtout les deux sexes ne pratiquent pas également le tutoiement du chef et enfin une dimension relationnelle. En étudiant les caractéristiques des responsables hiérarchiques corrélativement à celles de leurs subordonnés, l’approche quantitative permet notamment de vérifier la dimension paritaire du tutoiement les salariés de même niveau socioprofessionnel, de même génération, de même sexe, sont toujours plus enclins à se tutoyer. Par contraste, apparaissent ainsi les frontières sociales et statutaires trop étanches pour être traversées par le tutoiement. L’article montre notamment à quel point les femmes, quelles que soient les caractéristiques de leur chef, pratiquent toujours plus le vouvoiement que les hommes. La pratique du tutoiement est ensuite interrogée comme révélatrice indirecte d’un tropisme néo-managérial dans les organisations. On montre alors comment l’abandon du vouvoiement dans les relations hiérarchiques est corrélé avec divers indicateurs du changement gestionnaire d’inspiration néo-managériale, tels que les objectifs chiffrés et les entretiens d’évaluation, ce qui explique peut-être en partie pourquoi le vouvoiement résiste plus dans le secteur public. On émet finalement l’hypothèse selon laquelle la progression du tutoiement traduirait la transformation des rapports de pouvoir dans les organisations, où les signes extérieurs de la verticalité hiérarchique seraient délaissés au profit d’un contrôle par les chiffres qui s’accommode aisément d’une décontraction apparente dans les relations interpersonnelles. This article focuses on the uses of the informal French pronoun “tu” in labour relations, as measured by data from the COI survey, which contained some variables concerning the use of "tu" in addressing one’s immediate line manager. The article first shows that the use of “tu” is determined by three interwoven dimensions a contextual dimension the work sector, a personal dimension the generations, the socio-professional categories and in particular the two sexes differ in how comfortable they feel addressing a superior as “tu” and finally a relational dimension. By studying the characteristics of line managers alongside those of their subordinates in a quantitative approach, it is possible to verify the dimension of solidarity in the use of “tu” employees at the same socio-professional level, of the same generation and of the same sex, are increasingly inclined to do so. In contrast, social and status boundaries appear too strong to be crossed by the use of this pronoun. In particular, the article shows the extent to which women, regardless of their manager’s characteristics, still use “tu” less than men. This practice is then explored as an indirect indicator of neo-managerial tropism in organisations. This shows how the abandonment of the more formal “vous” in hierarchical relations correlates with various indicators of managerial change, such as quantitative objectives and evaluation interviews, which may partly explain why the use of “vous” is more persistent in the public sector. The paper suggests that the progress of “tu” may reflect the change in power relations within organisations, with a move away from the outward signs of hierarchical verticality to a quantitative monitoring that easily accommodates an apparent relaxation in interpersonal de page Entrées d’index Haut de page Notes de la rédactionPremier manuscrit reçu le 8 juin 2017 ; article accepté le 6 mars 2018. Notes de l’auteurCet article a d’abord grandement bénéficié de la relecture attentive de Cédric Hugrée qui a su apporter les remarques stimulantes et les encouragements nécessaires à la finalisation d’une première version. Qu’il en soit remercié. Merci également au comité de rédaction ainsi qu’aux évaluateurs qui ont permis d’améliorer substantiellement les versions successives de cet article. Merci enfin à Anne Bertrand pour sa disponibilité et le grand sérieux de son suivi. Texte intégral 1. Introduction 1 On peut par exemple trouver dans des articles qui traitent du sujet une recommandation simple propo ... 1En français, il n’est pas toujours facile de savoir s’il convient de tutoyer ou vouvoyer un interlocuteur lorsqu’on le rencontre pour la première fois. Le choix du pronom est l’objet de codifications sociales complexes, riches en zones d’ombre, qui résistent à l’objectivation. Cette question a longuement occupé les linguistes Schoch, 1978 ; Béal, 1989 ; Peeters, 2004 et nourri les manuels de savoir-vivre, sans pourtant que des règles intangibles et clairement partagées n’émergent, au-delà de quelques généralités1. Cette indétermination pose problème aux étrangers désireux d’apprendre le français ; elle anime également les débats pédagogiques faut-il tutoyer ou vouvoyer les élèves Loiseau, 2003 ; Charbonnier, 2013 ? Elle pose question aux travailleurs sociaux les assistantes sociales doivent-elles tutoyer les personnes qu’elles suivent ? Et les personnes suivies peuvent-elles se permettre de les tutoyer en retour Paugam, 2009 ? Cette question concerne aussi les sociologues à l’abord de leurs terrains faut-il tutoyer ou vouvoyer ses interlocuteurs ? Car si cette distinction peut, selon Muriel Darmon, devenir un matériau précieux dans l’analyse des entretiens » Darmon, 2008, p. 51, elle peut aussi, à l’occasion, peser sur les analyses lexicométriques des corpus, en clivant les entretiens selon le pronom utilisé entre les interactants Cibois, 2008. C’est enfin, nous le verrons, une question particulièrement sensible dans le monde du travail est-il bienvenu de tutoyer son employeur ou son responsable hiérarchique ? À partir de quand et avec qui peut-on se le permettre » ? Jusqu’où le tutoiement est-il soluble dans les relations de pouvoir ? 2 S’il est connu que toutes les langues n’opèrent pas une telle distinction, aucune ne se prive cepen ... 3 Les nobles tutoient les gens du peuple, et ceux-ci utilisent le vous à l’égard des seigneurs. Les ... 2Cette question n’est pas anecdotique. Le choix pronominal dans les interactions est peut-être la dimension langagière dont la performativité Austin, 1962 est la plus évidente. Le pronom signifie autant qu’il construit le degré de proximité, la distance » entre protagonistes d’une interaction. En effet, en français comme dans d’autres langues, le vouvoiement sert à marquer la distance ou la différence des positions sociales2. Remontant aux origines historiques de ces distinctions pronominales, Roger Brown et Albert Gilman 1960 ont ainsi montré comment l’émergence du vouvoiement à l’adresse d’une personne seule s’inscrivait dans une sémantique du pouvoir » power semantic dans laquelle le tutoiement non réciproque dire tu et recevoir vous était le marqueur langagier d’une asymétrie entre interlocuteurs. Dans la société féodale, très attentive aux hiérarchies entre ordres, générations et fonctions sociales, le vous » désignait, par-delà la personne, son groupe social3. À l’inverse, le tutoiement s’inscrivait dans une sémantique de la solidarité » solidarity semantic on tutoyait — et l’on tutoie toujours — ses égaux, ses pairs, ses proches, dans une posture égalitaire dépassant les clivages sociaux ou générationnels. Cette dimension rend d’ailleurs le tutoiement très ambigu il peut aussi bien être un marqueur de proximité et d’affection que devenir une offense caractérisée s’il est utilisé à contre-emploi, en l’absence de toute solidarité objective — à ce point qu’il est même parfois vu, dans certains contextes, comme une forme de maltraitance » Bonté, 2010. 4 Le fameux échange entre N. Sarkozy et un visiteur du salon de l’agriculture en 2008 est tout à fait ... 3Tutoyer quelqu’un sans son assentiment revient en effet à l’inférioriser, à signifier l’absence de toute déférence à son égard. Ainsi, tutoyer spontanément un professeur, un policier, un élu, voire un président de la République lorsqu’on est un simple élève, justiciable ou citoyen, revient à refuser de reconnaître sa face » au sens Goffmanien Goffman, 19734. Le tutoiement est de ce fait l’objet d’une vive attention dans les rapports entre les forces de l’ordre et les justiciables. Les enquêtes ethnographiques soulignent que les policiers et les gendarmes font du tutoiement le marqueur d’un rapport de forces leur étant favorable, et l’utilisent notamment en interrogatoire comme outil de pression et symbole de domination » Jobard, 2002 ; Gauthier, 2010. De leur côté, les justiciables tendent parfois à retourner ce tutoiement, ce que les policiers voient comme un signe d’irrespect. On voit ainsi que les usages du pronom tu » sont aussi codifiés qu’ambigus, et qu’ils sont à la fois produits et producteurs des rapports sociaux, selon qu’ils rapprochent ou qu’ils visent à humilier. 4Les enjeux symboliques des usages du tutoiement se retrouvent dans la vie professionnelle, où les positions différenciées dans une hiérarchie sont généralement marquées linguistiquement. En France, il est communément admis que les détenteurs d’une autorité quelconque sont fondés à s’attendre à être vouvoyés de prime abord et qu’il leur revient de définir le registre langagier des interactions avec leurs subordonnés ; le passage au tu » ne peut se faire sans leur assentiment et relève normalement de leur initiative. Pour les raisons déjà évoquées plus haut, les ambiguïtés du tutoiement demeurent donc au travail. Un tutoiement réciproque entre un responsable et son subordonné peut marquer une certaine proximité, une solidarité par-delà les niveaux hiérarchiques, mais un tutoiement unilatéral et non consenti peut revêtir une dimension de violence symbolique des salariés peuvent subir au travail un tutoiement qu’ils n’ont pas désiré, qu’il émane de leur supérieur ou de la clientèle, comme dans le cas des caissières par exemple Bernard, 2014. À l’inverse, un tutoiement non autorisé de la part d’un subordonné peut participer d’un répertoire agonistique dans les relations professionnelles. 5Mais, dans l’univers professionnel, le tutoiement peut revêtir une signification supplémentaire, lorsqu’il devient un signe revendiqué de modernité organisationnelle. Dans certaines entreprises, l’encouragement à la pratique du tutoiement peut traduire une volonté de rompre avec les formalismes d’organisations fordiennes où la hiérarchie était pensée sur un mode militaire séparant statutairement — et linguistiquement — les cadres des exécutants. Plus qu’une simple codification folklorique une culture d’entreprise », le tutoiement devient alors potentiellement producteur du changement organisationnel, un outil visant à accompagner l’horizontalisation des organisations. 6Interroger la place et les usages du tu » dans le quotidien professionnel ne renvoie donc pas seulement à une problématique d’ordre sociolinguistique. Cette démarche s’inscrit pleinement dans les hypothèses contemporaines de la sociologie du travail et des organisations, accordant une attention particulière aux relations concrètes sur le lieu de travail et interrogeant plus largement les modes de domination rapprochés » Memmi, 2008. Mais comment mesurer la fréquence et l’évolution d’une telle pratique ? 5 Les sigles et acronymes utilisés dans l’article sont détaillés en annexe. 7Les résultats sur lesquels nous allons travailler s’appuient sur une variable déclarative tirée de l’enquête COI voir l’encadré 1, qui interrogeait les répondants sur leur usage du tu » ou du vous » à l’adresse de leur responsable hiérarchique direct voir l’encadré 2. À notre connaissance, cette variable pourtant fort intéressante n’a que peu été utilisée, hormis de manière synthétique — mais néanmoins très éclairante — par Françoise Rouard et Frédéric Moatty, dans un article plus généralement consacré aux langues utilisées au travail Rouard et Moatty, 2016. Elle n’a d’ailleurs pas été reprise dans les enquêtes suivantes de la DARES5, qu’il s’agisse de l’enquête conditions de travail » ou de l’enquête REPONSE. Encadré 1. L’Enquête Changements Organisationnels et Informatisation COIL’enquête COI a été conçue et coordonnée par le Centre d’études de l’emploi CEE, en partenariat avec la DARES, l’INSEE et le SESSI Greenan et al., 2005. La première version, datant de 1997, ne s’adressait qu’aux entreprises industrielles de plus de 50 salariés, en interrogeant à la fois les salariés et leurs employeurs sur un certain nombre d’aspects de leur vie professionnelle, avec une majorité de modules ayant trait à la place des technologies et des outils managériaux dans leur travail, mais également un certain nombre de questions liées aux relations professionnelles et notamment aux responsabilités managériales » des seconde version de l’enquête, diffusée en 2006, a étendu l’analyse aux entreprises de plus de 20 salariés du secteur marchand, et a associé la Direction générale de l’administration et de la fonction publique DGAFP pour soumettre le même questionnaire aux salariés de la fonction publique d’État FPE et de la fonction publique hospitalière FPH. Afin de faciliter les comparaisons public-privé, le choix a été fait de ne solliciter ni les enseignants, ni les magistrats ni l’ensemble des personnels du ministère de la Défense, qui ont été exclus du champ de l’enquête du fait de leurs conditions de travail atypiques. Le dispositif COI n’a pas été prolongé au-delà de 2006, mais un certain nombre de ses questions ont été versées à l’enquête Conditions de travail » de 2011 et à l’enquête REPONSE » 2011, 2017.Le présent travail s’appuie sur les résultats du volet salariés » de l’enquête hors FPH, qui contient 15 600 salariés appartenant à 7 000 entreprises des secteurs marchands et un peu plus de 1 200 agents de la Fonction publique d’État issus de 380 directions d’administrations centrales ou questionnaire adressé aux salariés était structuré en neuf parties. Après une description large du répondant, de son statut d’emploi, étaient successivement abordés ses horaires et outils de travail ; les caractéristiques de son lieu de travail et les relations qu’il y entretient avec ses collègues notamment son n + 1, ci-après appelé chef » ; ses responsabilités, son autonomie et l’aide qu’il peut recevoir au quotidien ; son rythme de travail, ses sources et les outils de mesure de sa productivité ; ses compétences et leur évolution formations ; sa rémunération, et notamment les parts variables et enfin les changements survenus dans les trois ans précédant l’enquête contexte de travail, de méthodes etc.. Le questionnaire se terminait par un bilan général du rapport au travail du répondant et de son statistiques descriptives présentées ci-après, ainsi que les modèles de régression, ont fait l’objet d’un redressement pour tenir compte de la structure spécifique de l’échantillon de trouvera plus d’informations sur 8Le tutoiement que nous étudierons est donc un tutoiement ascendant » à l’adresse d’une ou un supérieur hiérarchique direct. L’enquête COI ne permet pas d’interroger la réciproque, c’est-à-dire les cas où un supérieur hiérarchique déclarerait tutoyer les salariés sous sa responsabilité. L’enquête ne permet pas non plus d’analyser les situations dissymétriques impliquant un tutoiement descendant » et un vouvoiement montant », qui continuent probablement de marquer en France certains rapports intergénérationnels ou inter-genres sur les lieux de travail. Encadré 2. Questions relatives au tutoiement hiérarchique dans l’enquête COI Votre supérieur hiérarchique direct est…- un homme ?- une femme ?- vous n’avez pas de supérieur hiérarchique direct ? Est-il ou est-elle…- à peu près de la même génération que vous ?- plus âgé ?- plus jeune ? Le ou la tutoyez-vous ou vouvoyez-vous ?- vous le la tutoyez ;- vous le la vouvoyez. 6 Certains styles sont en effet non attestés selon le sexe des protagonistes ou très directement dépe ... 9Il convient également de prendre acte des limites d’une approche statistique sur un tel sujet. Le questionnaire impose de déclarer le pronom utilisé avec son chef. Or, certaines relations hiérarchiques ne sont sans doute pas fixées de ce point de vue on peut très bien se vouvoyer dans les relations professionnelles, voire seulement dans certains contextes formels, et se tutoyer dans les relations plus informelles, en marge du travail ou dans les marges du travail à l’occasion d’événements particuliers ou d’activités festives ou ludiques entre collègues. Des périodes de flottement plus ou moins longues peuvent également accompagner le choix du pronom, faites d’allers-retours, d’audaces contrariées, d’implicite ambiguïté qui font qu’en pratique, on peut à la fois tutoyer et vouvoyer quelqu’un, et ce pendant longtemps. Une sociologie du tutoiement mérite donc un travail de terrain fait d’observations prolongées, à l’image de l’enquête ethnographique de Denis Guigo 1991, réalisée à la fin des années 1980 dans la direction parisienne d’une grande société, qui révèle toute la complexité des règles d’adresse en milieu professionnel. Il montre notamment que le système d’adresse en entreprise ne se réduit pas à cette alternative entre vouvoiement et tutoiement. Il distingue ainsi huit styles » possibles combinant l’usage de Monsieur ou Madame, du nom ou du prénom, associés à un vouvoiement ou un tutoiement, avec une gradation dans la proximité allant du style distant » Monsieur ou Madame + vous au style amical » prénom + tu en passant par différentes combinaisons. Cette analyse offre un aperçu des étapes à franchir sur le chemin d’une proximité croissante abandon du Monsieur / Madame », utilisation du prénom, passage au tutoiement tout en tenant compte du caractère genré des règles d’adresse6. Une étude aussi fine des systèmes d’adresse » demeure impossible avec les données de l’enquête COI. Mais, comme Denis Guigo l’estimait fort justement, le choix du terme d’adresse entre deux personnes combine toujours créativité individuelle et médiation des usages sociaux préexistants » Guigo, 1991, p. 48. Étudier cette question du point de vue de l’enquête quantitative gomme sans doute l’importance de l’intuitu personae, de cette créativité individuelle » entre les interactants, mais cette approche fait ressortir le poids et les grands déterminants des usages sociaux » du tutoiement sur le lieu de travail. 10Nous verrons en effet qu’au travail, le choix du pronom est toujours largement conditionné par des caractéristiques objectivables du salarié et de son chef, en interaction avec les normes organisationnelles changeantes des entreprises. Cet article se donne un double objectif saisir à la fois certaines constantes dans la codification des rapports interpersonnels au travail et mesurer, par certains signes indirects, les liens entre la pratique du tutoiement et l’évolution gestionnaire des entreprises et de la fonction publique d’État. 7 L’extension de l’enquête COI à l’administration d’État permet cependant d’aborder de manière orig ... 11La première partie sera consacrée à la place du tutoiement sur les lieux de travail, en tenant compte des caractéristiques des répondants et de celles de leurs chefs. Il s’agira de mesurer l’effet sur la pratique du tutoiement des différences de sexe, d’âge et de niveau de qualification entre le subordonné et son supérieur hiérarchique. Nous étudierons ensuite, dans une seconde partie, les liens entre adoption du tutoiement et changements gestionnaires, par une analyse des déterminants et des effets organisationnels du tutoiement. Ce faisant, nous montrerons en quoi le tutoiement peut être vu à la fois comme un marqueur et un vecteur du changement organisationnel et avec lui des rapports de pouvoir dans les organisations. Nous verrons notamment comment la question du tutoiement peut s’intégrer dans une mise en perspective plus générale des méthodes de travail et des relations de travail des secteurs public et privé, ce qui était l’un des objectifs de l’enquête COI7. 2. La place du tutoiement hiérarchique au travail Un tutoiement aujourd’hui majoritaire mais très inégal selon les secteurs 12D’une manière générale, un peu moins des deux tiers des salariés 63 % dans la population générale de l’enquête déclaraient tutoyer leur chef, faisant du vouvoiement du supérieur une règle d’adresse aujourd’hui largement minoritaire figure 1. La pratique du tutoiement n’est cependant pas homogène dans toute la population salariée prise en compte dans le champ de l’étude, et cette apparente hégémonie du tutoiement cache des disparités très accusées. 13Ainsi, les salariés du secteur public tutoient notablement moins leur chef que ceux du privé figure 2 ; seule une minorité 43 % déclare le faire. Ce résultat a de quoi surprendre, mais il faut tenir compte du champ spécifique de l’enquête COI dans la fonction publique d’État. Le souhait des concepteurs de l’enquête d’en retirer les magistrats et les enseignants, du fait de leur usage supposé faible des outils informatiques, pèse certainement sur la place globale du tutoiement dans la fonction publique d’État. 14À l’intérieur du secteur privé lui-même, il existe des disparités fortes entre les secteurs tableau 1 les activités spécialisées, scientifiques et techniques se signalent par une quasi-systématicité du tutoiement, les métiers de l’animation semblent également très propices à cette pratique, ainsi que les secteurs industriels qui sont au-delà de 70 % de tutoiement. À l’inverse, les activités de services administratifs, le commerce, et surtout les activités immobilières, se signalent par un recours moins fréquent quoique toujours majoritaire au tutoiement. 15Ces différences marquées entre les secteurs peuvent avoir des causes diverses. On peut notamment faire l’hypothèse qu’il existe des cultures organisationnelles spécifiques dans certains secteurs qui expliquent un recours plus systématique au tutoiement. On pourrait par exemple imaginer que le tutoiement est d’autant plus fréquent que les salariés restent longtemps dans leur entreprise. En observant l’ancienneté des personnels des secteurs où le tutoiement est le plus élevé, on s’aperçoit cependant que cette variable ne semble pas pouvoir expliquer à elle seule le recours au tutoiement. En effet, si l’on observe bien un tutoiement et une ancienneté moyenne élevés dans les secteurs de l’industrie, les secteurs des activités spécialisées scientifiques et techniques » ou le secteur des arts, spectacle et animation », par exemple, sont marqués par un fort turnover et un fort tutoiement. Il semble bien que pour ces derniers, la forte proportion de personnels très qualifiés soit plus explicative. 16Il faut donc prendre en compte une seconde hypothèse susceptible d’expliquer les différences sectorielles la structure hiérarchique et la démographie des différents secteurs. La question se pose en effet car, à titre d’exemple, on peut relever que le tutoiement est très élevé dans certains secteurs où les femmes sont très minoritaires à peine 9 % de femmes dans la construction et entre 25 % et 30 % dans les différents secteurs de l’industrie. Or, cela n’est probablement pas sans effet sur la question des règles d’adresse, comme nous le verrons par la suite. Les statistiques descriptives globales sont donc à prendre avec mesure tant que les liens entre le tutoiement et la composition des personnels des différents secteurs n’a pas été prise en compte, ce que nous allons faire maintenant. Figure 1. Règle d’adresse utilisée avec le supérieur hiérarchique direct Source enquêtes COI et COI-FP 2006 / volet salariés », Statistique publique, salariés ayant au moins un an d’ancienneté des entreprises de plus de vingt salariés secteur privé et agents de la FPE hors enseignants et magistrats. Uniquement les salariés travaillant au contact direct de leur chef ». Données pondérées. Figure 2. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction du secteur Source et champ voir la figure 1. Tableau 1. Tutoiement ou vouvoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction du secteur privé — en % Source et champ voir la figure 1 privé uniquement. Qui tutoie le plus ? Les femmes tutoient beaucoup moins leur chef 17La pratique du tutoiement révèle une différence très marquée entre les hommes et les femmes. Une large majorité des hommes tutoie son chef 70 %, mais seule une femme sur deux 49 % fait de même figure 3. 18Cet écart important s’explique pour partie par des effets de structure. On peut d’abord relever que les femmes sont plus rarement à des niveaux hiérarchiques élevés, là où le tutoiement est la règle, du fait du plafond de verre » Buscatto et Marry, 2009 qu’elles rencontrent à la fois dans l’administration Milewski, 2004 ; Doniol-Shaw et Le Douarin, 2005, dans les entreprises privées Laufer, 2004, 2005 ; Landrieux-Kartochian, 2007 et dans les entreprises publiques Pochic et al., 2010. Il faut ensuite noter qu’elles ont moins de chances d’être encadrées par des collègues de même sexe, et nous verrons que la proximité de genre a une influence considérable sur le tutoiement sur le lieu de travail. L’âge un déterminant peu fiable 19Dans la mesure où il est jugé préférable de vouvoyer ses aînés, et où les hiérarchies professionnelles sont, en France, encore assez largement produites par les disparités en matière d’expérience, il serait logique que les jeunes actifs soient tendanciellement enclins à vouvoyer leur chef. Pourtant, l’âge n’apparaît pas aussi mécaniquement lié aux règles d’adresse qu’on pourrait s’y attendre. Les formalismes liés au choix du pronom semblent certes légèrement plus respectés par les salariés en tout début et en fin de carrière, mais les écarts demeurent assez réduits. C’est plus vraisemblablement le rapport générationnel entre le répondant et son supérieur qui est déterminant, comme nous le verrons plus loin. Un tutoiement qui progresse avec le niveau hiérarchique hors ouvriers 20Autre différence notable, les personnels d’encadrement cadres et cadres A dans le public pratiquent plus volontiers le tutoiement que les autres catégories dans le secteur privé, 76 % des cadres tutoient leur supérieur hiérarchique direct contre 68 % des professions intermédiaires et 55 % des employés ; les ouvriers se distinguent avec des taux comparativement plus élevés que les employés 62 %. L’usage du tu » décline donc selon les niveaux hiérarchiques d’une manière presque linéaire, à l’exception notable des ouvriers, qui tutoient significativement plus leur chef que les employés. 21Dans le secteur public, la structure des réponses est relativement proche, mais notablement décalée puisque, comme nous l’avons montré plus haut, le tutoiement y est globalement moins fréquent figure 4. Ainsi, la catégorie qui tutoie le plus dans le secteur public les cadres A tutoie à peine autant que la catégorie qui tutoie le moins dans le secteur privé, sachant cependant que la différence public/privé est moins accentuée chez les ouvriers que dans les autres PCS les professions et catégories socio-professionnelles de l’INSEE. 22Comment expliquer cette structuration hiérarchique du tutoiement ? On conçoit assez bien que le tutoiement entre cadres traduise une commune appartenance à un groupe restreint conscient de lui-même. Une logique de parité semble sous-jacente et ce tu » s’inscrit bien dans la sémantique de la solidarité » de R. Brown et A. Gilman 1960. Comme le notait Denis Guigo Le passage à l’état de cadre est en quelque sorte une initiation certains membres de l’encadrement vouvoient toujours les employés et ne passent au Tu que le jour précis où l’un d’entre eux est nommé cadre » Guigo, 1991, p. 47. 23Cet entre-soi encadrant, qui se manifeste par le basculement pronominal accordé aux cadres promus, est encore renforcé par la provenance de filières de formation communes. Il existe en France une tradition bien ancrée de tutoiement entre sortants des mêmes grandes écoles. Pour certaines, des règles très explicites ont même été formulées. Par exemple, dans le cadre d’une enquête récente, une jeune ingénieure sortie de polytechnique évoque le fait que chez les “X”, il y a des règles [selon lesquelles] on devrait tutoyer tout le monde. Après il y a quand même une dérogation ; c’est que, au-delà de dix ans d’écart d’âge, on a le droit de vouvoyer les gens ». Elle admettra d’ailleurs sa difficulté à le faire je ne vais pas spontanément tutoyer des gens de 60 ans qui ont une grande carrière, et que je ne connais pas ». 24Pour ceux dont les encadrants sont généralement membres d’un autre collège professionnel professions intermédiaires et employés, le tutoiement semble moins facile. Chez les ouvriers, on peut faire l’hypothèse que le supérieur direct est très fréquemment un ancien ouvrier lui-même, promu sur place, ou un technicien certes diplômé mais issu du monde ouvrier Hugrée, 2016, auquel cas le tutoiement s’impose comme marqueur d’une communauté de destin qui dépasse les nivellements hiérarchiques de premier degré qui structurent l’industrie. Il importe cependant de noter que cette évidence apparente du tutoiement parmi les ouvriers ne vaut que pour les hommes, et qu’elle doit très probablement beaucoup au fait que les ouvriers sont pour les trois-quarts dans les secteurs Figure 3. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction du sexe du répondant Source et champ voir la figure 1. Figure 4. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction de la PCS et du secteur Source et champ voir la figure 1. 8 Il est ainsi notable que le tutoiement du chef progresse de près de 10 points chez les salariés qui ... 25dans lesquels le tutoiement est massif industrie et construction. En revanche, les employés ne semblent pas entretenir les mêmes rapports de proximité avec leur chef. Ce sont systématiquement eux qui vouvoient le plus leur responsable hiérarchique, et ce dans le public 62 % comme dans le privé 49 %. Cette différence est notable. L’usine, l’atelier ou le chantier semblent des lieux plus épargnés par les formalismes langagiers que les bureaux ; il reste à déterminer si cela tient à l’activité même qui s’y pratique, aux interactions rendues possibles par les relations de travail8, ou au sex-ratio des personnels aux différents niveaux de qualification. Quels chefs sont les plus vouvoyés ? 26Étant le produit d’un rapport social entre un salarié et son chef, le choix du pronom ne peut pas être analysé à la seule aune des propriétés sociales du subordonné ; il importe également de prendre en compte les caractéristiques du chef, car les règles d’adresse sont d’abord établies sur la base du rapport hiérarchique. Une commune appartenance de sexe encourage au tutoiement 9 Situation assez rare au demeurant, qui ne concernait que 10 % des hommes dans la base COI. 27Le tutoiement semble toujours plus aisé avec quelqu’un de son sexe 72 % des hommes tutoient leur chef lorsqu’il s’agit d’un homme mais ils ne sont que 65 % à le faire s’il s’agit d’une femme9. Cet effet de la différence de sexe est encore plus marqué chez les femmes 60 % des femmes tutoient leur chef si c’est une femme mais elles ne sont que 42 % à faire de même avec un homme -18 points. La barrière de genre, agissante pour les deux sexes, semble donc toujours plus haute pour les femmes. On pense assez spontanément qu’elle s’explique par des raisons liées à une forme de prudence de la part de ces dernières, qui marqueraient avec les hommes une distance leur permettant d’éviter une familiarité potentiellement problématique. Le vouvoiement maintiendrait une distance protectrice contre des formes de harcèlement. C’est l’hypothèse que formulent F. Rouard et F. Moatty à partir des mêmes données, estimant que ce résultat reflète une différence entre les sexes, mais surtout une mise à distance du supérieur hiérarchique chez les femmes, qui limitent le registre de la familiarité dans les relations professionnelles » Rouard et Moatty, 2016, p. 67. Cette explication semble tout à fait crédible mais n’épuise pas la question, car cette mise à distance se retrouve chez les deux sexes. Doit-on dès lors imaginer que les hommes jugent également plus prudent d’éviter toute familiarité avec des chefs de sexe féminin ? Rien n’interdit de l’imaginer, mais nous n’avons guère de moyens de répondre à cette question pour l’instant. L’aînesse pousse au vouvoiement 28La pratique du tutoiement est plus fréquente lorsque le chef est de la même génération 71 %, voire plus jeune 66 % que le répondant. Suivant une règle d’adresse bien établie, les chefs plus âgés que leurs subordonnés sont donc moins tutoyés que les autres 56 %. C’est d’ailleurs la situation la plus fréquente 43 % des répondants ont un chef plus âgé, 30 % un chef à peu près de la même génération et un gros quart ont un chef plus jeune qu’eux. 10 Ce phénomène semble d’ailleurs d’autant plus sensible que l’écart d’âge a toutes les chances d’être ... 29L’observance de cette règle est cependant conditionnée par la génération du répondant les moins de 40 ans se permettent » beaucoup plus de tutoyer leur n + 1 que les plus de 50 ans figure 6. Deux explications semblent possibles soit leurs chefs sont tendanciellement assez jeunes également, soit le vouvoiement à l’adresse des supérieurs hiérarchiques plus âgés est une règle en voie de fragilisation10. 30La prise en compte de la composante interactionnelle débouche logiquement sur le constat que les statistiques descriptives présentées ici ne peuvent suffire. Compte tenu de ce que l’on vient de voir, si les personnels d’encadrement n’ont pas les mêmes profils dans les différents secteurs, il est possible que les résultats globaux soient influencés par la composition des populations. Notons d’abord que la structure de la population encadrante en France crée des probabilités très inégales d’avoir un chef du même sexe que soi selon qu’on est homme ou femme les chefs » recensés dans la base COI sont dans 80 % des cas de sexe masculin, les hommes ont donc une probabilité beaucoup plus forte d’avoir un chef du même sexe qu’eux. C’est le cas de 90 % des hommes contre seulement 35 % des femmes. De même, les ouvriers ont une probabilité plus élevée que les autres salariés d’avoir un chef plus jeune qu’eux, tandis que les cadres sont plus fréquemment que les autres encadrés par des congénères. Il faut donc raisonner de manière à neutraliser ces différences structurelles. Figure 5. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction de l’écart d’âge Source et champ voir la figure 1. Figure 6. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct lorsqu’il est plus âgé en fonction de l’âge Source et champ voir la figure 1 + salariés dont le chef » est plus âgé qu’eux n = 6919.Lecture 58 % des salariés de moins de 30 ans tutoient leur chef lorsqu’il est plus âgé. Sexe, âge, niveau hiérarchique trois barrières » toujours agissantes 11 Les trois barrières sexe, âge, hiérarchie se renforcent mutuellement. Toute familiarité est pra ... 31Des modélisations logit de la probabilité de tutoyer sa ou son chef plutôt que de le vouvoyer montrent que les trois barrières » qui inhibaient historiquement l’usage du tutoiement au travail d’après D. Guigo semblent toujours agissantes11 différences de sexe, d’âge et de position hiérarchique poussent toujours au vouvoiement du chef, avec cependant quelques différences selon les secteurs tableau 2. Tableau 2. Modélisations logit de la probabilité de tutoyer le supérieur hiérarchique direct Source et champ voir la figure les trois modèles privé n = 14 121, public n = 1 214, ensemble n = 15 358 comparent les chances p/1-p de tutoyer son chef entre une situation de référence homme entre 30 et 39 ans, de niveau profession intermédiaire », ayant un chef du même sexe et de la même génération et une situation qui ne se différencie de la référence que par un critère à la fois. Si les odds ratio sont supérieurs à 1, l’effet estimé est positif ; s’ils sont compris entre 0 et 1, l’effet est négatif. Ainsi, dans le secteur privé, si au lieu d’être un homme, la répondante est une femme, les chances qu’elle tutoie son chef sont deux fois moindres contre 1. Les astérisques accolés à l’odd ratio renseignent la significativité de l’effet mesuré *** significatif au seuil de 1 %, ** au seuil de 5 % et * au seuil de 10 %. Les femmes face au plafond de verbe » ? 12 On trouve par exemple, dans un article de Philippe Charrier relatif aux hommes exerçant le métier d ... 32Pour les hommes comme pour les femmes, avoir un chef d’un sexe différent du sien diminue bien la probabilité de le ou la tutoyer, toutes choses égales par ailleurs, mais on peut constater que ce phénomène est accentué chez les femmes il existe bien un effet propre du sexe féminin qui diminue la probabilité pour les femmes de tutoyer leur chef, quelles que soient les caractéristiques de ce dernier. Le modèle estime ainsi que dans le secteur privé, une femme a environ deux fois moins de chances de tutoyer sa ou son chef qu’un homme, indépendamment de leurs âges et niveaux hiérarchiques respectifs. La pratique du tutoiement ascendant, comme revendication implicite d’une égalité par-delà les statuts, est donc bien une pratique tendanciellement plus masculine. Les femmes semblent plus respecter les règles d’adresse associées aux différences hiérarchiques au travail. La modélisation permet donc d’asseoir l’hypothèse selon laquelle cette forme de respect n’est pas seulement le fruit d’une stratégie visant à garder ses distances » avec des chefs de sexe masculin. Le vouvoiement féminin du ou de la supérieure directe traduit sans doute l’intériorisation d’une sujétion plus globale ancrée dans les codifications sociales, qui les rend plus observantes des hiérarchies, là où les hommes dépassent plus volontiers les frontières linguistiques qu’on leur assigne12. Il n’est donc pas également facile pour les femmes de s’affranchir des déférences astreintes codifiées dans les rapports sociaux, ce que nous pourrions appeler un plafond de verbe », la trace linguistique d’un rapport plus général de domination Bourdieu, 1998 qui les dissuade d’opter pour le pronom associé à la sémantique de la solidarité ». Le tutoiement des jeunes, entre effets d’âge et de génération 33Si l’âge ne semble pas déterminant dans le secteur public, il y a bien un effet âge » dans le secteur privé. Les rapports sociaux intergénérationnels sont bien l’objet d’un marquage langagier au travail. Toutes choses égales par ailleurs, on voit d’une part qu’il est toujours moins probable de tutoyer un chef plus âgé que soi et d’autre part que les répondants vouvoient d’autant plus leur chef qu’ils sont eux-mêmes âgés. La règle demeure donc toujours prégnante qui reconnaît la différence d’âge comme productrice d’une inégalité encourageant au vouvoiement des générations précédentes, même si cette règle semble s’affaiblir dans les plus jeunes générations. Que reste-t-il du tutoiement ouvrier ? 34Suivant la même approche, si l’on neutralise notamment les écarts de sexe et d’âge entre les répondants et leur n + 1, il ressort que toutes choses égales par ailleurs, les ouvriers du secteur privé tutoient toujours moins leur chef que les professions intermédiaires, qui tutoient moins que les cadres. S’il existe bien statistiquement un tutoiement ouvrier, celui-ci semble largement le produit des propriétés sociales des interactants. Une fois les effets de structure contrôlés, il reste bien l’image d’un monde du travail où la place occupée dans la hiérarchie conditionne la possibilité de se permettre » de tutoyer son chef. Les cadres, à l’image de la noblesse d’ancien régime, pratiquent un tutoiement réciproque très fréquent, marqueur d’une commune appartenance à un groupe dominant conscient de lui-même. Ils reçoivent en revanche un vouvoiement de la part de ceux qui sont moins haut placés qu’eux, et cette règle semble se transposer jusqu’aux plus bas niveaux de la hiérarchie salariale. Ce phénomène ne se transpose pas à l’identique dans le secteur public, le modèle n’aboutissant pas à des résultats significatifs. Il faut noter cependant que les ouvriers » de la fonction publique d’État sont à la fois peu nombreux 6 % des effectifs et très particuliers. Quel effet du secteur ? 13 La taille respective des deux bases peut évidemment être en cause, mais les quelque 1500 répondants ... 35Lorsque l’on compare les modélisations construites respectivement sur le secteur public et le secteur privé, il est notable qu’à l’exception du sexe, la plupart des variables n’ont pas d’effet significatif dans le secteur public13. De plus, lorsque le secteur est ajouté comme paramètre du modèle colonne Ensemble » dans le tableau 2, on constate qu’il y a bien un effet secteur » propre à la fonction publique d’État, que le recours plus fréquent au vouvoiement que l’on y observe n’est pas seulement l’effet d’une composition de la main d’œuvre différente, ni la conséquence de logiques d’accès aux responsabilités plus tardives. Toutes choses égales par ailleurs, on tutoie tendanciellement moins dans le secteur public et cette pratique y semble moins déterminée par les caractéristiques des agents. En un mot, le vouvoiement semble s’y imposer comme une norme plus impersonnelle, conditionnant plus le vouvoiement à une inégalité de fonctions inscrite dans un système bureaucratique qu’aux propriétés sociales des interactants. 36Cette différence nous invite maintenant à étudier les effets contextuels et organisationnels qui peuvent influencer le choix du pronom. Le recours plus fréquent au tutoiement dans le privé serait-il le signe d’organisations plus horizontales, moins pyramidales que celle de la fonction publique, volontiers présentée comme affectée d’un lourd retard gestionnaire », empêtrée dans une forme bureaucratique réputée immuable Bezes, 2009 ? Nous allons en effet voir maintenant que le recours au tutoiement ascendant semble plus caractéristique de certains milieux professionnels et de certains types d’organisation. 3. Le tutoiement, une pratique managériale ? 37Si, comme nous l’avons vu, la probabilité de tutoyer est dépendante des caractéristiques de la personne elle-même son sexe, son âge, sa PCS et de celles de son chef, il faut également envisager cette pratique comme dépendante des contextes. Il y a des organisations où le tutoiement semble encouragé à tous les niveaux hiérarchiques, et ce pour des raisons qui ne tiennent pas qu’à des questions d’ambiance au travail. Le tutoiement au cœur du nouvel esprit du capitalisme ? 14 Dans un entretien avec Valérie Boussard, Ève Chiapello pointait ainsi différents éléments préca ... 15 Même si l’anglais, contrairement à ce qu’on pense généralement, a presque totalement abandonné, gra ... 16 Cette influence de l’ aplatissement pronominal » associé à l’anglais se retrouve d’ailleurs dans l ... 38De nombreux éléments laissent à penser que le tutoiement au travail s’inscrit dans des stratégies managériales visant à diminuer la verticalité » hiérarchique des organisations. Ève Chiapello rangeait ainsi, il y a quelques années, le tutoiement parmi différentes caractéristiques typiques des organisations néo-managériales14. Yannick Estienne, dans un article sur le mouvement des start-up Estienne, 2005, notait également combien le tutoiement s’y imposait comme une pratique incontournable, évoquant l’esprit start-up » dans lequel le patron est le copain, le tutoiement de rigueur, la tenue vestimentaire décontractée » et comment, à travers le tutoiement et la faible division hiérarchique et fonctionnelle du travail, la start-up casse définitivement les représentations vieillies de l’entreprise comme haut lieu de la lutte de classes ». À titre d’exemple, une enquête dans une chaîne de restauration rapide bien connue pour ses méthodes de management ne manque pas de constater que le tutoiement se pratique là aussi à tous les échelons de la hiérarchie » Weber, 2005, ce qu’avait également constaté Christophe Brochier 2001 quelques années auparavant. Si cela peut découler de la forte homogénéité générationnelle de ces entreprises, on peut également y voir la généralisation d’un tutoiement d’inspiration anglo-américaine15, associé à l’usage des prénoms dans les interactions quotidiennes16. Il y a donc des raisons de penser que le recours au pronom tu » peut traduire une forme organisationnelle particulière, et qu’il est éventuellement encouragé par les entreprises elles-mêmes — en somme, qu’il existe une injonction managériale au tutoiement. 39L’enquête COI ne contient pas d’informations sur les conditions dans lesquelles le tutoiement a été adopté, ni sur sa fréquence générale dans l’entreprise — ce qui permettrait de caractériser d’éventuelles injonctions organisationnelles au tutoiement —, mais du fait de sa vocation première, la base contient un grand nombre de variables déclaratives relatives aux contextes organisationnels et aux évolutions des conditions de travail des salariés. Or, un certain nombre d’entre elles sont corrélées avec le tutoiement à l’adresse du supérieur hiérarchique. 40Une analyse des correspondances multiples permet de typifier les contextes de travail propices au recours au tutoiement figure 7. Le premier facteur est structuré principalement par une opposition entre les contextes caractérisés par des changements — qu’ils soient techniques, organisationnels ou de direction — et ceux qui ne le sont pas. Le deuxième facteur met ensuite en exergue tout un ensemble de variables relatives au degré de directivité et de contrôle du travail ; il oppose les contextes de travail où les méthodes de travail sont imposées, où les salariés reçoivent des ordres explicites, suivent des procédures de qualité strictes et sont contrôlés très régulièrement, aux contextes où les formes d’encadrement laissent plus de latitude, tout en leur assignant des objectifs chiffrés et en les contrôlant périodiquement à travers des entretiens d’évaluation. 17 Les variables socio-démographiques sont bien sûr placées en supplémentaire » lors du calcul des f ... 41On peut résumer cette opposition par l’existence de deux dimensions du travail la stabilité et la directivité. En haut à gauche du plan, l’espace social du vouvoiement est d’abord caractérisé par des contextes de travail relativement stables, où le suivi est peu individualisé, ce qui correspond plutôt aux environnements du travail peu qualifié ouvriers, employés. En bas à droite, l’espace du tutoiement est celui du travail des cadres et professions intermédiaires, caractérisé par plus de changements, des évaluations individualisées, des objectifs, des primes, des méthodes libres assorties d’un contrôle plus épisodique. Les ACM ne permettant pas de contrôler les effets de structure, nous retrouvons donc logiquement l’effet sous-jacent des niveaux hiérarchiques17. Pour étudier plus en détail ces deux dimensions, nous allons successivement aborder ce que le tutoiement doit aux changements contextuels et en quoi il peut être corrélé aux évolutions des formes de contrôle du travail. Figure 7. Analyse des correspondances multiples ACM Encadré 3. Détails de l’ACMLe plan factoriel agrège les répondants des secteurs public et privé n = 16 134.Les variables actives sont Contrôle fréquence de contrôle du le travail est-il contrôlé par le supérieur hiérarchique direct ? le travail est-il contrôlé par des moyens informatiques ou vidéo ? le salarié reçoit-il des ordres, des consignes, suit-il des procédures ou des modes d’emploi ?Méthode imposée le supérieur hiérarchique impose-t-il la méthode de travail ou fixe-t-il seulement des objectifs et laisse-t-il libre de les atteindre de différentes manières ? le salarié fait-il partie d’un groupe de travail de type groupe de projet, de résolution de problème, de pilotage ?Objectifs le salarié doit-il atteindre des objectifs précis ?Procédures le salarié suit-il des procédures qualité strictes ?Améliorations le salarié a-t-il pu proposer dernièrement des améliorations de son poste de travail, des procédés, des machines ?Primes une partie ou la totalité de la rémunération est-elle variable ?Evalué le salarié a-t-il au moins un entretien d’évaluation par an ?Chg Tech le salarié a-t-il constaté des changements techniques dans son travail durant les trois années précédant l’enquête ?Chg Org le salarié a-t-il constaté des changements organisationnels durant les trois années précédant l’enquête ?Chg dir° le salarié a-t-il constaté un changement de direction, un rachat ou une restructuration de son entreprise durant les trois années précédant l’enquête ?Les variables supplémentaires sont Sexe, Âge et PCS. Le tutoiement corrélé aux changements organisationnels dans le secteur privé 18 Les différences que l’on observe, si elles vont toutes dans le sens d’une légère intensification du ... 42Dans le secteur privé, le tutoiement est plus fréquent dans les contextes de changement. Lorsque les salariés mentionnent une restructuration, un rachat, ou un changement dans l’équipe de direction » dans les trois années précédentes, la proportion des répondants à déclarer tutoyer leur chef direct progresse de 10 points de pourcentage ; lorsqu’il s’agit de changements dans les façons de travailler ou dans l’organisation du travail », l’écart est de 9 points ; enfin, en cas de changements dans les techniques utilisées, ce taux augmente de 7 points. Ces éléments laissent donc à penser que les changements déclarés dans le secteur privé s’accompagnent tous d’une intensification du tutoiement, phénomène que l’on ne retrouve pas avec la même intensité dans le secteur public18. Mais, dans la mesure où les changements sont déclarés d’autant plus fréquemment que les répondants sont élevés dans la hiérarchie, il peut être intéressant de mesurer leur effet sur le tutoiement toutes choses égales par ailleurs. 43Un modèle de régression logistique intégrant notamment l’effet des changements déclarés sur le tutoiement tableau 3 permet de constater qu’il existe bien un effet propre des changements organisationnels et plus encore des changements de direction sur la probabilité de tutoyer son chef, même si ces effets ne s’observent, ici encore, que dans le secteur privé. Les salariés du privé qui déclarent ces types de changements ont en effet une probabilité significativement plus élevée de tutoyer leur chef, résultat que l’on n’observe pas en présence de changements techniques, ce qui semble finalement assez logique ce n’est que lorsque les changements déclarés concernent les relations interpersonnelles au travail via l’organisation ou lorsque les têtes changent que le tutoiement gagne du terrain. S’il n’est question que de technique, il n’y a logiquement pas de raison que les rapports interpersonnels évoluent significativement. Dans le secteur public, les changements déclarés n’ont pas d’effet statistiquement significatif sur le tutoiement. Là encore, le secteur public se signale par des règles d’adresse peu sensibles au contexte. Figure 8. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction des changements déclarés dans le secteur privé Source et champ voir la figure 1 secteur privé uniquement. Tableau 3. Modélisations logit de la probabilité de tutoyer le supérieur hiérarchique direct Source et champ voir la figure 1. Le tutoiement, marqueur d’une moindre directivité du travail ? 44Pour déterminer vers quelles formes d’organisation ces changements conduisent, et en quoi elles peuvent favoriser le tutoiement, il faut aller puiser dans les parties du questionnaire relatives aux conditions de travail. On constate alors que le tutoiement est corrélé à certaines formes d’organisation du travail où la directivité est faible. 45Lorsque les salariés du privé ont par exemple la possibilité d’adapter leur méthode de travail en fonction des besoins — que leur travail est défini par des objectifs à atteindre et non par des méthodes — ou qu’ils ont la possibilité de suggérer des améliorations de leur poste de travail, le tutoiement est systématiquement plus fréquent. Dans le même esprit, les salariés participant à des groupes de travail de type groupe de projet » autour de 20 % des répondants tutoient leur chef à hauteur de 77 %, contre seulement 62 % de ceux qui n’en sont pas membres. Chez les seuls cadres, déjà plus enclins que les autres groupes à tutoyer leur chef, on atteint même 80 % de tutoiement contre 72 % chez ceux qui ne participent pas à ces groupes. Dans la mesure où ils ont précisément pour fonction de passer outre les divisions hiérarchiques et fonctionnelles en réunissant des salariés dépendant de directions distinctes et de niveaux divers, les groupes de projet sont des lieux tout à fait propices à l’adoption d’un tutoiement égalitaire par-delà les distinctions hiérarchiques. Le tutoiement s’associe donc à une certaine autonomie dans l’organisation du travail, typique d’une gestion par projets où les salariés sont fortement responsabilisés. Mais, le fait est connu, cette autonomie s’assortit généralement de formes moins directes — mais non moins agissantes — de contrôle hiérarchique, notamment via des objectifs chiffrés dont l’atteinte est évaluée périodiquement. Un tutoiement associé au management par objectifs dans le secteur privé 46Ainsi, dans le secteur privé, le tutoiement du chef est effectivement plus fréquent chez les salariés qui doivent atteindre des objectifs chiffrés 67 %, + 11 points et chez ceux qui ont des parts salariales variables 70 %, + 8 points. De même, 72 % des salariés qui font l’objet d’un entretien annuel d’évaluation tutoient leur chef, contre à peine 57 % de ceux qui n’en font pas. Dans le secteur public, on observe également une corrélation entre parts salariales variables et tutoiement 53 %, + 13 points. 47Une fois de plus, il convient de contrôler les effets de structure, car ces pratiques sont beaucoup plus fréquentes chez les cadres, tout particulièrement dans le secteur privé. Ces derniers sont généralement ceux par qui et sur qui les méthodes managériales se diffusent en premier. Aussi, les différentes variables caractéristiques d’un management par objectifs ont été intégrées dans le modèle de régression présenté plus haut tableau 3. 48On constate alors que dans le secteur privé, l’assignation d’objectifs chiffrés, les parts salariales variables, les entretiens individuels et l’autonomie dans les méthodes de travail accroissent bien — toutes choses égales par ailleurs — la probabilité de recourir au tutoiement dans les relations hiérarchiques. Indépendamment des caractéristiques des salariés et de leurs chefs, là où se conjuguent changements organisationnels et méthodes managériales basées sur la responsabilisation individuelle, le tutoiement est plus fréquent. Il semble même que ces transformations viennent affaiblir l’effet des frontières hiérarchiques que nous avions observées dans la première partie lorsque les salariés sont exposés aux mêmes changements et aux mêmes méthodes managériales, le fait d’être ouvrier ou employé ne diminue plus significativement la probabilité de tutoyer son chef, comparativement aux professions intermédiaires. Seuls les cadres se distinguent encore du reste des répondants par une probabilité significativement plus élevée de tutoyer leur n+1. D’un point de vue linguistique, les outils managériaux semblent donc produire un lissage apparent des frontières hiérarchiques de bas niveau dans le secteur privé. 49Ces résultats cadrent avec le portrait idéal-typique d’un travailleur du privé soumis aux injonctions paradoxales du néo-management plus autonome, encouragé à prendre des initiatives, associé aux projets de sa structure, mais dans le même temps évalué de manière quantitative à échéances régulières et motivé par des avantages financiers. Ce salarié ne peut qu’entretenir un rapport ambigu à sa hiérarchie, qui se pare de tous les attributs de la proximité, se laissant d’autant plus la possibilité d’investir un rapport interpersonnel gommant les signes de l’autorité formelle en adoptant notamment le tutoiement que cette autorité s’exerce bel et bien en arrière-plan par l’usage d’outils standardisés qui médient le contrôle et l’autorité, voire permettent de le transférer à des entités extérieures. L’adoption du tutoiement peut alors être le signe d’un transfert des marqueurs et des véhicules de l’autorité hiérarchique dans les organisations. La figure du petit chef » ne s’impose plus dès lors que le contrôle du travail s’effectue de manière périodique via des indicateurs chiffrés. Le vouvoiement public, signe d’une résistance du modèle bureaucratique ? 50Dans le secteur public, où la diffusion des outils managériaux étudiés était pourtant déjà notable au moment de l’enquête Guillemot et Jeannot, 2013, on ne trouve d’effet significatif sur le tutoiement que pour les entretiens d’évaluation, qui sont le seul élément contextuel à augmenter significativement la probabilité du tutoiement chez les agents de l’État. On pourrait y voir un signe de la diffusion d’outils managériaux typiques du secteur privé à l’intérieur de l’État. L’entretien professionnel n’est-il pas l’un des leviers de reconnaissance de la performance » des fonctionnaires Chanut et Rojot, 2011 ? Sans doute faut-il prendre en compte ici le fait que les entretiens d’évaluation peuvent avoir des fonctions assez différentes en fonction des secteurs. Dans le secteur privé, l’entretien d’évaluation est souvent un moment propice aux échanges concernant la rémunération, l’évolution de carrière, en lien avec l’atteinte ou non des objectifs chiffrés ; ils sont un moment clé du fonctionnement contractuel du management par objectifs. Dans le secteur public, malgré une volonté constamment répétée de mieux reconnaître les mérites », le caractère impersonnel du statut limite la possibilité, pour le supérieur hiérarchique direct, de négocier pareillement les conditions d’emploi de l’agent. L’entretien d’évaluation se mue alors en un moment d’échange relativement formel du fait de son intégration dans la gestion administrative des carrières » Guillemot et Jeannot, 2013. Il faut donc prendre avec prudence la portée managériale d’un dispositif d’évaluation aussi généralisé. Au sein de la fonction publique, les discours sur l’amélioration de la gestion des ressources humaines » ont longtemps été condamnés à n’être qu’une rhétorique vide, compte tenu des contraintes afférentes du statut » Chevalier, 2010. 51Les entretiens d’évaluation mis à part, on ne trouve pas d’effet propre de la diffusion de méthodes managériales inspirées du secteur privé sur le recours au tutoiement dans le secteur public en 2006. Les normes langagières dans les rapports hiérarchiques au sein de la fonction publique d’État semblent donc peu sensibles aux changements gestionnaires et aux tentatives d’instaurer un management plus individualisé, à l’image de ce qu’on a pu observer dans le secteur privé. Pour le confirmer, nous avons réalisé un modèle synthétique réunissant les deux secteurs tableau 3, modèle ensemble » afin de vérifier l’existence d’un effet propre de l’appartenance au secteur public sur le tutoiement. En contrôlant les différences dans la composition des populations ainsi que les changements déclarés, un agent du secteur public conserve toujours des chances de tutoyer son chef deux fois moindres que celles d’un salarié du privé. 52Il demeure donc un effet propre de l’appartenance à la fonction publique d’État sur la probabilité de tutoyer son chef. La fonction publique d’État possède un répertoire pronominal spécifique peu sensible aux transformations contextuelles. Malgré la tentation de débureaucratiser » l’administration et la tendance de l’État à s’inspirer du secteur privé pour abandonner la différentiation négative » de son modèle d’emploi Emery et Giauque, 2005, p. 682, le recours plus fréquent au vouvoiement dans l’État, tel qu’il se donnait à voir en 2006, montre les limites inhérentes à toute démarche visant à manager » les fonctionnaires comme des salariés du privé Buisson et Peyrin, 2017. L’attachement au vouvoiement chez les fonctionnaires d’État traduit peut-être la résistance d’un modèle bureaucratique qui se définit notamment par sa forte verticalité et une distribution claire des rôles dans la hiérarchie » Guillemot et Jeannot, 2013. Cette question apparemment anodine du choix du pronom traduit peut-être de manière très révélatrice les limites des tentatives d’hybridation des méthodes gestionnaires portées par la nouvelle gestion publique » Bezes, 2005 en matière de gestion des personnels. 4. Conclusion 19 Revenant sur un travail de Jean-Gustave Padioleau réalisé au journal Le Monde en 1985, Eugénie Saït ... 53Tutoyer son chef n’est pas exclusivement le produit d’un intuitu personae, d’un feeling » entre personnes le recours à des données quantitatives permet de faire ressortir clairement l’existence de règles d’adresse toujours agissantes dans la vie professionnelle ; le tutoiement, s’il est majoritaire, reste bien l’objet d’une codification dépendant des rapports sociaux entre le subordonné et son chef, rapports qui conditionnent largement la possibilité d’un recours à la sémantique de solidarité » qu’implique le tu ». Les trois frontières sociales mises en lumière par D. Guigo à la fin des années 1980 sont toujours bien présentes. Nous avons notamment vu que les hommes, quel que soit leur niveau hiérarchique, tutoient toujours plus leur chef que les femmes et que ces dernières, même sous l’autorité de femmes, semblent toujours moins opter pour le tu ». On a également pu voir que la fréquence du tutoiement était proportionnelle au niveau hiérarchique on se permet » d’autant plus de tutoyer son chef qu’on est soi-même élevé dans la hiérarchie professionnelle. Enfin, nous avons vu que l’âge et la génération jouaient également un rôle l’âge parce que le tutoiement est toujours plus facile avec nos congénères ; la génération parce que les salariés les plus âgés semblent les plus respectueux des règles d’adresse. Ce dernier résultat nous pousse à faire l’hypothèse d’une raréfaction progressive du vouvoiement au travail, hypothèse qui n’est pas contredite par la mise en perspective de nos résultats avec ceux de D. Guigo, même s’il s’agit de données bien différentes des nôtres et logiquement incommensurables. En insistant sur le caractère électif du tutoiement, son travail ethnographique laisse imaginer la rareté relative de cette règle d’adresse au tournant des années 1990, ce qui permet de saisir, par comparaison, à quel point certains formalismes qui s’imposaient encore il y a une trentaine d’années dans les rapports interpersonnels semblent avoir reculé. Un certain nombre des styles mis en lumière à l’époque n’ont probablement plus beaucoup cours et le tutoiement, qui paraissait alors une forme très marquée de proximité, semble s’être banalisé dans l’intervalle. Les marqueurs langagiers de la hiérarchie semblent s’affaiblir, au même titre que d’autres formalismes, notamment vestimentaires19. 20 Oderint, dum metuant. 54Nous avons ensuite vu comment le tutoiement pouvait être le marqueur de changements organisationnels allant dans le sens d’une diffusion de pratiques d’inspiration néo-managériale où cohabitent étroitement l’autonomie, le travail par projets et une plus forte redevabilité du travail le relâchement formel dans les interactions s’accompagne volontiers de plus de comptes à rendre, à travers l’assignation d’objectifs chiffrés débouchant sur des évaluations périodiques. On peut dès lors voir dans le tutoiement le signe d’une transformation des rapports de pouvoir dans les organisations, libérant les cadres de contact de leurs fonctions de coercition directe, de surveillance et de contrôle du travail — lesquelles s’accompagnaient volontiers d’une déférence forcée de la part des subordonnés —, sans toutefois que disparaissent totalement les rapports de pouvoir liés à l’exercice d’une fonction hiérarchique. On peut se laisser tutoyer, donner une grande autonomie, le contrôle n’en est pas moins agissant il est seulement transféré au suivi quantitatif et ses manifestations sont espacées dans le temps. Émergerait donc, dans le cadre professionnel, une sémantique qui brouille les catégories de R. Brown et A. Gilman 1960 il existe aujourd’hui un tutoiement hybride qui ne s’inscrit pas tout à fait dans une sémantique de la solidarité » ni n’abdique toute prétention à l’exercice du pouvoir. Paraphrasant Caligula, à qui l’on prête la célèbre formule inspirée de Tibère qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent »20, les responsables hiérarchiques d’aujourd’hui pourraient dire qu’ils me tutoient, pourvu qu’ils m’obéissent ». Haut de page Bibliographie Austin, J. L., 1962, How To Do Things With Words. Oxford University Press, New York. Béal, C., 1989, “On se tutoie ?” Second Person Pronominal Usage and Terms of Address in Contemporary French », Australian Review of Applied Linguistics, vol. 12, n° 1, p. 61-82. Bernard, S., 2014, Le travail de l’interaction. Caissières et clients face à l’automatisation des caisses », Sociétés contemporaines, n° 94, p. 93-119. Bezes, P., 2005, Le modèle de “l’État stratège” genèse d’une forme organisationnelle dans l’administration française, Sociologie du travail, vol. 47, n° 4, p. 431-450. Bezes, P., 2009, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française 1962-2008, Presses universitaires de France, Paris. 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DGAFP Direction générale de l’Administration et de la Fonction Publique FPE Fonction publique de l’État FPH Fonction publique hospitalière FPT Fonction publique territoriale INSEE Institut national de la statistique et des études économiques PCS Professions et catégories socio-professionnelles REPONSE Enquête statistique menée par la DARES, dont le nom complet est Relations professionnelles et négociations d’entreprise » SESSI Service d’étude des stratégies et des statistiques industrielles de l’INSEE Haut de page Notes 1 On peut par exemple trouver dans des articles qui traitent du sujet une recommandation simple proposant une distinction entre un tutoiement réservé aux proches, aux enfants et aux animaux, et un vouvoiement plus généralement adressé aux inconnus Ismail et al., 2014. 2 S’il est connu que toutes les langues n’opèrent pas une telle distinction, aucune ne se prive cependant totalement de marqueurs de déférence à travers par exemple l’usage d’une dénomination officielle, d’un titre ou au contraire d’un prénom, etc. 3 Les nobles tutoient les gens du peuple, et ceux-ci utilisent le vous à l’égard des seigneurs. Les gens du peuple eux-mêmes tutoient les mendiants, qui en retour pratiquent le vouvoiement. Dans le cercle familial, quel que soit le niveau social, les parents recourent au tu quand ils s’adressent à leurs enfants, et ceux-ci utilisent le vous en retour, ce qui permet aux enfants de se familiariser dès l’âge le plus tendre avec la relation asymétrique ou non réciproque de pouvoir qu’ils retrouveront plus tard à l’échelle de la société » Peeters, 2004, p. 4-5. 4 Le fameux échange entre N. Sarkozy et un visiteur du salon de l’agriculture en 2008 est tout à fait illustratif de ce principe. Ce dernier, refusant de serrer la main du premier, lui a dit Touche-moi pas tu me salis ». On note que la charge offensante était volontairement redoublée par le tutoiement. La réponse Eh ben alors casse-toi, pauv’ con ! » a contribué à abaisser » la fonction présidentielle aux yeux des commentateurs, du fait de l’insulte évidemment, mais aussi du fait du tutoiement, qui est apparu déplacé, mais largement prévisible chez un homme politique connu pour tutoyer tout le monde, à commencer par les journalistes Carton, 2003. 5 Les sigles et acronymes utilisés dans l’article sont détaillés en annexe. 6 Certains styles sont en effet non attestés selon le sexe des protagonistes ou très directement dépendants de leurs sexes respectifs. Le style militaire » — au charme suranné — nom de famille + tu Lambert, tu viens manger ? » était strictement masculin, tandis que le style américain » prénom + vouvoiement n’était pratiqué que par les hommes à l’adresse des femmes souvent de niveau hiérarchique inférieur ou entre femmes mais jamais, selon D. Guigo, par une femme à l’adresse d’un homme. L’auteur ne néglige cependant pas que la très faible féminisation de la direction qu’il a étudiée diminuait la probabilité d’une telle situation. 7 L’extension de l’enquête COI à l’administration d’État permet cependant d’aborder de manière originale la question du devenir de la bureaucratie dans un contexte marqué par la référence au marché et au modèle de gestion du privé » Guillemot et Jeannot, 2013, p. 87. 8 Il est ainsi notable que le tutoiement du chef progresse de près de 10 points chez les salariés qui travaillent de nuit. Ainsi, certains contextes de travail pénibles favorisent peut-être l’émergence de relations débarrassées des formalismes usuels, même si, là encore, le travail de nuit concerne plus des hommes. 9 Situation assez rare au demeurant, qui ne concernait que 10 % des hommes dans la base COI. 10 Ce phénomène semble d’ailleurs d’autant plus sensible que l’écart d’âge a toutes les chances d’être relativement faible lorsque le répondant est âgé. Du fait des départs à la retraite, la probabilité d’avoir un chef beaucoup plus âgé que soi diminue logiquement avec la montée en âge. 11 Les trois barrières sexe, âge, hiérarchie se renforcent mutuellement. Toute familiarité est pratiquement exclue si plusieurs barrières se superposent on ne voit presque jamais une jeune collaboratrice tutoyer un chef de service d’âge respectable, ni un jeune cadre dire Tu à une employée âgée » Guigo, 1991, p. 47. 12 On trouve par exemple, dans un article de Philippe Charrier relatif aux hommes exerçant le métier de sage-femme, un verbatim d’entretien qui traduit cette différence entre hommes et femmes dans la manière d’envisager les frontières hiérarchiques Déjà la relation que j’ai pu avoir avec les différents gynécos et surtout les gynécos hommes, moi en tant qu’homme on a un contact nettement plus simple. C’est-à-dire qu’on peut plus facilement passer au tutoiement, enfin cette notion de hiérarchie entre le médecin et la sage-femme était beaucoup moins marquée, moi en tant qu’homme qu’avec certaines collègues femmes » Charrier, 2007, p. 111. 13 La taille respective des deux bases peut évidemment être en cause, mais les quelque 1500 répondants dans la FPE devraient permettre une certaine consolidation statistique des résultats. Ce n’est pas le cas. 14 Dans un entretien avec Valérie Boussard, Ève Chiapello pointait ainsi différents éléments précarisation croissante des salariés, réduction du nombre de niveaux hiérarchiques, modification plus fréquente du contenu du travail et des structures organisationnelles, développement du tutoiement au travail, illégitimité des comportements autoritaires, attention croissante aux compétences de négociation et de communication des cadres » Boussard, 2005, p. 12, nous soulignons. 15 Même si l’anglais, contrairement à ce qu’on pense généralement, a presque totalement abandonné, grammaticalement parlant, le tutoiement thou au profit du vouvoiement systématique you. Il reste que la question grammaticale s’efface derrière la logique sociale en l’absence de nivellement entre pronoms, le dernier utilisé, fût-il distancié à l’origine, devient inévitablement égalitaire, ce qui n’empêche nullement de signifier la déférence par d’autres moyens usage de titres, etc.. 16 Cette influence de l’ aplatissement pronominal » associé à l’anglais se retrouve d’ailleurs dans les données de l’enquête COI, puisque le tutoiement est corrélé à la fréquence d’utilisation de l’anglais au travail 86 % des cadres du privé qui le parlent fréquemment au travail tutoient leur chef, contre 65 % de ceux qui ne le parlent jamais. 17 Les variables socio-démographiques sont bien sûr placées en supplémentaire » lors du calcul des facteurs voir l’encadré 3. 18 Les différences que l’on observe, si elles vont toutes dans le sens d’une légère intensification du tutoiement en contexte de changement, ne sont pas ou très peu significatives statistiquement. 19 Revenant sur un travail de Jean-Gustave Padioleau réalisé au journal Le Monde en 1985, Eugénie Saïtta relève une évolution notable Les hiérarchies internes […] apparaissent plus atténuées en 2001 qu’auparavant. Premiers éléments de changement, l’abandon du vouvoiement pour le tutoiement systématique, et du costume cravate pour un libre arbitre dans le choix vestimentaire, certains journalistes se contentant d’un jean et d’un tee-shirt » Saïtta, 2005, p. 193. 20 Oderint, dum de page Table des illustrations Titre Figure 1. Règle d’adresse utilisée avec le supérieur hiérarchique direct Légende Source enquêtes COI et COI-FP 2006 / volet salariés », Statistique publique, salariés ayant au moins un an d’ancienneté des entreprises de plus de vingt salariés secteur privé et agents de la FPE hors enseignants et magistrats. Uniquement les salariés travaillant au contact direct de leur chef ». Données pondérées. URL Fichier image/png, 53k Titre Figure 2. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction du secteur Légende Source et champ voir la figure 1. URL Fichier image/png, 43k Titre Tableau 1. Tutoiement ou vouvoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction du secteur privé — en % Légende Source et champ voir la figure 1 privé uniquement. URL Fichier image/png, 377k Titre Figure 3. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction du sexe du répondant Légende Source et champ voir la figure 1. URL Fichier image/png, 43k Titre Figure 4. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction de la PCS et du secteur Légende Source et champ voir la figure 1. URL Fichier image/png, 77k Titre Figure 5. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction de l’écart d’âge Légende Source et champ voir la figure 1. URL Fichier image/png, 66k Titre Figure 6. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct lorsqu’il est plus âgé en fonction de l’âge Légende Source et champ voir la figure 1 + salariés dont le chef » est plus âgé qu’eux n = 6919.Lecture 58 % des salariés de moins de 30 ans tutoient leur chef lorsqu’il est plus âgé. URL Fichier image/png, 60k Titre Tableau 2. Modélisations logit de la probabilité de tutoyer le supérieur hiérarchique direct Légende Source et champ voir la figure les trois modèles privé n = 14 121, public n = 1 214, ensemble n = 15 358 comparent les chances p/1-p de tutoyer son chef entre une situation de référence homme entre 30 et 39 ans, de niveau profession intermédiaire », ayant un chef du même sexe et de la même génération et une situation qui ne se différencie de la référence que par un critère à la fois. Si les odds ratio sont supérieurs à 1, l’effet estimé est positif ; s’ils sont compris entre 0 et 1, l’effet est négatif. Ainsi, dans le secteur privé, si au lieu d’être un homme, la répondante est une femme, les chances qu’elle tutoie son chef sont deux fois moindres contre 1. Les astérisques accolés à l’odd ratio renseignent la significativité de l’effet mesuré *** significatif au seuil de 1 %, ** au seuil de 5 % et * au seuil de 10 %. URL Fichier image/png, 225k Titre Figure 7. Analyse des correspondances multiples ACM URL Fichier image/png, 13k Titre Figure 8. Tutoiement du supérieur hiérarchique direct en fonction des changements déclarés dans le secteur privé Légende Source et champ voir la figure 1 secteur privé uniquement. URL Fichier image/png, 104k Titre Tableau 3. Modélisations logit de la probabilité de tutoyer le supérieur hiérarchique direct Légende Source et champ voir la figure 1. URL Fichier image/png, 358k Haut de page Pour citer cet article Référence électronique Alex Alber, Tutoyer son chef. Entre rapports sociaux et logiques managériales », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 61 - n° 1 Janvier-Mars 2019, mis en ligne le 07 mars 2019, consulté le 28 août 2022. URL ; DOI de page Auteur Alex AlberCités, territoires, environnement et sociétés, équipe Construction sociale et politique des espaces, des normes et des trajectoires » CITERES/COST, UMR 7324 CNRS et Université de Tours, MSH Villes et Territoires, BP 60449, 37204 Tours Cedex 03, FranceChercheur associé au CEET/ de page
22 LE TUTOIEMENT/VOUVOIEMENT DANS LA RELATION EDUCATEURS/RESIDENTS 15 2.2.1 Influence des différentes problématiques des résidents 16 2.2.2 Dimension affective 17 2.2.3 Différence de traitement 19 2.2.4 Influence des facteurs socio-culturels 21 2.2.5 Conclusion : le tutoiement/vouvoiement dans la relation éducateurs-résidents 22
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Selon la culture de l'entrepriseLe tu », un effet de modeLes pièges du tutoiementQuelques conseils pratiquesUn peu d'histoire...Considéré sous l'Ancien Régime comme grossier, le tutoiement arrive via les révolutionnaires français, qui vont imposer l'usage du tutoiement comme pratique égalitaire et expression du lien universel unissant tous les citoyens français, quel que soit leur métier, fonction ou position hiérarchique et en publiant un décret sur le tutoiement obligatoire le 8 novembre 1793. Cette pratique disparaîtra sous la Convention thermidorienne 1794/95 et le tu » sera réservé à l’extrême intimité ou à la fréquentation des maisons closes.👀 Au cours du XXe siècle, on assiste au passage du "Vous" au "Tu", largement influencé par la littérature et le cinéma avec la célèbre réplique de Jean Gabin en voyou à Michèle Morgan la bourgeoise bien élevée T’as d’beaux yeux, tu sais », auquel elle répond Embrassez-moi » - puis, après le premier baiser Embrasse-moi encore ». La génération 68 a bousculé les codes, de même que la déferlante anglo-saxonne où un simple You » suffit, indifféremment à qui l’on s’adresse. Tu ou vous ? C'est selon la culture d’entrepriseLes relations au travail sont soumises à des codes. L'emploi du tutoiement ou du vouvoiement entre collègues ou entre supérieurs et subordonnés en est un. Quand on arrive dans une entreprise, il faut tenir compte des us et coutumes de l'entreprise ou du secteur. Dans le doute et en l'absence d'indication claire, il est préférable de dire vous » et d’attendre l'invitation de passer au tu ».Le tu » une certaine proximitéLe Tu et le Vous sont des outils linguistiques qui permettent de gérer la proximité et la distance. Ils expriment les stratégies plus ou moins conscientes au sein des groupes de travail ; si le "Vous" distancie, le "Tu" vous » prise de distanceLe pronom "Vous" indique la distanciation, indispensable dans les rapports professionnels, et apparaît toutefois plus raffiné, mais cette extrême politesse peut devenir goujaterie lorsqu’une jeune assistante s’est obstinée à vouvoyer sa supérieure qui lui a fait remarquer qu’elle lui renvoyait une image de femme d’âge mûr… 👉 On me manque de respect au travail, comment réagir ?Le tu » implique un rapprochement psychologique qui peut apparaître comme de la manipulation, en donnant l'illusion d'une amitié. Entre un vous » qui impose une distance et un tu » parfois forcé, il n'est pas toujours facile de choisir. Les tendances le font pour nous...Le tu » un effet de modeL'objectif des entreprises aujourd’hui est de créer de la proximité entre les salariés, d'établir une ambiance de travail moins formelle, plus décontractée, de favoriser l'esprit d'équipe et le sentiment d'appartenance. Aujourd’hui, le tu » est donc à son apogée et devient une mode. Il donne une image dynamique des entreprises qui l’utilisent. Avec l'aplatissement des hiérarchies et le travail transversal, le tu » construit et renforce la cohésion. 👉 Attention cependant, le vouvoiement est indispensable dans certains secteurs professionnels santé, banques… etc.Le piège du tu » quand les relations sont en dangerLa familiarité sous-entendue par le "Tu" contribue paradoxalement à compliquer les relations et peut créer un mal-être au travail. Son utilisation n’est jamais anodine ! Tutoyer quelqu'un donne l'impression d'adoucir la relation et d'éviter tout conflit. 😏 Mais tutoyer son supérieur ne doit pas faire oublier sa position de chef qui saura vous remettre à votre place dès lors qu’il aura une remarque à vous même, certains salariés peuvent se sentir moins à l'aise pour réclamer une augmentation de salaire ou de meilleures conditions de travail à un directeur qu'ils tutoient. Dans un autre exemple et dans une relation client fournisseur, à moins d'être devenus proches au fil du temps, passer du vous » au tu » risque de conférer à la relation une dimension affective qui pourrait devenir conseils pratiques1. Évitez de passer du tutoiement ou vouvoiement et aller-retourÀ la suite d’un conflit, chacun reprend ses distances et l’on se re-vouvoie. Cela veut dire que c’était un faux tu », créant un plus grand malaise. Cela souligne aussi comme un signe de faiblesse parce qu’en difficulté la personne se réfugie derrière le vous » car elle perd pied. Il faut savoir prendre son temps le tu » est un chemin de Choisissez ce qui vous convient le mieuxÉnoncez votre difficulté au tutoiement et conservez l'expression qui vous est la plus naturelle... quitte à la faire évoluer avec le temps est la meilleure des solutions… Mais il est également possible de vouvoyer et d'appeler l'autre par son prénom, ce qui constitue une solution intermédiaire de rapprochement. Vous savez maintenant tout de l'art et la manière d'utiliser le vous » ou le tu » en entreprise !L'avis de la rédaction tu» ou vous », un choix personnel Décider de tutoyer ou de vouvoyer un collègue ou un chef doit se faire naturellement, ne vous forcez pas et surtout, n'imposez pas votre loi aux autres ! Certaines personnes ne supportent pas d'être tutoyées, vous connaissez l'histoire la liberté des uns commence là où s'arrête celle des autres... Et si vous avez le sentiment de ne pas trouver votre place dans votre travail, de ne pas vous épanouir, contactez l'un de nos coachs afin de faire le point et de trouver des solutions ensemble 🤗 Se comprendre, s'accepter, être heureuse... C'est ici et maintenant !BornToBeMeContacter un coachPlus d'explications en vidéoVous avez aimé cet article ? Alors vous aimerez aussi Je n'aime pas travailler, et alors ?Peut-on pleurer au travail ?Psychologie du travail, quelle utilité ?Infantilisation au travail une source importante de mal-être
Jai donc voulu en parler avec l'infirmier. Je remettais en cause le tutoiement des patients, car j'étais souvent plus jeune qu'eux. Je lui ai fait part de mes difficultés à ne pas 1
Envoyé par jacquolintégrateur Bonjour On sait définir et quantifier la complexité. "L'absolu par essence" est bien trop métaphysique pour moi!! Bonjour, justement, c'est pour cela que c'est de la philosophie et pas des sciences. "La science ne pense pas" ne dit pas autre chose, à savoir que les sciences expérimentales ne font pas de "métaphysique", ne connaissent pas d'absolu, se contentent d'établir la "grammaire" d'une gamme limitée d'expériences répétables, communicables etc.. Pourtant, l'expérience "métaphysique", on la trouve de manière simple en sciences même si c'est plutôt du côté de la théorisation - quand un mathématicien ou un logicien fait un choix d'axiomes pour développer sa démonstration, ce choix lui-même est hors du processus démonstratif ; - quand un physicien postule que les "lois de la nature" établies dans son labo sont valables pour tout l'univers, c'est un acte "métaphysique" ; - quand un biologiste affirme que toute la pensée est contenue dans la structure du cerveau, il pose une définition qui n'a rien de nécessaire logiquement la biologie aura du mal à discriminer entre un organe nécessaire et un organe nécessaire et suffisant. En général, de nos jours en sciences, on préfère éviter l'engagement ontologique et on dit qu'il s'agit de positions simplement méthodologiques. Pour ma part, je serais d'avis d'éviter ce genre de précautions et de plutôt s'appuyer sur des ontologies qui intègrent sans problème la "foi" scientifique mais je crois que c'est une chose à reconstruire à partir d'une position qui échappe à la problématique phénoménologique, c'est-à-dire qui ne dise pas que ce sur quoi travaillent les sciences est une "apparence", un phénomène "ce qui apparait à la conscience". Comme disait Deleuze, l'important en philosophie c'est la manière dont on pose le problème. Si il faut aux sciences une conception naturaliste, réaliste, déterministe ni hasard ni miracle, désubjectivée "objective" alors il faut sortir de l'idée kantienne que les sciences étudient des phénomènes. On peut tourner en rond sur le problème de la conscience en MQ tout simplement parce qu'on a posé d'emblée qu'on s'occupait de phénomènes et que la conscience est une instance de définition de tout phénomène. C'est un peu comme être au pôle nord et chercher le nord avec une boussole, on ne sait pas où aller parce qu'on est toujours déjà dans ce qui fonde les moyens de recherche, on ne peut pas expliquer scientifiquement la conscience si on la définit comme fondement du phénoménal et que les sciences étudient des phénomènes. J'ai mis "métaphysique" entre guillemets parce que Heidegger en fait un usage technique relativement précis en lien avec l'histoire de la philosophie ce qui est considéré comme "métaphysique" change selon les cadres de pensée. Je suis d'accord avec lui qu'il faut dépasser la métaphysique sauf que sa manière de le faire renvoie à une sorte d'arrêt de la pensée rationnelle pour une "contemplation" d'un mystère existentiel le Mystique wittgensteinien ?. L'autre manière de le faire est dans une sorte de méta-métaphysique, c'est-à-dire dans les actes philosophiques fondateurs qui posent des métaphysiques. De même qu'un logicien fait son choix d'axiomes, le philosophe fait son choix des éléments fondateurs pour penser le monde. Plutôt qu'une non-métaphysique, on peut aussi faire une multi-métaphysique, c'est-à-dire montrer comment s'articulent les métaphysiques. Par exemple, la MQ fonctionne en considérant de manière plus ou moins implicite qu'il n'y a pas d'observateur désengagé, que le physicien est acteur de l'expérience. Donc, autant prendre l'affirmation au sérieux, et abandonner l'idée que "ce qui apparaît à la conscience" est l'objet d'étude de la MQ puisque dans cette idée on a une conscience désengagée, un oeil transcendant l'expérience, en surplomb. Pour ma part, j'aurais tendance à considérer que l'ontologie adéquate serait une sorte d'éthologie plutôt qu'une phénoménologie l'être serait plutôt du côté du faire, une manière d'être serait une manière de faire et la conscience serait une manière de faire certaines opérations mémorisation, focalisation sélection d'une base, d'un intérêt, réflexivité, symbolisation le signe comme valant pour la chose etc.. Dans ce cadre, on ne cherche pas à tout expliquer à partir de la notion de base de phénomène, on explique la phénoménalité même à partir d'autres éléments même si ça perturbe les habitudes de pensée. Le point principal sera par exemple qu'il n'y a pas "la conscience", pas cette sorte d'écran où se projetterait le film du monde, mais une multiplicité d'opérateurs entrant dans les jeux de langage, les comportements moteurs etc. qu'on met sous l'attribut "conscient". Au lieu de dire qu'il faut une conscience pour qu'une superposition d'état soit déterminée à un état, on pourra par exemple dire qu'il y a une opération de prédiction qui est production d'un "algorithme" déterminé valant pour l'ensemble des données enregistrées et cette même opération d'enregistrement. Que ce soit un polariseur, un détecteur, un cerveau humain etc., tout cela est un opérateur d'enregistrement qui vaut pour "projecteur de la fonction d'onde" dans sa relation à l'"algorithme" prédictif où on a condensé un espace-temps déterminé passé la mémoire des n résultats passés avec le même dispositif. On est dans un déterminisme ontologique, un naturalisme pas de miracle, une désubjectivation "objectivité" en ce qu'un Sujet n'est pas plus nécessaire qu'un détecteur qui a cependant pour coût la perte du prestige pour l'homme d'être l'être pensant par excellence. Un polariseur, un détecteur, un disque dur etc., ça pense aussi, c'est-à-dire que ça réalise à sa manière une part des comportements associés à "penser" dans le langage commun, et les actes de pensée qui pour l'heure ne sont pas reproductible par autre chose qu'un humain ne lui sont pas pour autant réservés. Rien n'interdit en droit que tout ce que l'on fait puisse être fait par d'autres êtres, qu'il y ait des mathématiciens posant des axiomes, des philosophes fondant des métaphysiques ou des Roméo tombant amoureux à partir d'un agencement de métal et de plastique. La spécificité de l'homme n'est plus dans la pensée ou la conscience, elle est dans ses intérêts propres, dans un rapport au monde spécifique impliqué par la constitution des êtres, leur nature, dans ce qui fait qu'un robot cherchera une prise électrique pour s'alimenter là où un humain cherchera un steack-frite. La perte d'humanité qu'implique la mécanisation et qui inquiétait à juste titre Heidegger, est d'emblée conjurée par cette éthologie qui devient éthique, c'est-à-dire le souci d'un comportement adapté à la nature spécifique des êtres laquelle fonde en raison leurs désirs, besoins, attentes propres, leurs relations aux autres êtres. La raison n'est plus vue comme menant à une mécanisation instrumentaliste de l'humain mais au contraire comme impulsant un souci des manières adéquates d'être et de faire les choses dès lors que l'être et le faire sont liés. Pour être un rien polémique et généralisateur, je dirais même que les pensées basées sur l'observation, l'oeil de la conscience, tendent à produire des morales du jugement où on approuve et condamne de loin sans grand souci du désir de l'autre avec de grandes lois transcendantes tandis que les pensées basées sur l'action, le faire, tendent à produire des éthiques de l'engagement où on cherche les bonnes relations dans la diversité des goûts, désirs, intérêts, dans une jurisprudence pragmatique.
Surle plan psychologique, tutoyer revient à s’identifier à l’autre, le pronom « tu » créant une communauté affective ou d’intérêt, qu’elle soit éphémère ou durable. C’est pour cela que deux personnes, lorsqu’elles se
Tout d'abord, vous devrez acheter un kit de conversion. Cela devrait coûter environ 300 £ plus TVA. Ensuite, la cloison aura besoin d'une intervention chirurgicale pour accueillir le collecteur d'échappement du Ford Transit diesel. Et le tunnel de transmission devra également être modifié afin de dégager le carter du démarreur. Un tranchage et un découpage supplémentaires sont nécessaires pour retirer le support moteur côté conducteur conduite à droite, qui est remplacé par le nouveau support moteur fourni dans le kit de conversion. Le kit de conversion comprend également un nouveau carter de volant moteur et un adaptateur de manchon de boîte de vitesses. Selon le type de moteur, vous devrez peut-être également installer un ventilateur électrique. Une certaine fabrication peut également être nécessaire pour un raccordement d'échappement en fonction du type de tuyau de descente d'échappement monté sur le collecteur du moteur Transit. Il convient également de noter que le compromis pour la meilleure consommation de carburant du Ford Transit diesel est la perte d'une grande partie du couple à bas régime. Lorsque vous vendez, vous pouvez également constater que le moteur Ford Transit n'est pas la conversion la plus populaire et cela affectera la valeur de revente. Bonjour je commence tout doucement à chercher des sujets et des situations pour mon TFE (je suis au semestre 4). Le tutoiement et le vouvoiement, et ce que cela implique dans la relation soignant/soigné m’intéresse beaucoup. J'ai une petite situation provenant de mon stage en psychiatrie qui n'est pas encore fini.
ANNEXE II PROGRAMME DES ÉPREUVES D'ADMISSIBILITÉ1. Programme de l'épreuve de "mathématiques et d'analyse de processus" du concours "sciences"Physique. Les ondes programme de terminale S. Les ondes mécaniques progressives - célérité ; - ondes longitudinales et transversales ; - ondes sonores ; - propriétés générales des ondes propagation, vitesse de propagation, perturbation ; - ondes progressives à une ondes mécaniques progressives périodiques - notion de périodicité ; - ondes sinusoïdales période, fréquence, longueur d'onde ; - diffraction des ondes sinusoïdales ; - dispersion notion de milieu dispersif.La lumière, modèle ondulatoire - propagation dans le vide ; - modèle ondulatoire de la lumière célérité, longueur d'onde, fréquence ; - lumière mono et polychromatique ; - propagation de la lumière notion d'indice du milieu ; - dispersion de la lumière blanche par un nucléaire. Décroissance radioactive - stabilité et instabilité des noyaux ; - composition, isotopie, notation ; - la radioactivité & et ß, les émissions y ; - lois de conservation de la charge électrique ; - loi de décroissance, constante de temps, demi-vie ; - - masse-énergie - équivalence masse - énergie ; - défaut de masse, énergie de liaison ; - fission - fusion domaines ; - bilan de masse et d'énergie condition à réaliser pour obtenir l'amorçage de réaction de fission ou de Champ électrostatique - loi de Coulomb ; - champ et potentiel pour différentes distributions de charges ; - théorème de Gauss forme intégrale.Champ magnétique - induction magnétique - intensité et vecteur densité de courant ; - force de Lorentz et mouvement de charges ponctuelles dans un champ magnétique ; - force de Laplace, moment magnétique dipolaire ; - loi de Biot et Savart ; - flux du champ magnétique notion, unité, loi du flux conservatif ; - potentiel vecteur magnétique ; - champ magnétique créé par une spire circulaire en un point de son axe extension aux solénoïdes ; - théorème d'Ampère forme intégrale.Phénomènes d'induction électromagnétique - loi de Faraday, loi de Lenz ; - self-induction et induction La mécanique de Newton. Les trois lois de Newton - accélération vision analytique et vectorielle ; - principe d'inertie ; - importance du choix du référentiel ; - loi des actions verticales - chute sans frottement mouvement rectiligne uniformément accéléré résolution de l'équation différentielle, importance des conditions aux limites ; - chute avec frottement fluide notion de régime initial et de régime permanent, vitesse limite, notion de temps caractéristique.Mouvements plans - mouvement de projectiles dans un champ de pesanteur uniforme équations horaires paramétriques, équation de la trajectoire ; - satellites et planètes lois de Kepler, référentiels héliocentrique et géocentrique, force centripète, accélération radiale, mouvements circulaires ou elliptiques.Les systèmes oscillants. Le pendule pesant, le pendule simple et le système masse-ressort en oscillations libres - position d'équilibre, écart à l'équilibre, abscisse angulaire, amplitude, amortissement régimes pseudo et apériodiques ; - forces de rappel exercées par un ressort étude dynamique, résolution de l'équation différentielle ; - phénomène de résonance excitateur, résonateur, amplitude et période des oscillations. travail élémentaire d'une force ; - énergie potentielle ; - énergie du point. Vecteurs position, vitesse et accélération - systèmes de coordonnées cartésiennes, de Frénet, polaires, cylindrique et sphériques ; - mouvements rectiligne et des mouvements - composition des vitesses, des accélérations mouvements relatifs, d'entraînement, accélération de Coriolis.Cinématique du solide. Champ des vitesses d'un solide - torseur cinématique solide en translation, en rotation autour d'un axe fixe, mouvement plan sur plan ; - changement de point d'un torseur cinématique ; - équiprojectivité du champ des vitesses d'un solide ; - centre instantané de Grandeurs électriques - notion de signal analogique et numérique ; - grandeurs caractéristiques en électronique tension, intensité, puissance ; - calcul de grandeur instantanée, grandeur moyenne ou grandeur des dipôles - dipôles passifs résistance, condensateur, bobine ; - dipôles actifs source de tension et courant idéales, modèles de générateurs ; - convention récepteur et convention générateur ; - association de en équation des circuits électriques - loi d'Ohm ; - loi des mailles ; - loi des nœuds ; - diviseur de tension, diviseur de courant ; - théorèmes de Thévenin et de Norton ; - méthode de Millmann ; - principe de la superposition des états sinusoïdal - impédances complexes des dipôles passifs ; - calcul sous forme d'expression temporelle ou d'une représentation sous forme complexe des grandeurs caractéristiques amplitude, période, fréquence, phase d'une grandeur sinusoïdale ; - gain complexe équivalent amplitude et phase de systèmes du premier et deuxième ordre ; - impédances d'entrée et de sortie d'un opérationnel Aop - l'Aop idéal ; - structures fondamentales montage inverseur, montage non inverseur ; - application des montages à Aop additionneur, soustracteur, etc. ; - calcul sur les montages à Aop Programme de l'épreuve de "sciences économiques" du concours "sciences économiques et sociales"Microéconomie. Il s'agit de savoir appréhender des questions concrètes en termes d'équilibre de marché et de comprendre les mécanismes qui déterminent ces équilibres. L'épreuve pourra, par exemple à partir d'un article de journal, demander d'identifier les mécanismes économiques en présence et d'apporter un commentaire. Contenu du programme de microéconomie. Titre Ier les mécanismes du marché notion d'offre théorie du producteur, production et coût, notion de demande théorie du consommateur, prix d'équilibre, déplacements de l'équilibre. Titre II les marchés et la formation des prix déterminants et conséquences de la structure des marchés - la concurrence pure et parfaite ; - le monopole ; - l' Il s'agit de comprendre le sens des principales variables macroéconomiques ainsi que les mécanismes qui les relient afin de pouvoir répondre à des questions concrètes politique de l'emploi en France et son efficacité, croissance et pouvoir d'achat, etc.. Contenu du programme de macroéconomie - problèmes et données de la macroéconomie ; - revenu, emploi et inflation dans le long terme ; - fluctuations dans le court terme ; - croissance ; - politiques économiques ; - l'économie de l'Union Programme de l'épreuve de "mathématiques appliquées" du concours" sciences économiques et sociales"Calculs numériques - nombres entiers, entiers relatifs, rationnels, réels, complexes. Les ensembles IN, Z, Q, IR ; - manipulations sur les puissances fractionnaires et négatives d'un nombre réel ; - réductions et opérations élémentaires sur les fractions ; - calculs logarithmiques sur les nombres réels.Equations, inéquations - résolution d'équation du premier et du second degré, d'un système d'équations linéaires ; - résolution d'une équation du premier et du second degré, pouvant contenir des valeurs absolues, les logarithmes, des exponentielles et représentation graphique de l'ensemble des solutions ; - résolution d'une inéquation ou d'un système d'inéquations linéaires et représentation graphique de l'ensemble des monotones, majorées, minorées, bornées - suites convergentes, suites divergentes ; - propriété fondamentale toute suite croissante et majorée resp. décroissante et minorée est convergente ; - opération sur les limites de suites ; - suites arithmétiques et géométriques identification de ces suites, détermination de leur composants caractéristiques et expression de leur terme général et des sommes partielles. Application à l'étude des suites arithmético-géométriques ; - exemple d'étude de des suites aux mathématiques financières - taux d'intérêt, valeur future, valeur présente d'une somme ; - suites de versements ; - calcul de mensualités d'une variable réelle. Généralités sur les fonctions - détermination du domaine de définition et de l'image d'une fonction ; - injection, surjection, bijection ; - composition de graphique - détermination des effets d'une translation ou d'une homothétie du graphe sur l'expression d'une fonction ; - parité application à la représentation graphique ; - représentation graphique des fonctions usuelles citées et continuité - compréhension des concepts de continuité et de limite d'une fonction ; - opération sur les limites ; - composée d'une fonction de limite λ par une fonction continue au point λ ; - comportement asymptotique d'une fonction, aspect graphique. La recherche systématique de l'asymptote n'est pas exigée. On se limitera à la reconnaissance de l'asymptote ; - théorème des valeurs - distinction entre nombre dérivé et dérivée d'une fonction ; - interprétation géométrique du nombre dérivé ; - règles de dérivation ; - lien entre signe de la dérivée et variations de la fonction ; - calcul de dérivées dérivée d'une application composée ; - primitive tableau primitives-dérivées des fonctions usuelles ; - calcul des dérivées successives ; - étude d'une fonction sens de variation, signe, extremums et ses applications à la résolution d'équations et d' usuelles - fonctions valeur absolue, polynômes, fractions rationnelles, radicales, etc. ; - fonction exponentielle et logarithme équations fonctionnelles caractéristiques, comportement asymptotique, etc. ; - fonction puissance ; - croissance comparée des fonctions exponentielles, puissance et des ensembles - intersection, réunion, complémentaire, inclusion, appartenance, cardinal, parties, ensemble de parties, etc. ; - produit cartésien de deux ensembles ; - nombres de combinaisons, nombre d'arrangements, formule du binôme, triangle de - concept de probabilité sur un ensemble fini ; - probabilité conditionnelle, indépendance de deux événements, formule des probabilités totales, formule de Bayes ; - expériences indépendantes ; - exemples de variables aléatoires discrètes loi de Bernoulli, loi - définitions des paramètres de statistiques descriptives mode, moyenne, médiane, dispersion, étendue, quartiles, variance, écart type ; - application numérique de ces paramètres compatible avec une calculatrice scientifique non programmable, non graphique ; - moyennes géométriques et harmoniques et leurs matriciel - définition d'une matrice et opérations élémentaires sur les matrices ; - définition et propriétés du produit - distinction entre une identité et une équation ; - distinction entre axiome et Programme de l'épreuve de langue vivante 2 du concours "lettres"Allemand. Les candidats devront être en mesure de lire, de comprendre et de commenter un texte d'actualité portant sur les thèmes suivants - relations internationales ; - problèmes de société ; - se familiariser avec l'épreuve, le candidat devra s'entraîner à - la lecture de la presse ; - la traduction version ; - la compréhension et la recherche d'informations dans un texte ; - l'analyse et le commentaire structuré ; - la rédaction dans une langue maîtrise du vocabulaire de base pour parler des relations internationales, de la géopolitique et des problèmes de société sera demandée. Compétences grammaticales indispensables en langue allemande. Déclinaisons, conjugaisons, syntaxe. Espagnol. Les candidats devront être en mesure de lire, de comprendre et de commenter un texte d'actualité portant sur les thèmes suivants - relations internationales ; - problèmes de société ; - se familiariser avec l'épreuve, le candidat devra s'entraîner à - la lecture de la presse ; - la traduction version ; - la compréhension et la recherche d'informations dans un texte ; - l'analyse et le commentaire structuré ; - la rédaction dans une langue grammaticales indispensables en langue espagnole - conjugaison régulière et irrégulière ; - syntaxe ; - les prépositions ; - traduction du on ; - traduction du dont ; - l'obligation personnelle et impersonnelle ; - emploi et valeur du subjonctif ; - concordance des temps ; - emploi de ser et estar ; - emploi de haber et tener ; - les démonstratifs ; - la tournure emphatique ; - l'apocope ; - la du vocabulaire de base pour parler des relations internationales, de la géopolitique et des problèmes de société. Italien. Les candidats devront être en mesure de lire, de comprendre et de commenter un texte d'actualité portant sur les thèmes suivants - relations internationales ; - problèmes de société ; - se familiariser avec l'épreuve, le candidat devra s'entraîner à - la lecture de la presse ; - la traduction version ; - la compréhension et la recherche d'informations dans un texte ; - l'analyse et le commentaire structuré ; - la rédaction dans une langue grammaticales indispensables en langue italienne - conjugaisons des verbes réguliers et irréguliers aux temps suivants présent, passé composé, imparfait, futur et conditionnel ; - sensibilisation à l'emploi du subjonctif présent et imparfait ; - concordance futur-futur ; - les prépositions et leurs contractions avec les articles définis ; - les tournures impersonnelles et en particulier la traduction de on ; - les pronoms COD/COI ; - les pluriels particuliers de noms et adjectifs crisi/problemi/economiche, etc. ; - les comparatifs et superlatifs ; - les démonstratifs ; - l'emploi de piacere ; - les adjectifs possessifs ; - la politesse et le tutoiement ; - les adverbes ou conjonctions et locutions permettant d'introduire, de développer et de conclure un discours ; - la syntaxe de la du vocabulaire de base pour parler des relations internationales, de la géopolitique et des problèmes de société. Arabe. Liste des points à maîtriser A. - Morphologie 1. Le verbe conjugaison des verbes simples et augmentés, à racines saines et malades , trilitères et quadrilatères, à l'actif et au passif, au singulier, pluriel et duel - à l'accompli ; - à l'inaccompli indicatif, subjonctif et apocopé ; - à l' Le nom - schèmes nominaux, noms de nombres en dialecte, noms de couleurs et de difformité, élatif ; - le genre et le nombre singulier, pluriel, duel des noms ; - formation des participes et des noms verbaux masdar des formes simples et augmentées de racine saines ou malades ; - adjectifs et intensifs ; - pronoms personnels, affixes et isolés ; - démonstratifs ; - La déclinaison - le tanwin ; - la déclinaison des diptotes ; - la déclinaison des pluriels externes, du - Syntaxe 1. Définition du nom par l'article ou l'annexion. 2. L'adjectif épithète l'accord nom-adjectif. 3. La proposition relative. 4. Comparatif et superlatif. 5. La phrase nominale - notions de mubtada' et khabar ; - ordre des mots et accords ; - fonctionnement avec inna, la'alla, anna, ka'anna, etc. ; - l'expression du temps dans la phrase nominale kâna et les accords dans la phrase ; - la négation de la phrase nominale emploi de La phrase verbale - temps et aspect, valeurs de l'accompli et de l'inaccompli ; - ordre et défense ; - négation de la phrase verbale ; - l'ordre des mots et les règles d'accord verbe-sujet ; - les compléments directs et indirects des Les subordonnées complétives - avec an ; - avec anna ; - le discours rapporté ; - l'interrogation Les subordonnées circonstancielles de temps, de but, de conséquence. 9. Expression de la condition, de l'hypothèse. Maîtrise du vocabulaire de base pour parler des relations internationales, de la géopolitique et des problèmes de société. Russe. Les candidats devront être en mesure de lire et de comprendre de manière ciblée un texte d'actualité portant sur les thèmes suivants - relations internationales ; - problèmes de société ; - se familiariser avec l'épreuve, le candidat devra s'entraîner à - la lecture de la presse ; - la traduction version ; - la compréhension et la recherche d'informations dans un texte ; - la maîtrise des fondamentaux de la grammaire grammaticales indispensables en langue russe Savoir identifier - les noms ; - les adjectifs ; - les pronoms ; - les verbes ; - les adverbes ; - les - les conjugaisons ; - les bases de la déclinaison ; - l'emploi des du vocabulaire de base pour parler des relations internationales, de la géopolitique et des problèmes de Programme de l'épreuve "histoire des relations internationales et géopolitique" du concours" lettres"HRI les relations internationales en Europe de 1648 à 1989. Il sera demandé aux candidats de - maîtriser les notions importantes qu'implique cette question équilibre des puissances, diplomatie européenne, congrès de paix, principe dynastique, monarchie absolue, économie et mercantilisme, pacifisme au XVIIIe siècle, révolutions américaine et française, irruption du principe national ; - connaître la chronologie des conflits dans ses grandes lignes ainsi que les modalités de leur règlement L'eau dans le monde 1° Le cycle de l'eau pour introduire l'idée d'une absence de répartition dans la ressource à l'échelle de la planète. Les grands bassins versants Amazone, Mississippi, Congo, Nil, Danube, Rhin et fleuves chinois. 2° L'agriculture, première consommatrice dans le monde. Les besoins augmentent en ville. 3° L'eau nécessaire à la production d'électricité. Pollution et dépollution. Le pétrole dans le monde 1° Les principaux gisements géologie sommaire et contraintes de l'extraction. 2° Les réserves fluctuent au rythme de l'évolution des cours pétroliers, et de la consommation mondiale. 3° Les routes utilisées pour le transport du pétrole voie maritime et tubes, les ports et les industries raffinage. Les migrations internationales 1° Les foyers de départ transition démographique et les destinations d'arrivée vieillissement démographique. 2° Un besoin en main-d'œuvre contrarié par une politique migratoire devenue restrictive. Des frontières à surveiller pour les pays d'accueil. Un encouragement pour les flux clandestins. 3° Des effets économiques contrastés transferts d'argent, de compétence et trafics. Un phénomène à replacer dans le contexte général de à l'article 26 de l'arrêté du 11 juillet 2022 ARMH2220775A, ces dispositions sont applicables à la date d'ouverture du concours de la session 2023.
Lattaché de presse centralise la communication d’une maison d’édition. C’est donc un métier pluriel qui demande de grandes qualités humaines, un savoir-faire relationnel et de l’organisation. Nous verrons au cours de ce rapport l’étendue des
La baie d'Arcachon, c'est le coup de foudre de son enfance. Malik, c'est le démon de midi et demie. Et ces deux amours la poussent à des décisions radicales... Reprendre la lecture Ils sont une bonne trentaine serrés dans une petite salle aux murs blancs quand Béatrice rejoint la réunion à l’Espace Dickens de Lausanne. Plusieurs tête se retournent à son arrivée, des têtes nettement plus jeunes que la sienne, surmontées de dreadlocks ou de chignons, pas vraiment les mêmes codes. Pourtant Béatrice se sent vite à sa place. Elle encaisse les interventions successives comme autant de coups de poing dans le thorax, leurs paroles réveillent une conscience enfouie au plus profond d’elle-même, noyée parmi mille autres préoccupations qui n’auront bientôt plus lieu d’être si on ne se soucie pas de celle-ci en priorité, et soudain les chiffres la terrifient, elle qui, voici à peine plus de vingt ans, a jeté un enfant dans ce monde à l’agonie. En les écoutant tour à tour, elle prend pleinement la mesure du désastre. Elle en est encore sonnée quand l’animateur lui cède brusquement la parole. – Je n’ai rien préparé, je suis moins bien informée vous, je venais juste… – Dans une assemble citoyenne, chacune et chacun est invité à s’exprimer. Dis-nous ce qui t’amène. Surprise par le tutoiement, Béatrice prend une grande inspiration. Parler en public ne lui a jamais posé problème, elle qui dirige une équipe de Corporate eCommerce chez Nestlé et donne régulièrement des conférences. Mais il s’agit en l’occurrence d’un sujet plus intime et beaucoup moins maîtrisé étaler devant des inconnus une angoisse qui l’a saisie aux tripes lorsqu’elle a vu brûler, par écran interposé, les pinèdes de la baie d’Arcachon. – Les forêts qui sont en train de brûler en Gironde, j’y ai souvent passé mes vacances dans mon enfance. C’est moi qui insistais pour qu’on y retourne, alors que mes parents avaient plutôt envie de découvrir d’autres régions. J’avais eu un vrai coup de foudre pour ces pins immenses et leurs pommes magnifiques, ces sols jonchés d’aiguilles… Sa voix s’étrangle, elle s’interrompt un instant, tente de se ressaisir. – J’ai un fils à peine plus jeune que vous. Je l’ai emmené camper là-bas, vers la dune du Pilat quand il avait dix ans. C’est un gamin merveilleux, mais il n’a pas ressenti la même émotion que moi à son âge. Quand j’ai vu tous ces incendies, j’ai juste éprouvé le besoin de me joindre à des gens qui partagent les mêmes sentiments que moi. Parce que dans mon univers professionnel… Elle s’interrompt à nouveau et l’animateur en profite pour rappeler que les feux de forêt dégagent quantités de particules fines hautement toxiques qui font ensuite le tour de la planète. Elles rendent l’air irrespirable et tuent des milliards d’animaux. – Je ne m’attendais pas à tomber sur un groupe si…, avoue Béatrice. – Tu as tout-à-fait ta place parmi nous, assure un jeune en lui tendant un dépliant. Béatrice y jette un coup d’œil La sécheresse menace notre sécurité alimentaire et nos réserves d’eau potable. Au dos, un formulaire d’adhésion à Extinction Rébellion. Elle glisse le papier dans son sac à main et se promet d’en faire usage. Elle n’aurait pas pensé qu’une manifestation implique autant de préparatifs. Le parcours, les autorisations de police, la communication, les panneaux, les slogans, la sono. C’est drôle d’être à la fois la doyenne du groupe et la moins expérimentée. Mais Malik l’initie avec une patience et une bienveillance infinie. – Les boucles de rétroaction, c’est des phénomènes qui se renforcent. La plupart fonctionnent avec un point de bascule à partir duquel l’habitabilité de la planète est remise en question. Quand il parle, son regard prend une intensité fascinante. Malgré son Master en sciences po, il se contente de petits boulots occasionnels, parce que sa priorité est ailleurs. À quoi me servirait-il de gagner plein de flouze si l’air est devenu irrespirable et l’eau imbuvable ? demande-t-il pragmatique et Béatrice ne peut s’empêcher d’admirer son courage. Tandis qu’elle occupe à elle seule une villa avec vue sur le lac, cet homme de trente-et-un ans partage un quatre-pièce avec deux autres militants et n’hésite pas à le transformer en QG pour la bonne cause. Comme cet après-midi où ils sont en train de sprayer des cartons. Elle a accumulé assez d’heures supplémentaires pour s’offrir un après-midi de congé, même si ça tombe toujours mal et qu’elle va le payer par un surcroît de stress le lundi, à moins de passer au bureau dimanche expédier quelques mails et résorber un peu la pile de dossiers en souffrance. Après la manif, bien sûr, car il n’est pas question de rater ce moment. Béatrice sent monter en elle une fébrilité qu’elle n’a plus connue depuis des décennies. Il faut dire que le charisme de Malik a quelque chose d’enivrant. Ce garçon dégage une telle force de conviction et tant d’enthousiasme que c’en est contagieux. Les gens que Béatrice côtoie habituellement sont si mornes, ternes et éteints en comparaison. Surtout dans son milieu professionnel ! Le sentiment de renouer avec la fougue de ses vingt ans se renforce encore le lendemain, lorsqu’ils défilent tous deux en tête du cortège en brandissant leur pancarte et en clamant des slogans sous l’œil des caméras. La circulation ayant été détournée, la route est à eux, comme lors des dimanches sans voiture de sa jeunesse. Dans cette foule bigarrée, un autre monde semble possible, comme un rêve à portée de main. À se demander comment elle a pu passer tant d’années dans un entonnoir. Après un tel shoot d’adrénaline, l’idée de passer au bureau paraît totalement saugrenue. Quelques militants se retrouvent chez Malik, assis par terre autour d’une table basse, pour un debriefing assorti d’un petit repas vegan. Béatrice ne peut s’empêcher d’admirer la cohérence de cette jeunesse qui applique ses convictions à tous les pans de sa vie. Pour essayer de sauver un monde détruit par sa génération. Lorsque les derniers invités repartent, elle se résout à contrecœur à prendre congé de Malik. – T’as été géniale, s’enthousiasme-t-il en lui faisant une longue accolade. Elle bredouille une banalité pour cacher son trouble et se dirige vers la porte d’entrée. Il la rattrape, lui saisit délicatement le menton, pose ses lèvres sur les siennes. Elle se dégage brusquement. – Qu’est-ce qu’il y a ? Ne me dis pas que t’en as pas envie ? – La question n’est pas là, on a presque vingt ans d’écart. – Alors ça, c’est bien le dernier de mes soucis. Tu es sublime. Sublime, c’est surtout la nuit de dimanche à lundi qui l’est et Béatrice se demande comment des principes rigides ont pu la priver si longtemps d’un des bonheurs les plus intenses de l’existence. Pourtant la réponse est simple elle ne connaissait pas Malik. La douche froide arrive comme prévu le lundi matin. À l’instant même où elle ouvre sa boîte de réception. Une avalanche de messages d’autant plus rébarbative que l’élan n’y est pas. Après le week-end qu’elle vient de passer, comment ne pas se sentir en porte-à-faux dans cette entreprise qui s’emploie notamment à privatiser l’eau potable ? Béatrice n’est pas dupe, elle sait bien que les quelques projets humanitaires ne sont qu’un vernis de respectabilité sur une usine à profit sans foi ni loi. Avec un soupir de résignation, elle s’attelle néanmoins à la tâche. Un message noté urgent attire son attention. Il émane de la direction des ressources humaines. Elle l’ouvre sans se douter de rien et découvre, incrédule, qu’elle est convoquée à une séance extraordinaire pour faute professionnelle grave. La DRH l’informe par ailleurs qu’un recommandé lui a été adressé. Béatrice décide de ne pas y penser avant de savoir de quoi il retourne, mais la résolution se révèle difficile à mettre en œuvre. Surtout la nuit. Heureusement qu’il y a aussi sur son téléphone un mot tendre de Malik avec un lien vers le téléjournal du soir qui évoque la manif. Pendant quelques secondes, on les aperçoit même tous les deux et il faut reconnaître qu’ils vont bien ensemble. La poste étant fermée quand elle rentre du travail et quand elle y part le matin, Béatrice se rend à la convocation sans avoir pu prendre connaissance du courrier annoncé. Ils sont trois à l’attendre la DRH, le chef de secteur et le sous-directeur général. Une trinité de mauvais augure. – Vous avez toujours été une collaboratrice consciencieuse et on vous faisait entièrement confiance, commence la DRH sur un ton qui dément l’onctuosité du propos. Qu’est-ce qui vous a donc pris de vous afficher soudain avec un groupuscule d’extrême-gauche ? – Ça fait longtemps que vous les fréquentez ? s’enquiert de chef de secteur. Béatrice explique que c’est tout récent, que les incendies… – Savez-vous au moins où vous avez mis les pieds ? Que ce groupuscule qu’on ne nommera pas n’hésite pas à bafouer les lois, que la plupart sont connus des services de police ? C’est vraiment ça qui manque à votre CV, un casier judiciaire ? Elle ne sait pas tout d’eux. Seulement qu’elle ne s’était jamais sentie autant à sa place. Qu’elle perçoit chez eux une sincérité qu’elle n’a jamais discernée chez aucun de ses collègues ni supérieurs. Qu’elle croit en leur cause comme elle n’a jamais cru à sa mission. Et que Malik a des paillettes dans les yeux quand il lui fait l’amour. – Non, vous avez raison, je n’ai pas investigué en profondeur. En ce qui les concerne, j’ai décidé de me fier à mon intuition. Ce dont je suis convaincue par contre, c’est qu’ici, je me débats dans un panier de crabes. Je l’ai su dès le début et je m’en accommode pourtant depuis plus de vingt ans. Tellement abrutie de travail que je n’ai jamais trouvé le temps de prendre du recul. Toujours la tête dans le guidon. Alors je vous remercie de me donner enfin l’occasion de me remettre en question. – Dans ces circonstances, je crois que l’entretien est clos. Et j’espère que vous avez de bonnes réserves financières, conclut la DRH les lèvres pincées, tandis que les deux autres referment déjà leur dossier. Béatrice sent un poids s’envoler de sa poitrine. Malik lui effleure délicatement la nuque du bout des lèvres. – Alors, ça a été chez tes parents ? Tu ne leur as toujours pas parlé de moi ? – Je t’assure que ça a été bien assez houleux comme ça. – Pourquoi, c’est quoi le problème ? Mes origines maghrébines ? – T’es bête. C’est sûr qu’ils ont toujours rêvé de me voir avec un militant engagé, de vingt ans mon cadet, qui travaille quand ça lui chante et qui m’emmène passer la nuit au poste plutôt qu’à l’hôtel. Côté confort, ça soutient pas vraiment la comparaison, mais côté prix, avec les frais de justice et d’avocat, ça fait largement le poids. – Tu regrettes ? – Pas une seconde, assure-t-elle en passant la main dans ses cheveux bouclés. La matinée sur le pont Bessières occupé par quelques centaines de militants avait filé comme un éclair, dans une ambiance bon enfant. Ils avaient chanté et dessiné à la craie des animaux menacés d’extinction, même les policiers chargés de les évacuer avaient le sourire et les rebelles s’étaient accrochés les uns aux autres pour leur compliquer la tâche. Tout s’était passé en douceur, comme une pièce de théâtre improvisée. – Pourtant, t’as l’air préoccupé. Touchant de voir comme il se soucie d’elle. Elle tente une explication – C’est jamais drôle de se brouiller avec ses parents. Surtout à leur âge. Vu comme je lui suis rentrée dans le cadre, mon père est parti pour ne plus m’adresser la parole pendant au moins deux ans. J’espère juste que ça ne sera pas notre dernier contact. – Pourquoi, il est aussi treizième lame que toi ? – Qu’est-ce que c’est que ça ? – Une carte de tarot. La treizième lame, c’est une lame de fond qui balaie tout sur son passage. Elle fait table rase du passé pour écrire une nouvelle page sans s’encombrer de regrets. Mais parfois, elle peut être trop tranchante et se retourner contre elle-même. – Parce qu’en plus, tu verses dans l’ésotérisme ? – Mais non, je tire juste quelques cartes de temps en temps, pour m’amuser. – Et toi, tu es quoi comme Arcane? Il se contente d’un sourire mystérieux. – Mais qu’est-ce que tu lui as dit qui l’a tellement fâché ? – Déjà, notre apparition au téléjournal, ça n’a pas trop passé. Il m’a demandé ce que je faisais parmi ces petits cons toujours rivés à leur Smartphone qui font la morale aux autres, alors qu’ils n’arrêtent pas de s’échanger des messages et des vidéos. – Il n’a pas complètement tort sur ce point, concède Malik. – Je lui ai rétorqué qu’il était mal placé pour leur reprocher quoi que ce soit, lui qui avait passé sa vie à bétonner les rares parcelles encore inexploitées et à sillonner les mers dans d’immenses paquebots de croisière. – Et notre inculpation ? – Pas eu le temps de lui en parler. Il risque de l’apprendre par les journaux. Pour ma démission non plus, il n’est pas au courant. – Heureusement que t’es majeure, conclut Malik en la serrant dans ses bras. Plaisanterie mise à part, t’as un sacré courage. Je suis vachement fier de toi. Deux jours plus tard, Paul-Antoine les surprend, lors d’une visite à l’improviste, en train de déjeuner en tête-à-tête dans des tenues qui ne laissent planer aucun doute quant à la nature de leur relation. En invitant Malik à dormir à la maison, Béatrice a délibérément pris ce risque, mais ne s’attendait pas forcément à ce qu’il se concrétise aussi vite. Elle ne peut s’empêcher d’éprouver un certain malaise. – Ben, à défaut de mes parents, je te présente mon fils et lui, c’est Malik, un jeune homme que j’ai rencontré… – Oui, je vous ai vu au téléjournal, l’interrompt Paul-Antoine en lui tendant la main avec un sourire engageant. Sous prétexte d’aller lui tirer un café, Béatrice s’empresse de passer une robe de chambre sur sa nuisette. De la cuisine, elle surprend quelques bribes de discussion et des termes d’une autre génération que Malik s’abstient d’employer avec elle. – Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de ta visite un dimanche matin ? s’enquiert-elle en revenant au salon. – Ben, je me suis dit que c’était LE moment où j’avais une chance de te trouver à la maison. Et comme j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer et que j’avais envie de le faire de vive voix, j’ai tenté ma chance. Béatrice sourit. Après les moments difficiles qu’elle vient de passer au travail et chez ses parents, ça fait du bien de voir son fils si épanoui. – Allez, me fait pas languir ! – Eh ben, ça y est, j’ai trouvé du taf. Je commence en septembre et pas n’importe où, je suis embauché chez Novartis ! Un instant de gêne. À peine perceptible. Puis Béatrice s’exclame, le serre dans ses bras – Félicitations ! Ça tombe bien, je crois que j’ai une bouteille de champagne au frigo. On va fêter ça dignement. Ton premier poste ! Elle repart à la cuisine, revient avec trois flûtes et la bouteille. Au salon, l’ambiance s’est subitement rafraichie. Les garçons semblent avoir fait le tour de ce qu’ils avaient à se dire. Gênée par leur silence, Béatrice dispose les trois flûtes et s’attaque au bouchon. – Pas pour moi, déclare Malik en repoussant la sienne. Je ne bois qu’aux bonnes nouvelles. Béatrice lui jette un regard courroucé. Paul-Antoine lui pose la main sur l’épaule – Pas grave, maman, on fêtera ça une autre fois. Je vais vous laisser. Il est déjà en train de se lever quand Béatrice intervient – Il n’en est pas question. C’est lui qui va dégager et cette bouteille, on va se la boire tous les deux. Parce que je suis fière de toi, mon chéri. De ta tolérance. Je suis touchée de la manière dont tu as accueilli ma décision, quand j’ai donné mon congé. Pas un reproche. Ni quand tu m’as vue à la télé dans un mouvement qui va à l’encontre de tes opinions. Et même quand tu découvres que j’ai une aventure avec un garçon à peine plus vieux que toi. – Tu veux que je te dise ? ajoute-t-elle en se tournant vers Malik qui a tiqué au mot aventure, au fond, mon fils, il est bien plus ouvert d’esprit que toi. La colère et le champagne l’aident à contenir sa tristesse jusqu’à ce que les pneus de la voiture de Paul-Antoine crissent sur les graviers de l’allée. Béatrice se recroqueville alors sur le canapé et laisse libre cours à son chagrin. Avec Malik, c’était trop beau pour durer. Deux treizièmes lames ensemble, ça ne pouvait pas marcher. ViaCasual Dating, ! si appele C-DatingSauf Que percoives bleme s’abstenir ! Ce site continue plutot aggrave par averes rencontres charnelles ouEt priori, ! apparentes Voici des chiffre a savoir via C-Dating Besoin en tenant termes conseilles sans oublier les pointu lors de concernant votre vie en compagnie de garcon ? ) Voire gausse une
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Bonjour Je suis totalement d'accord avec le message d'Arnaud, et bien que je tutoie assez facilement, j'ai toujours mis le respect des autres en avant —et le vouvoiement en est l'une des marques, du moins c'est ce que l'on m'a enseigné lorsque j'étais gamine (je sais, cela fait plusieurs décennies )— et n'ai jamais été la première à tutoyer un
1Le tatouage est le résultat d’une injection d’encre dans la peau produisant un motif indélébile et aussi, le plus souvent, le résultat d’une interaction entre un tatoueur et un tatoué. Les motivations qui président à cette modification corporelle permanente peuvent être esthétique, symbolique, identitaire, religieuse ou initiatique. Selon les époques et les endroits du monde, le sens conféré au tatouage varie. Le tatouage traditionnel japonais est négativement connoté car il servait de sanction aux criminels et mafieux Yakuza qui se sont appropriés cette pratique, devenue rite initiatique et symbole de fierté, pour se reconnaître. 2Le mot tatouage vient de tatau », frapper en polynésien le préfixe ta » signifie dessin inscrit dans la peau », et le mot atua », esprit. Traditionnellement réservé aux chefs et guerriers, le tatouage Polynésien a une origine divine tandis qu’en Orient et Occident, les religions du livre le condamnent. En 787, le Pape Adrien 1er interdit la pratique du tatouage et il faudra attendre que les voyageurs du XVIIIème, comme James Cook, les ramènent du bout du monde comme souvenir sur leur chair. Aujourd’hui présent dans les musées [1], les médias, sur le corps des célébrités, le tatouage touche de plus en plus de peaux et d’esprits Martin, 2016. 3Cette diffusion du tatouage entraîne l’essor d’un nouveau commerce. Le candidat au tatouage devient un client et le tatoueur un commerçant. Le montant de la transaction commerciale dont le tatouage est l’aboutissement peut varier selon les caractéristiques du dessin, des conditions de sa réalisation, de la réputation du tatoueur Rolle, 2012. 4Dans cette étude nous nous sommes intéressés aux particularités que présente le marché du tatouage comme consommation de l’art. De fait, une fois acheté, c’est-à-dire réalisé, le tatouage perd toute valeur pécuniaire. De plus, la relation client-commerçant construite autour du tatouage est tout à fait singulière c’est l’objet de la recherche ethnographique que nous avons menée dans cinq salons de tatouage franciliens. 5Pour mener cette enquête il nous a d’abord fallu justifier notre présence dans ces établissements réservés aux consommateurs de tatouage. La posture consistant à se présenter comme observateur fut peu concluante dans le premier salon car incomprise par les différents acteurs. Dans un autre salon nous avons souhaité interroger directement l’unique tatoueur au cours d’un entretien semi-directif sur son parcours, sa vision du tatouage, ses pratiques, sa clientèle, ses concurrents et collègues. Pour les trois autres salons nous avons profité de l’occasion d’accompagner des clients afin d’être au plus près d’une séance d’encrage. Nous avons ainsi adopté des méthodes de recherches qualitatives avec notamment la tenue d’un carnet de terrain contenant observations, descriptions, ébauches d’analyses et retranscriptions de paroles stratégies d’approches6Pour intégrer la communauté des tatoués, il faut trouver le professionnel qui aura la tâche d’encrer sa peau. Les demandeurs de tatouages utilisent différents critères de choix, comme la spécialisation du tatoueur, le prix, ou la renommée du salon. En effet, la norme est qu’un tatoueur, apprenti ou confirmé, exerce dans un lieu normalisé, déclaré en préfecture, et remplissant des conditions d’hygiène règlementaires. Ainsi, les prémices de la relation tatoueur-tatoué se font à l’entrée du l’organisation du salon. Répartition de l’espace7Nous avons pu systématiquement observer la présence d’au moins deux espaces, celui de l’accueil et celui de l’encrage, séparés par un comptoir permettant l’accueil des clients et l’exposition des books » [2]. Le comptoir est tenu par le propriétaire, un tatoueur, ou une personne embauchée spécifiquement, qui a le rôle essentiel d’assurer le premier contact avec le client. L’espace d’encrage est généralement dissimulé de la vue de tous pour respecter l’intimité des tatoués et la concentration des tatoueurs. Il comporte plusieurs postes de tatouage pour que plusieurs tatoueurs opèrent simultanément. Il peut exister un troisième espace, consacré à la rencontre entre le tatoueur et le futur tatoué qui négocient les modalités du projet. Les différents espaces sont pensés et décorés dans le but d’attirer le client, de le mettre à l’aise, mais aussi et surtout de donner une image à la fois professionnelle et montrer professionnels et rebelles8D’après Valérie Rolle 2013, les salons de tatouages choisissent leur décoration selon différentes logiques technicienne, propre et rangée en gage de sérieux ; créative, mettant en valeur les réalisations des tatoueurs ; anti-conventionnelle, mettant en exergue l’esprit rebelle de la pratique. Nos observations corroborent ces conclusions. L’un des salons observés, aux murs blancs et à la décoration épurée, affiche également les dessins des tatoueurs, suivant simultanément les logiques technicienne » et créatrice ». D’autres salons exposent des objets étranges, dignes d’un cabinet de curiosités. Les images provocantes et les motifs rebelles comme les têtes de morts, n’ont pas l’air d’étonner ou de mettre mal à l’aise les clients, puisque confirmant l’aspect rock n roll » du tatouage. La clientèle semblait néanmoins davantage diversifiée en termes d’âges et de catégorie sociale, dans un salon ayant adopté sobriété et neutralité ce que j’aime bien c’est que ça soit blanc épuré » témoignage tatoué. 9Les salons doivent faire attention à satisfaire tout le monde, ou du moins à ne heurter personne. Il apparaît important de donner aux clients à la fois une impression médicalisée » pour gagner leur confiance, tout en gardant l’aspect rebelle de l’expérience Rolle, 2013.Pour se vendre et vendre son artL’enjeu de la crédibilité10Dans le discours des employés des salons de tatouage, nous retrouvons la nécessité de faire figure d’expert » Rolle, 2013 en mettant en exergue la supposée incompétence des concurrents, dont on dit qu’ils font ce qu’ils ne devraient pas faire » comme des motifs impersonnels issus d’internet et qu’ils ne font pas ce qu’ils devraient » comme avoir des tatoueurs aux styles différents dans un même salon. 11Pour être respecté et respectable, l’un de nos tatoueurs souligne qu’un tatoueur doit être tatoué et de manière visible, sans quoi sa crédibilité sera mise en cause il sera soupçonné de n’avoir fait ni l’expérience de la douleur ni celle du regard social les gens devaient se dire ha c’est bizarre t’es tatoueur et t’as pas de tatouage’ » témoignage tatoueur. Par ailleurs, le tatoueur doit à la fois se montrer disponible pour accueillir des projets d’encrage élaborés, tout en montrant une activité importante, gage de qualité. Cet équilibre subtil entre disponibilité et non-disponibilité lui permet notamment de sélectionner sa clientèle en évitant par exemple de réaliser des street tattoo [3] ». En effet, les tatoueurs sont critiques d’une clientèle de non-sachants, consommant le tatouage par effet de mode sans en connaître la culture, l’histoire ou les implications C’est des gens qui ne connaissent rien au monde du tatouage, la plupart viennent sans projet et veulent juste avoir un tatouage, c’est juste un effet de mode » témoignage tatoueur.Véhiculer des valeurs de confiance voire de fidélité12Les échanges se mettent en place dès l’accueil, sur un ton amical et ponctué de plaisanteries, avec une automaticité du tutoiement. Un tatoueur nous explique que l’acte de tatouer est une pénétration dans l’intimité de la personne et que le projet du tatoué devient celui du tatoueur ce partage est matérialisé par le tutoiement. Nous avons constaté que les conversations dans les salons basculent souvent dans l’ordre de l’intime, soulignant la force du lien entre le tatoueur et son client et expliquant que certains clients reviennent régulièrement, jusqu’à développer une relation de fidélité. La confiance est ainsi au cœur de la relation tatoueur-tatoué, de la négociation du projet d’encrage à sa réalisation. Cette confiance devient une nécessité lorsque l’on considère l’asymétrie de la relation tatoueur-tatoué, l’un détenant soudainement un pouvoir sur le corps de l’autre Durão et Roman, 2001.Négociation et ritualité du tatouageLe projet de tatouage13Normes implicites interdits, refus, facteurs à prendre en compte 14Nous avons constaté l’existence de normes implicites, concernant notamment l’emplacement et la taille des tatouages, et plus particulièrement des premiers tatouages. Un tatoueur nous explique que les premiers tatouages devraient être cachés ». Un autre affirme qu’il est préférable que les premiers soient de petites pièces. D’une part, le tatoueur craint que le non-initié ne supporte pas la douleur les grosses pièces seront alors d’autant plus difficiles à terminer, comme nous avons pu le constater chez une de nos enquêtées ». D’autre part, le regard social qu’implique un tatouage visible peut déstabiliser lorsqu’il n’est pas anticipé certains tatoueurs sont réticents à endosser la responsabilité d’être les premiers à encrer une partie visible du corps. Enfin, la localisation des tatouages sur le corps apparaît tacitement réglementée certaines zones sont proscrites par les tatoueurs parties génitales, d’autres sont réservées » à une clientèle initiée » mains et crâne Les premiers tatouages devraient être cachés, ça devrait être comme ça, tu te fais pas tatouer direct sur le cou ou sur la tête. Après si tu vois que le mec a déjà plein de tatouages sur les bras et tout, ouais la tête ça peut être en continuité » témoignage tatoueur. 15Ces éléments confirment l’importance de la négociation des modalités d’encrage entre tatoueur et tatoué selon l’âge, l’appartenance socio-sexuelle et professionnelle Rolle, 2013 En principe je suis personne pour dire non, mais en fonction de l’âge, de ses antécédents dans le tatouage, est-ce qu’il en a déjà beaucoup ou pas du tout. Je pose souvent la question de leur travail, est-ce que ça va pas les gêner dans leur travail, il faut penser au regard des autres » témoignage tatoueur. 16D’après notre étude, d’autres facteurs sont également pris en compte comme la couleur, texture et apparence des et l’empreinte du tatoueur17La banalisation du tatouage fait apparaître des motifs-types, devenus des basiques ». Les tatoueurs critiquent ces anti-projets », qualifiés de copié-collétatoué », et renvoyés aux faux tatoueurs » Héas, 2013 mais aussi aux faux tatoués ». En effet, le tatouage conserve cet aspect de quête de marginalité et le risque de ces tatouages communs est de faire disparaître la convention tacite de refuser le conventionnel. Pour que les tatouages soient uniques, respectant ainsi les codes culturels et identitaires, les tatoueurs laissent leur empreinte dans la recherche d’originalité et le démarquage si c’est un truc que tu sors d’Internet on va vouloir te le modifier qu’il soit un peu plus original » témoignage tatoueur. Les books » permettent au client qui envisage un motif de se familiariser avec le style du tatoueur. 18Une fois le tatoueur choisi, un premier rendez-vous permet aux deux acteurs de parler du projet. C’est au rendez-vous suivant, celui de l’encrage, que le client découvre le dessin de ce que sera son futur tatouage, qui doit plaire au millimètre près le client doit exprimer exactement ce qui lui déplaît pour que le tatoueur puisse apporter les modifications nécessaires de l’emplacement, de la taille, ou du motif. 19Un tiers accompagne souvent le futur tatoué nous avons pu tenir ce rôle à trois reprises ; il donne son avis, aide le client à exprimer ses éventuels doutes et rassure. Le tatouage est donc le résultat d’une négociation entre le tatoueur, le client et un proche Lo Sardo, 2009.Implication de l’encrage. Gérer la posture et la douleur20Une fois les négociations terminées, le tatoueur positionne le stencil » [4] du tatouage sur la peau du client préalablement désinfectée et rasée si nécessaire. Tatoueur et tatoué doivent désormais négocier la posture qu’ils adopteront pendant l’encrage afin d’être confortables et d’éviter crampes ou gestes brusques. La douleur varie selon les individus, mais aussi selon les parties du corps. Le tatouage peut ainsi être considéré comme un acte masochiste où se côtoient douleur, plaisir, excitation et addiction Rioult, 2006 On les torture et ils aiment ça, et ils reviennent en plus » témoignage tatoueur. 21Si la douleur est trop intense, les réactions de la personne sont imprévisibles, dérangent et ralentissent le travail du tatoueur. Le tatoueur de l’une de nos observées qui gigotaient par souffrance l’avertit que son tatouage risquait de ne pas être symétrique si elle continuait. Des pauses permettent aux deux acteurs de se reconcentrer. Le tatoueur endosse ici de nombreuses responsabilités et un rôle d’apaisement du client pouvant faire émerger à leur relation intime un caractère thérapeutique Durão et Roman, 2001. à la fin, le tatoueur emballe le tatouage dans du papier cellophane que le tatoué devra enlever dans les heures qui suivront, et accompagne son client à l’accueil pour le faire régler et lui prescrire les soins à retouches et l’ancrage social quotidien22Un tatoueur nous explique que le tatouage représente l’intrusion d’un corps étranger dans la peau, et que l’encre aura tendance à dégorger dans les jours qui suivent l’encrage. Le client est ainsi amené à revenir pour faire les retouches nécessaires, incluses dans le prix. Ce service après-vente » renforce l’analogie avec une transaction commerciale. 23Le tatouage transforme d’abord le quotidien immédiat il faut hydrater régulièrement le tatouage pour permettre la cicatrisation Lo Sardo, 2009, qui provoque des démangeaisons qu’il faut contrôler. Le tatouage modifie ensuite le quotidien sur le long terme, il réajuste les choix vestimentaires à travers un jeu d’inhibition et d’exhibition selon le contexte social. Il transforme également les interactions sociales, à base de compliments ou de questionnements. Enfin, le tatouage est un rite de passage qui agrège l’individu à une nouvelle communauté Van Gennep, 1909 traduisant ainsi une volonté de devenir Autre » Je trouve vraiment que le fait d’être tatoué te fait appartenir à une autre communauté » témoignage tatoué. En outre, si le corps est l’interface entre soi et l’autre » Le Breton, 2010, le tatouer permet de se le réapproprier, de s’individualiser et d’influer sur l’image que peut avoir l’autre de soi Le Breton, 2006.Conclusion24Cette recherche ethnographique porte sur un échantillon limité et aurait gagné à être étendue à d’autres salons. Pour autant, il nous est apparu très vite difficile de justifier la présence d’observateurs dans un salon de tatouage on nous a, à plusieurs reprises, fait bien comprendre qu’il s’agissait d’une intrusion. Nous avons eu l’occasion de nous placer dans la position d’accompagnateur, plutôt que dans celle d’observateur. Ceci nous a permis d’approcher au plus près de la relation tatoueur-tatoué, et de mieux en saisir certaines spécificités qui nous auraient autrement échappé. Il résulte ainsi de cette recherche que la confiance est au cœur de la relation tatoueur-tatoué et permet la mise en place de négociations de l’ordre de l’intime chaque séance d’encrage laisse une trace dans le corps du tatoué, mais aussi dans celui du tatoueur. » Rolle, 2013 p. 97. lRemerciementsÀ Léo Tillard pour sa participation à cette étude, Marie Rose Moro pour m’avoir offert l’opportunité de publier ce travail, à Laelia Benoit pour ses conseils et encouragements. Notes [1] Exposition tatoueurs-tatoués » au musée du quai Branly Jacques Chirac en 2014-2015. [2] Les books sont des albums photos qui renferment les réalisations des tatoueurs. [3] Petites pièces faciles et impersonnelles sans délai de réalisation. [4] Pochoir en anglais, c’est un calque qui permet de transposer le dessin sur la peau afin que le tatoueur suive ces lignes au cours de l’encrage.
Bonjour Vous avez remarqué que dans TOUTE boutique de JV, style Micromania, Dock Games, Game, etc on se fait tutoyer par les vendeurs? C'est "obligatoire" chez eux? Style pour créer une
Au-delà des mots et de leur sens, la voix véhicule un nombre important d’informations identificatrices et impressives. Nous pouvons commencer ici par observer deux choses quant à la parole. Premièrement, on reconnaît facilement par téléphone dans les premières secondes d’échange la voix de quelqu’un qu’on connaît. Deuxièmement, on peut aussi bien reconnaître grâce à la voix, mais sans connaître cette fois l’individu qui parle, une catégorie socio-professionnelle, que ce soit du démarchage par téléphone, du divertissement télévisuel, du commentaire sportif ou de l’information radio, et ceci également dans les premières secondes d’écoute. Outre la hauteur de la voix et ses caractéristiques individuelles, elle comporte une capacité à faire entendre une posture et une identité particulière. Fonagy montre que le style vocal repose sur des mimiques articulatoires fermetures ou ouvertures buccales et glottales, accentuelles et intonatives que nous interprétons métaphoriquement183 ». La voix seule peut donc transmettre bon nombre de postures, d’attitudes et d’émotions, de la même manière que le corps tout entier en situation de face-à-face, et ce grâce à sa capacité mimo-gestuelle. En effet, si nous nous sommes surtout penchés dans ce travail sur le lien entre le contexte linguistique et social de la parole, la place du locuteur et de l’interlocuteur dans l’interaction, ainsi que sur l’interprétation du discours, n’oublions pas que la parole articulée est formée dans notre cerveau comme un geste moteur. C’est sur le cortex moteur, plus précisément dans l’aire de Broca, que l’appareil phonatoire est représenté. Ce n’était pas l’objet de ce travail, mais il aurait pu être intéressant de mettre en parallèle des études neuropsychologiques sur la formation des gestes et leurs fonctionnements ainsi que leur représentation socialement codifiée avec le fonctionnement de la parole et ses codes sociaux, tels que l’exemplifie les phonostyles afin de déterminer des points de contact. L’imitation vocale fonctionne-t-elle de la même manière que l’imitation gestuelle ? Les neurones miroirs sont-ils également impliqués dans la reconnaissance du ton de la voix comme ils le sont dans la reconnaissance d’un geste ? A quel moment intervient la question du sens linguistique, qui n’est pas du tout localisé au même endroit dans le cerveau aire de Wernicke ? Toutes ces questions plus techniques au niveau neurologique mériteraient un autre travail en soi mais il est intéressant de les mentionner ici. 183LÉON, P., 1993, Dans ce travail se concentrant sur la spécificité de la parole dans les médias, nous espérons avoir pu démontrer qu’il est possible de distinguer à l’intérieur d’un même genre de discours ou de parole le discours d’information, des styles de parole qui permettent à l’auditeur d’identifier et de définir le locuteur par rapport à son contexte linguistique et social, et de le reconnaître comme un représentant d’un style particulier portant une identité définie. Même si le genre du discours d’information transparaît plus radicalement que l’identité de la chaîne radio, nous avons tout de même pu montrer quelques différences grâces à des analyses techniques fines. Le contexte du discours d’information et plus précisément ici celui de la revue de presse influence déjà grandement le phonostyle. On pourrait donc s’attendre éventuellement à ce que deux revues de presse sur deux chaînes différentes se ressemblent plus que tout autre type de discours puisqu’elles participent du même genre, et ne dénotent ainsi pas forcément l’identité prosodique de la chaîne. De plus, les contraintes de production du discours d’information semblent être identiques par bien des aspects interactivité faussement » naturelle entre les journalistes en studio, lecture de texte rédigé à l’avance bloquant pour beaucoup la spontanéité des échanges, discours dirigé vers un tiers absent l’auditeur, emboîtement de discours tel que l’exige la revue de presse. Les différences entre les deux chaînes auraient donc peut-être été plus flagrantes si l’on ne s’était pas limité au discours d’information. Mais on peut imaginer que si l’on perçoit des différences, si fines soient-elles, dans un genre très codifié, celles-ci ne pourraient être que plus évidentes si l’on prend des émissions où la parole est plus spontanée, ce qui aurait aussi certainement permis de révéler d’autres caractéristiques de chacune des deux chaînes. Une autre possibilité d’analyse, qui n’a pas non plus été retenue ici, aurait été de comparer la voix des journalistes au micro et hors antenne pour déterminer à quel point ils adaptent leur voix à une identité prosodique pré-formatée suivant la chaîne. Le style de parole associé à la présentation d’information, décrit comme très formel par Hupin et Simon 2007, se retrouve toutefois autant sur La 1ère que sur Couleur 3, mais dans une moindre mesure pour la seconde, expliquant une plus grande proximité avec son public de par son style légèrement plus relâché. Grâce à nos analyses, nous avons d’ailleurs pu confirmer certaines données déjà détectées par Burger et Auchlin 2007 et Hupin et Simon 2007 sur certaines caractéristiques du style journalistiques forte mélodicité, nombreux accents initiaux qui rendent le style didactique, rythme haché, coups de glotte, mise en relief du mot plutôt que du syntagme et débit de parole moyen à rapide. Les variables prises en considération étaient temporelles taux d’articulation, débit de parole et débit d’articulation, qui a tendance à ralentir lorsque la solennité augmente, mélodiques étendue du registre et agitation mélodique, des indices d’emphase et d’implication ainsi que de captation de l’audience qui croissent dans la parole publique ou la voix professionnelle, accentuelles proportion de syllabes proéminentes, ainsi que certaines marques d’hésitations. En comparaison avec le phonostyle de France Info, nous avons aussi pu relever certaines caractéristiques de l’accent suisse romand, qui ne s’est pas révélé, comme auraient pu le faire penser certains a priori, plus lent que celui de ses voisins. Donc, même dans le discours d’information, un genre médiatique qui uniformise d’une certaine manière le ton des journalistes sur quelque chaîne que ce soit, l’identité de Couleur 3, une chaîne radio de divertissement du service public qui tient à informer qualitativement ses auditeurs – un public éclectique d’une trentaine d’années en moyenne – transparaît dans la prosodie de ses animateurs. Ces paramètres prosodiques débit, mélodicité, accentuations forment un phonosytle particulier à la chaîne qui lui confère son identité. Apparemment plus consciente et plus transparente sur ce qu’implique le ton de voix en radio, Couleur 3 se permet d’en jouer presque constamment, installant aussi une distance critique par rapport à elle-même et au contenu informatif qu’elle convoie. Une distance tout à fait bienvenue chez un auditeur alternatif et plutôt critique des médias. La chronique Décrochages » où sont imités surtout à l’aide de la technique radio musique, jingle, tapis et déformation des voix mais aussi accents linguistiques ou régionaux toutes sortes de stations radios, en est un très bon exemple. Pendant une à deux minutes, les deux animateurs de la matinale font croire aux auditeurs qu’ils sont soit sur une radio jazz, classique, métal, une radio régionale valaisanne en exagérant fortement l’accent ou une radio privée française ou américaine, montrant leur maîtrise des phonostyles de chacune de ces chaînes et prouvant ainsi le fonctionnement de l’identification à une chaîne radio grâce à la voix de ses animateurs de la même manière que l’avaient déjà fait le trio de comiques français les Inconnus dans les années 1990 avec leur sketch les radios libres ». Nous retiendrons que Couleur 3 favorise les voix particulières et permet de forcer les accents régionaux pour en jouer. Elle se caractérise aussi par une agitation mélodique légèrement plus élevée que sur La 1ère et comptabilise un nombre légèrement inférieur de syllabes proéminentes, ce qui participe de son ton informel, léger et humoristique. Un style de parole qui se rapproche donc par plusieurs critères d’un style informel langue de proximité se caractérisant, de manière étonnante pour une relation entre locuteur et auditeur radiophonique dans un discours médiatique très codé comme la revue de presse, par une relation intime » entre les interlocuteurs, une grande liberté thématique, de l’expressivité et une certaine improvisation184. Les sources d’informations plus vastes internet, réseaux sociaux, etc., le vocabulaire familier tutoiement, anglicisme, grossièretés, et la technique radio utilisée tapis quasiment constant, jingles rapprochent encore plus clairement Couleur 3 de son public, à la différence de La 1ère qui semble garder une distance polie et respectable avec son auditeur. Car, ce qui surdétermine l’ensemble des interactions médiatiques qu’elles soient de l’ordre du discours d’information ou non, même s’il n’en laisse pas de traces visible, reste finalement l’auditeur. 184SIMON, A-C., AUCHLIN, A., AVANZI, M., GOLDMAN, J-P., 2009,
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